« Il n’y a plus de débats sur l’écologie dans les programmes et c’est grave car le sujet est discuté en permanence dans notre société ». En 2022, des professeurs de SES, dont Isabelle Le Couedic et Raphaelle Marx, se réunissent au sein de l’Apses, l’association des professeurs de SES, pour compenser le grand vide des nouveaux programmes de SES sur une question aussi essentielle pour les élèves. Isabelle Le Couedic, professeure au lycée Marie Madeline Fourcade de Gardanne (13), revient sur la naissance du groupe « Bifurcation » et sur les outils pédagogiques qu’il propose.
Comment est né votre groupe Bifurcation ?
Quand les nouveaux programmes de SES sont parus , en 2019, l’Apses les a jugés très insuffisants au regard des enjeux écologiques. On attendait une évolution sur ce sujet et on a eu une révolution en arrière ! On a perdu des problématiques comme croissance / décroissance. Finalement sur les trois années du lycée , les enjeux écologiques ne concernent que 2 objectifs en 2de sur 70 et un chapitre de terminale sur 12. C’est notoirement insuffisant quantitativement et qualitativement.
Comment est traitée la question de l’écologie dans les programmes actuels ?
Les programmes proposent une approche seulement économique avec les limites de la croissance vues sous l’angle de l’innovation comme solution au changement climatique. IL n’y a rien sur les inégalités, les mouvements sociaux, aucune allusion à l’empreinte écologique qui est aussi une question économique. Rien sur les nouveaux modes de consommation ou les alternatives qui se développent. L’impact du commerce international sur l’environnement est occulté. Pour nous, les programmes manquent de pluralisme. Et c’est aggravé par l’absence de débats. Il n’y a plus de débats sur l’écologie dans les programmes et c’est grave car le sujet est discuté en permanence dans notre société. On devrait y préparer les jeunes. On souhaite que les élèves connaissent les enjeux écologiques et sachant qu’il y a plusieurs choix possibles.
Pourtant JM Blanquer a beaucoup communiqué sur la place de l’écologie dans les programmes. Pourquoi finalement la question est elle si minorée en SES ?
Le concepteur des programmes de SES est très confiant dans la technologie pour résoudre les problèmes écologiques. Pour les gouvernants, sous informés, il n’y a aucune urgence à éduquer la population pour qu’elle fasse un choix conscient sur ces questions.
Que propose le groupe Bifurcation ?
Il y a en SES une culture du débat qui a été amoindrie par les deux dernières réformes qui ont cloisonné nos trois disciplines (économie, sociologie et sciences politiques) alors qu ec’est l’ADN des SES. Nous sommes une quinzaine d’enseignants et nous avons réalisé des documents pédagogiques pour les trois niveaux de 2de, 1ère et terminale en réintroduisant cette culture. En terminale on propose un débat sur les limites de la croissance et le rapport croissance environnement. On propose un dossier avec une vingtaine d’articles que les élèves peuvent utiliser pour s’emparer de rôles. Ils peuvent se confronter en adoptant el costume d’un chef d’entreprise, d’un élu, d’un responsable d’ONG etc. On propose aussi un sujet de dissertation sur la justice sociale en lien avec l’environnement et le modèle de production. La notion de bifurcation n’entre pas dans le programme officiel mais il nous semble urgent de la proposer.
En seconde on propose une introduction au programme sur l’empreinte écologique et le changement climatique. Il y a un volet social avec la question de la décision individuelle et collective et un volet politique avec l’étude des mobilisations sociales. En première on se focalise sur deux objets d’apprentissage, les externalités négatives et les biens communs qui sont traités de manière biaisée alors que les économistes débattent de ces questions.
Enfin, pour les professeurs, nous proposerons le 24 mars 2024 un colloque sur la question de l’intégration des enjeux écologiques dans les programmes de SES. Il aura lieu à Paris Dauphine.
Est-ce une question qui intéresse les élèves ?
Je traite la question écologique avec les élèves depuis une dizaine d’années et je vois l’évolution. Il y a 10 ans cela leur semblait très éloigné. Aujourd’hui ils sont avides d’information. Ils n’ont pas tous le même avis et cela nous permet de débattre. Or les élèves aiment les débats. Ils aiment apprendre à se construire une opinion solide en écoutant les autres.
La jeunesse actuelle doit faire face à beaucoup d’incertitudes et de catastrophes. Avec nos travaux, on peut les aider à dépasser l’état des lieux et à aller plus loin dans les réponses. Notre but c’est qu’ils apprennent à faire face aux défis environnementaux avec moins d’angoisse.
Propos recueillis par François Jarraud
Les ressources pédagogiques du groupe Bifurcation