Avec des élèves qui se qualifient désormais de « passeurs de mémoires », le projet de l’équipe pédagogique de l’école Les Floralies à Trèbes méritait un coup de projecteur. L’année scolaire 2023/2024 des CM2 a été jalonnée d’actions : visioconférence avec des rescapés de la Shoah, travail sur la déportation des Juifs de France et des échanges pendant deux jours avec l’historien Alexandre Bande sur la vie de Ginette Kolinka. Ce travail a abouti à une exposition sur la Deuxième Guerre Mondiale et à leur participation aux diverses cérémonies. Xavier Chalard, directeur de l’école, répond aux questions du Café pédagogique.
Pouvez-vous nous présenter le projet de l’école en quelques mots ?
A l’école des Floralies, nous travaillons chaque année depuis 10 ans les activités mémorielles en illustrant par des exemples locaux les conflits mondiaux. Cette année, un élève nous a apporté la BD « Adieu Birkenau » et ses camarades ont été très intéressés. Grâce à L’AMOPA, nous sommes entrés en contact avec Alexandre Bande, spécialiste et intervenant au Mémorial de la Shoah de Paris, qui est venu 2 jours dans nos classes à Trèbes et qui nous a permis d’assister à une visio-conférence avec Arlette Testyler, témoin de la rafle du Vel d’hiv, organisée par l’Union des Déportés d’Auschwitz.
Les élèves ont également rencontré des témoins de la guerre de Trèbes, et votre projet fait le lien entre des générations d’enfants de Trèbes et différents acteurs. Pouvez-vous nous dire comment cela s’est passé ?
Notre école est située juste à côté d’une résidence sénior. Nos élèves ont pu rencontrer 2 témoins de la 2e guerre mondiale, résidentes près de l’école. Elles leur ont raconté leurs souvenirs d’enfance à cette période.
Nous organisons des activités trans-générationnelles avec les personnes qui le souhaitent. Avec le concours du directeur du CCAS de Trèbes, nous sommes entrés en contact avec Mesdames Trespaillé-Barrau et Degez. Elles étaient enfants pendant la seconde Guerre Mondiale et ont volontiers accepté de venir raconter leurs souvenirs. Madame Degez avait 4 ans au moment de la déclaration de guerre et habitait Evreux, en zone occupée. Son père était médecin. Elle s’est souvenue d’avoir vu arriver des réfugiés belges, d’avoir connu l’exode pour fuir les bombardements et d’avoir vécu le débarquement. Madame Trespaillé-Barrau avait 5 ans de plus et habitait Agde en zone libre. Elle s’est rappelée l’armistice de juin 1940, l’arrivée des Allemands en vainqueurs en 1942 et leur départ en vaincus en 1944. Elles ont distingué les soldats de la Wehrmacht (en vert) des SS (en noir). Elles ont expliqué que le Maréchal Pétain paraissait être le sauveur en 1940 mais avait en fait trahi la France.
Quel travail avec les élèves en amont et en aval du projet ?
Il y a eu les leçons en classe, bien sûr et les élèves ont lu des livres adaptés dans le cadre des activités de lecture. Ils avaient préparé de nombreuses questions pour ces témoins autour de plusieurs thèmes : la vie quotidienne pendant l’occupation, à l’école, la Résistance et la collaboration, le sort des juifs autour d’elles et la Shoah, le Maréchal Pétain, la Libération et le Général De Gaulle, l’après-guerre. Après une heure d’échanges préparés, nos témoins ont accepté de répondre à d’autres questions spontanées. Comme ils l’avaient fait avec Alexandre Bande quelques semaines auparavant, nos élèves se sont montrés un nouvelle fois captivés par ces deux personnes elles-mêmes ravies de leur avoir transmis leur mémoire. Elles sont prêtes à renouveler l’expérience tant qu’elles en auront la possibilité.
Et quelle trace de ce travail ?
Après cette nouvelle leçon d’histoire extraordinaire, nous avons proposé à nos élèves de se lancer dans la réalisation d’une exposition « La seconde guerre mondiale : les grandes étapes, la vie quotidienne et la shoah ». Cette exposition récapitule tout l’ensemble des travaux de cette année, mais aussi tout ce qu’ils ont appris en classe et par leurs recherches sur cette période de notre histoire. Répartis en 10 ateliers traitant chacun un des thèmes choisis collectivement, les enfants ont abordé entre autres les grandes étapes du conflit, les personnages historiques, les passeurs de mémoire qu’ils ont eu la chance de rencontrer, la vie quotidienne, la vie dans les camps de concentration, la Shoah… Après 10 jours au nid trébéen, leur exposition composée de 34 panneaux est accessible à tous à la médiathèque de Trèbes pendant tout l’été.
Ce travail de la mémoire est donc un travail collectif ?
Absolument. Sans l’engagement de tous, impossible de balayer autant de sujets. Chaque année, nous illustrons les travaux sur la guerre en conduisant nos élèves sur les lieux de mémoire locale. L’an dernier, l’enseignant d’ULIS, Julien Vaissières, nous a apporté un parachute qui avait servi à un largage en 1942 dans la Montagne Noire, près de Trèbes. Grâce à lui, nous sommes allés sur les traces du maquis de ce secteur, à Trassanel où nous avons rendu hommage aux résistants en chantant la Marseillaise et le chant des Partisans dans la grotte qui les abritaient. Tous les participants ont ressenti une grande émotion. Chaque année, les enfants comprennent et adhèrent pleinement à cette démarche.
À l’école des Floralies, les écoliers de CM2 et leurs instituteurs ont travaillé sur les chemins de la mémoire. Jean-Claude Hariot, président du comité du Souvenir français, les Archives Départementales et son équipe ainsi que la mairie de Trèbes les accompagnent régulièrement dans leurs actions. Sophie Pérès et Xavier Chalard instituteurs des CM2, et Julien Vaissières, maître d’école de la classe Ulis (Unités localisées pour l’inclusion scolaire) ont reçu leurs diplômes du Souvenir français les récompensant pour leurs multiples implications au cours de l’année scolaire écoulée.
La qualité de leur travail collectif, assez extraordinaire, en a surpris plus d’un… Cela méritait bien de mettre à l’honneur les trois instituteurs sans lesquels rien n’aurait pu se faire. Les élèves se qualifient eux-mêmes de « passeurs de mémoire ». Bravo aux enfants, bravo aux enseignants !
Propos recueillis par Djéhanne Gani