Autrice de la loi sur les directeurs d’école et de l’amendement sur les » établissements publics des savoirs fondamentaux » dans la loi Blanquer, la députée Renaissance Cécile Rilhac devrait déposer une proposition de loi « créant le statut d’établissement public local d’enseignement primaire » (EPLEP). Cette résurgence des EPEP, un vieux projet porté par la droite depuis le début du siècle, est lancé alors que les enseignants sont déjà très mobilisés contre la politique éducative gouvernementale. Que cherchent Cécile Rilhac et son parti ? Faire sauter le ministère ou diviser les syndicats ?
La proposition de loi Rilhac
La proposition de loi Rilhac créant le statut d’établissement public local d’enseignement primaire (EPLEP) « entend donner un statut juridique aux écoles maternelles, élémentaires et primaires pour en faire des établissements publics locaux d’enseignement primaire. Ce statut permettrait de donner les moyens aux équipes pédagogiques, en concertation avec les acteurs locaux, de concrétiser les projets adaptés à leurs écoles ». Selon le texte de cette proposition de loi, que le Café pédagogique a pu consulter, il s’agit de « renforcer le bon fonctionnement » des écoles primaires en allant plus loin que la loi Rilhac de 2021 qui a créé le statut de directeur d’école.
C Rilhac estime que » les moyens, notamment juridiques et administratifs, qui sont à leur disposition (des écoles NDLR) demeurent insuffisants » et que » la répartition des moyens entre les écoles est également problématique ». Elle présente son texte en prétendant répondre aux « exigences » du Se-Unsa et du Sgen Cfdt.
L’article 1 de la proposition de loi donne la possibilité aux communes et aux EPCI « d’ériger en établissement public scolaire primaire toute école maternelle, élémentaire ou primaire. Ils peuvent également regrouper plusieurs écoles pour constituer un tel établissement ». Il n’ont pas besoin pour cela de l’aval des conseils d’école concernés. Les dépenses des écoles restent à la charge des communes.
Le même article réorganise les conseils d’école, placé à la tête de l’EPLEP, en limitant le nombre d’enseignants à 3 tout en gardant celui de la commune à 2. La majorité des 13 membres du conseil appartient presque aux parents et aux élèves (2 membres).
Le texte améliore un peu la décharge des directeurs d’école en attribuant une décharge complète à partir de 10 classes (au lieu de 12 actuellement). » Une décharge d’enseignement supplémentaire leur est octroyée si l’exercice de la fonction s’étale sur plusieurs sites » affiche le texte sans autre précision.
La proposition de loi prévoit aussi pour tout EPLEP de 18 classes et plus une aide administrative » telle que définie par l’article 3 de la loi 2021-1716 du 21 décembre 2021″. Cet article de la loi Rilhac se garde bien de préciser qui de l’Etat ou de la collectivité locale soit rémunérer cette aide. Il est donc purement indicatif. C’est tellement vrai qu’un autre paragraphe précise que » L’État attribue à chaque établissement public local d’enseignement primaire des moyens humains nécessaire à son pilotage pédagogique et à son administration », ce qui là aussi n’engage à rien. Un autre paragraphe du même article dit que « Une convention conclue entre l’État, représenté par le directeur de l’école, et la ou les collectivités concernées fixe les conditions dans lesquelles ces dernières peuvent mettre des agents à disposition de l’établissement public local d’enseignement primaire. Cette convention désigne notamment le personnel qui assure les fonctions d’agent comptable de l’école ». Alors Etat ou collectivité locale ? Qui prendra en charge cette aide administrative ? Ce n’est pas dit. Et ce n’est sans doute pas par hasard que cette aide potentielle reste suspendue dans un vide législatif.
L’article 4 de la proposition de loi précise que son application est expérimentale pour une durée de 5 ans.
L’obsession d’une ancienne chef d’établissement
L’idée de transformer les écoles en établissements, dotés de la personnalité morale, n’est pas nouvelle. Cécile Rilhac l’avait elle-même glissé en 2018 dans un amendement à la loi Blanquer. Cet amendement proposait de créer des « établissements publics des savoirs fondamentaux » regroupant « les classes d’un collège et d’une ou plusieurs écoles ». La gestion de l’EPSF aurait été confié à un personnel de direction sous l’autorité du principal du collège. Cet amendement avait été adopté le 30 janvier 2019 par l’Assemblée nationale. Mais la forte mobilisation des enseignants contre la loi avait amené la majorité à le retirer et à l’enterrer. Deux ans plus tard, Cécile Rilhac revenait à la charge avec une proposition de loi sur le statut des directeurs d’école qui, après quelques revirements spectaculaires, finissait par être adopté.
Une idée de François Fillon
Mais l’idée de l’EPLEP est bien plus ancienne. L’idée de transformer les écoles en établissements publics de l’enseignement primaire (EPEP) avec un chef d’établissement vient de François Fillon, le ministre de l’éducation nationale qui a mis le pied à l’étrier de JM Blanquer. Il insère cette réforme dans la loi du 13 août 2004. Elle prévoit que « les établissements publics de coopération intercommunale ou plusieurs communes d’un commun accord, ou une commune, peuvent, après avis des conseils des écoles concernées et accord de l’autorité académique, mener, pour une durée maximum de cinq ans, une expérimentation tendant à créer des établissements publics d’enseignement primaire ». F Fillon est remplacé par G de Robien qui tente de faire passer le décret d’application, ce qui occupe les années 2006-2007. Finalement il échoue et le décret n’est pas publié. C’est l’époque où tous les syndicats d’enseignants s’opposent à la mesure.
En 2010, l’Institut Montaigne, un autre ami de JM Blanquer, relance le débat sur l’EPEP et une seconde tentative de glisser l’EPEP dans une loi échoue à son tour en 2011. C’est l’époque de la Révision générale des politiques publiques et l’Etat voit dans les EPEP un outil pour regrouper les écoles et en diminuer le nombre pour faire des économies. Pourtant il n’y a déjà plus d’unanimité syndicale sur la question. La même année, un sondage publié par le Snuipp montre un net rejet des Epep par les enseignants avec la crainte de voir un échelon hiérarchique plus présent que les IEN peser sur les enseignants. Mais un an plus tard le Se Unsa publie un autre sondage qui montre une majorité de directeurs en faveur de l’Epep.
En 2015 le rapport Leloup et Caraglia, deux inspectrices générales, évoque l’EPEP comme solution aux dysfonctionnements des circonscriptions du 1er degré. Début mars 2017, la ministre N Vallaud Belkacem publie des « engagements » en faveur des directeurs pour alléger leurs taches administratives. Ce qui revient à enterrer les Epep.
La question agite encore la campagne électorale des présidentielles de 2017. Plusieurs candidats se montrent favorables aux EPEP ou à l’intégration des écoles dans un réseau piloté par un collège. Jean-Michel Blanquer lui-même, dans son livre « L’école de demain », prend position en faveur des EPEP et de directeurs qui soient de véritables chefs d’établissement.
Un autre acteur n’a cessé de défendre l’idée de réduire fortement le nombre d’écoles et de mettre de vrais chefs d’établissement : la Cour des Comptes. Depuis 2010 elle a multiplié les recommandations en ce sens avec une grande constance. Sur le papier, alors que 90% des écoles ont moins de 10 classes et 35 000 sur 55 000 moins de six, on doit pouvoir réunir dans de grandes écoles primaires beaucoup plus d’élèves et faire des économies. Et en plus, comme N Belloubet devant l’Assemblée dernièrement, expliquer que c’est pour leur bien pédagogique. Il suffit d’ignorer le local, ce que représente l’école au village mais aussi ce que le regroupement veut dire en perte de qualité de vie et en accélération de l’exode rural.
Depuis 2017 les rapports se sont multipliés en ce sens. En août 2018, le rapport des députées Valérie Bazin-Malgras et Cécile Rilhac propose de créer un corps nouveau de directeurs d’école recrutés sur concours à qui seraient confiées des écoles de plus de 10 classes. Les autres seraient regroupées et confiées à la gestion des principaux de collège. En septembre 2018, c’est l’OCDE qui s’en mêle pour demander elle aussi un statut de directeur d’école , supérieur hiérarchique capable de gérer une école autonome. Puis en octobre 2018 c’est le rapport de Marie Blanche Mauhourat et Ariane Azéma qui invite à regrouper les écoles rurales et les collèges dans des « écoles du socle ».
Un texte qui ne répond pas aux attentes
La proposition de loi Rilhac interroge à la fois dans sa conception, ses motivations et son calendrier. Dans sa conception, C Rilhac a consulté le Se Unsa, probablement le Sgen Cfdt. Mais la député n’a pas consulté le premier syndicat du premier degré, le Snuipp Fsu. « Il n’est pas possible que sur ce sujet elle nie la représentativité de la profession », nous a dit Guislaine Davide, co-secrétaire générale du syndicat majoritaire. Le Snuipp fsu avait été consulté lors de la précédente loi Rilhac.
Sur ses motivations, on voit mal ce que la loi peut apporter aux vrais problèmes des écoles. « Ce statut permettrait de donner les moyens aux équipes pédagogiques, en concertation avec les acteurs locaux, de concrétiser les projets adaptés à leurs écoles » affirme l’exposé des motifs de la loi. Mais la proposition de loi ne donne aucun moyen supplémentaire réel aux écoles. Leur financement reste dans les mains des collectivités locales. Quant à la pédagogie elle reste dans les clous des programmes officiels. Bien au contraire, la dynamique qui est derrière les EPEP et l’EPLEP vise à diminuer les moyens des écoles. La finalité c’est de diminuer le nombre d’écoles pour faire des économies. Quitte à rendre la vie beaucoup plus difficile aux élèves.
Le même exposé des motifs dit que la précédente loi Rilhac a « renforcé le bon fonctionnement des écoles ». On se demande en quoi. Il y a eu une amélioration des décharges de direction pour les seules écoles importantes. Cette amélioration ne nécessite pas de loi. Elle se décide par décret. Pour les petites écoles rien n’a changé. Une consultation menée par le ministère en 2020 montre que les écoles ne demandent pas de manager ou de regroupement. Elles demandent des aides administratifs et du temps de décharge. Et sur le premier point, après qu’E. Macron ait supprimé les aides en 2017, il n’y a eu aucun progrès.
Que cherche Cécile Rilhac ?
Reste le moment. « Je ne comprends pas que dans le contexte actuel qui est si conflictuel on puisse déposer une proposition de loi qui bouleverse le fonctionnement de l’école à ce point et qui ne règlera en rien les difficultés de l’école et des directrices », nous a dit Guislaine David. En voulant créer les EPSF, JM Blanquer avait suscité une telle mobilisation que la loi Blanquer tout entière et le ministre avaient failli sauter.
Alors que l’Ecole est très mobilisée contre les réformes du gouvernement, la proposition de loi Rilhac ne peut qu’augmenter les oppositions. Mais elle peut aussi réveiller les divergences entre les syndicats. En lançant son texte, Cécile Rilhac peut soit achever le ministère Belloubet soit diviser le front syndical contre le ministère. C’est un jeu irresponsable, dangereux pour l’Ecole, pour les enseignants et pour les élèves.
François Jarraud