Mercredi 22 novembre s’est tenu le colloque «2013-2023: la loi de la Refondation de l’École de la République. Quel bilan? ». Plusieurs personnalités qui ont participé à l’élaboration et mise en œuvre de la Refondation de l’École se sont exprimées. Elles ont rappelé son ambition. Une loi pensée pour les plus fragiles, pour les classes populaires, dans l’intérêt des enfants, avec pour objectif de réduire les inégalités, des difficultés largement documentées par la recherche. Dix ans après, les participants et participantes ont rappelé le contexte politique dans lequel cette loi a vu le jour, ses attentes, ses réalisations mais aussi les difficultés et résistances plurifactorielles qu’elle a rencontré lors de sa mise en œuvre.
Deux ministres de l’Éducation Nationale, Najat Vallaud Belkacem et Vincent Peillon ont participé au colloque. Ils ont rappelé les enjeux de la réforme qu’ils ont mise en œuvre, une réforme nourrie par une vision de l’École et de la société en décalage avec la politique actuelle.
Ce bilan sur les effets ou obstacles de la politique éducative menée de 2012 à 2017, qui a lieu lors du deuxième quinquennat d’une alternance politique, pose la question de la nécessité d’un temps long de la politique publique éducative. Un travail de réflexion ne serait-il pas nécessaire pour penser la suite mais aussi pour avoir des effets durables sur l’amélioration ou transformation de l’École ?
De l’esprit de la loi de la Refondation à sa difficile mise en œuvre
Les deux focus de la demi-journée se sont portés sur le 1er degré et la mixité. Si les difficultés ont été nombreuses, elles pourraient se résumer à la formule de Jean-Paul Delahaye, inspecteur général honoraire et ancien DGESCO, «le monde des adultes s’est entendu sur le monde des enfants». Après avoir évoqué le contexte de la loi – la recherche qui montre le poids des origines sociales sur la réussite scolaire, le sous-investissement chronique dans le 1er degré, les suppressions de postes, la fin de formation des enseignants, la semaine des 4 jours…, JP Delahaye a rappelé que la loi de le Refondation avait une dimension pédagogique importante avec la circulaire «plus de maîtres que de classe» qui avait pour ambition de transformer les pratiques, de favoriser la coopération.
Or, ce qui a marqué incontestablement les esprits autour de la loi de la Refondation de l’École, ce sont les débats sur la réforme des rythmes scolaires. Pour Françoise Moulin-Civil, ancienne rectrice, présidente du comité de suivi des rythmes scolaires, la réforme n’a pas été « appliquée obligatoirement dans les écoles du privé sous contrat. Ce qui a été perçu par enseignants comme une iniquité.» Elle met en lumière d’autres impensés : ne pas avoir anticipé la difficulté pour un professeur des écoles de partager la salle de classe avec le périscolaire, la spécificité de la maternelle ou la non-revalorisation des salaires des professeurs…
A ces impensés pourraient s’ajouter les débats suscités par la fermeture des classes bilangues et ses conséquences aujourd’hui sur l’enseignement de la langue allemande, ou encore sur la difficile coopération entre l’école et périscolaire. Si l’esprit de la loi de la Refondation n’était pas critiqué sur le terrain, les réponses l’ont été.
Est-il possible d’envisager une réforme de l’École sans l’appui de ses personnels?
Un regret est partagé par tous les acteurs présents, de l’éducation nationale à l’éducation populaire, en passant par les collectivités, celui de ne pas avoir su convaincre du bien-fondé de cette réforme. Si les causes en sont multiples, l’une d’elle est le conservatisme et les résistances des classes supérieures pour qui la scolarité des enfants n’est pas un problème dans un système qui les fait gagner, pour reprendre la terminologie «perdant/gagnant» du sociologue François Dubet. JP Delahaye a d’ailleurs évoqué le « droit à la réussite» des enfants des familles populaires.
«Le vrai sujet de l’École, c’est l’absence de mixité sociale» selon Najat Vallaud Belkacem
Durant le colloque ont été rappelés les enjeux de la réforme, les obstacles rencontrés et l’héritage de cette loi. Si le contexte de la politique éducative menée par le ministère actuel indique une rupture, les acteurs ont rappelé que le PEDT était aujourd’hui un outil de politique publique qui induisent de nouvelles pratiques de co-construction.
Lors de la table-ronde consacrée à la mixité, Choukri Ben Ayed, professeur de sociologie, souligne qu’en 2014, le mot mixité est inscrit dans l’article 1 de la Refondation. La réflexion sur la politique de mixité sociale a été menée avec la recherche, dans des comités scientifiques avec des acteurs de l’Éducation Nationale, avec le Cnesco… «Le rôle du Cnesco a été majeur» souligne Najat Vallaud Belkacem. Elle a aussi rappelé le dernier rapport de l’accompagnement scientifique qui dément la crainte des détracteurs de la mixité sociale d’un nivellement par le bas. À Toulouse, deux collèges ségrégués ont été fermés et Paris a expérimenté le collège multi secteur pour favoriser la mixité de deux collèges, expérimentations qui ont survécu à 2017. Pour Najat Vallaud Belkacem, une des choses à retenir est qu’il faut «travailler avec les acteurs de terrain, […] l‘innovation est là. Certes la politique de l’Éducation nationale est nationale, mais les solutions peuvent venir du terrain». La question de l’enseignement privé dans l’absence de mixité sociale se pose également. L’adjoint à la maire de Paris, Patrick Bloche, a parlé d’«un système éducatif à deux vitesses». Najat Vallaud Belkacem a affirmé quant à elle que «le vrai sujet de l’École, c’est l’absence de mixité sociale». Au privé, « l’Etat ne demande rien. On peut demander davantage de mixité sociale.» a-t-elle déclaré.
«2017-2022, le pays va le payer très cher très longtemps» selon Vincent Peillon
Pour Vincent Peillon, ses successeurs «ne sont pas du tout pour la mixité sociale, bien au contraire». Si les priorités de la loi de la Refondation étaient la formation des enseignants et le 1er degré, ce qui lui reste associée ce sont les débats autour du périscolaire, de la semaine de quatre jours, de la réforme du collège, de la fin des bilangues ? « La réforme des rythmes vient vampiriser la refondation. Alors que la priorité était la formation des enseignants, une formation professionnalisante» résume le ministre V Peillon.
Dans son discours de clôture, Vincent Peillon a aussi vivement attaqué la politique de son successeur, qu’il résume par deux mots «caporalisation et idéologisation, le maccartysme s’est introduit dans l’Éducation nationale. Un ministre qui a organisé un colloque sur l’islamo-gauchisme, l’année où on n’arrive pas à recruter des professeurs ». Il a également évoqué la réforme du lycée général et du bac Blanquer que ses successeurs détricotent. Peillon a aussi critiqué la régression qu’incarne la réforme du lycée professionnel, au service des plus nantis. Il a aussi dénoncé le jeu des chiffres du ministère de l’Éducation nationale autour de la revalorisation salariale ou le budget du ministère, des «mensonges éhontés que les services de l’Etat peuvent démentir en deux minutes ». Pour l’ex-ministre, il y a de faux débats comme celui sur l’«abaya, ce qui représente 200 élèves». « Et combien d’élèves sans inscriptions et professeurs? » interroge-t-il.
« Ce qui s’est passé en France entre 2017 et 2022, le pays va le payer très cher et très longtemps: caporalisation des enseignants, aller retours avec le privé, privatisation, modification des statuts pour nommer les recteurs, la réforme détestable du lycée professionnel qui permet à Gabriel Attal de se faire applaudir par le Medef » alerte Vincent Peillon.
«Autour de l’école, c’est un combat politique, qu’il faut mener avec toute la gauche » a conclu Vincent Peillon en fin de colloque. En ces temps de polémiques permanentes, la démarche de réflexion, de bilan, de remise en question est salutaire, mais elle ne peut se passer d’un appel à l’action, au combat politique pour sauver l’école publique.
Djéhanne Gani