Amener à coopérer des élèves de 3 continents différents, c’est possible ? En cette époque de bruit et de fureur, c’est le défi relevé par Salima Seidi, professeure d’espagnol au lycée de Bellepierre à Saint-Denis sur l’île de la Réunion. Dans le projet eTwinning « Réunion/Paris/Espagne/Mexique, et Vice Versa », 278 élèves de 13 à 18 ans ont échangé dans la langue de Cervantès et de Molière pour produire des créations sur les fêtes et traditions locales des pays partenaires, en particulier un quiz numérique géant et une revue multilingue multimédia. Mené en 2 mois et demi, le projet s’est avéré stimulant pour « développer leurs compétences linguistiques » et « élargir leur compréhension et leur appréciation de la diversité culturelle ».
Comment vous est venue l’idée de ce projet ?
L’idée de ce projet est née suite à la proposition de ma partenaire mexicaine de longue date, Silvia Sánchez Vargas, qui souhaitait faire un projet sur le thème des Fêtes et Traditions. Étant donné qu’elle souhaitait impliquer 80 élèves et ne pouvant mobiliser 80 de mon côté, j’ai élargi le partenariat en faisant appel à mon réseau professionnel de la Réunion (Amandine Lougnon et Lysbie Goarzin), de Paris (Eduardo Cortes Nigrinis) et d’Espagne (Rocío Gómez González) en les invitant à rejoindre ce projet. La plateforme eTwinning était idéale pour ce type d’association car elle permettait aux 278 élèves de collaborer ensemble et d’atteindre les objectifs en un temps record.
Votre projet eTwinning s’est étalé sur deux mois et demi. Pour quelles raisons ? Était-ce un choix ou une contrainte ?
Le projet eTwinning s’est déroulé sur une période de 2 mois et demi, principalement en raison de la complexité engendrée par la cohabitation de 4 calendriers scolaires différents. Parmi ces contraintes calendaires, celle du Mexique posait un défi particulier pour les participants européens car il fonctionnait en semestre et les élèves mexicains devaient intégrer les activités du projet dans l’évaluation semestrielle. Il était donc impératif de prendre en considération ces contraintes calendaires afin de permettre une participation complète de tous les participants. Cependant, la contrainte initiale de la durée relativement courte du projet, combinée à un programme d’activités dense, s’est avérée être une opportunité plutôt qu’un obstacle. Cette période courte a créé un défi stimulant: celui de mener à bien, dans un délai serré, des activités sur le TwinSpace tout en poursuivant le travail disciplinaire habituel en classe. Pari gagné !
Comment vos élèves ont-ils accueilli le projet au départ ?
Au début, mes élèves étaient assez dubitatifs et interrogateurs et avaient du mal à saisir l’association de ces différents établissements situés si loin de leur réalité réunionnaise. Malgré la présentation des objectifs et des différentes étapes du projet, les premières séances sur le TwinSpace n’ont pas suffi à dissiper leurs doutes. Cependant, leur perception du projet a commencé à changer lorsque nous avons entamé la première grande activité, à savoir la réalisation de vidéos de présentation à la manière d’un Youtuber. De plus, le chat sur le forum a été déterminant pour que les élèves prennent réellement conscience qu’ils collaboraient avec des binômes bien identifiés, portant des prénoms comme Pedro ou Maria, vivant en Espagne ou au Mexique. L’intérêt de leur collaboration a connu une montée progressive avec deux moments forts lors des activités de coopération de fin de projet : la correction mutuelle linguistique entre pairs des productions écrites et la création de quiz sur les fêtes et traditions pour élaborer ensemble le Kahoot Géant de leur équipe.
Quel a été l’impact de ce projet sur vos élèves, et plus largement sur l’établissement ? Qu’en retiennent-ils ?
Ce projet a offert l’opportunité à mes élèves d’acquérir à la fois des connaissances culturelles et de développer diverses compétences. En apprenant et découvrant les fêtes et traditions d’autres pays et régions, ils ont élargi leur compréhension et leur appréciation de la diversité culturelle.
Le fait de devoir communiquer dans des situations authentiques a contribué à améliorer et à développer leurs compétences linguistiques en espagnol tant à l’écrit qu’à l’oral. Mes élèves ont aussi renforcé leurs compétences numériques en utilisant les différents outils indispensables pour la réalisation des différentes activités proposées dans le projet. Enfin, les compétences sociales et interculturelles ont été renforcées grâce aux échanges entre élèves sur le forum et lors de la rédaction de cartes postales.
Au sein de mon établissement, déjà fortement engagé dans des projets eTwinning avec des pays européens, ce projet a ouvert la voie à la possibilité d’étendre nos partenariats au-delà de l’Europe. Sur le plan académique et national, il sert d’exemple pour démontrer qu’un projet bien orchestré peut être efficace et source d’inspiration.
Quelle a été la plus belle réussite de ce projet, pour vous mais aussi vos élèves ?
La plus belle réussite de ce projet, à la fois pour moi et mes élèves, a été l’ouverture de ces derniers sur d’autres cultures et leur engagement actif dans les activités proposées. Mes élèves ont adopté avec enthousiasme l’idée du “deleitar aprendiendo” qui signifie en espagnol “prendre plaisir en apprenant”.
De plus, je tiens à souligner une autre réussite marquante, celle de la coopération exemplaire entre pairs lors de la correction mutuelle de leurs productions écrites. Cela a montré que des élèves situés à des endroits différents du globe étaient capables de s’entraider pour expliquer les erreurs commises dans la langue de Molière et de Cervantes. Cette compétence, la médiation linguistique, chère à l’enseignement des langues, se produit généralement entre élèves d’une même classe. Dans ce contexte, nous pouvons parler de médiation linguistique internationale.
Qu’est-ce qu’eTwinning vous apporte au quotidien en tant qu’enseignante ?
eTwinning m’apporte de nombreux avantages dans mon métier d’enseignante. Grâce à l’utilisation des nouvelles technologies, il me permet de proposer à mes élèves des situations d’apprentissages différentes de celles habituellement proposées en classe. Sur le plan professionnel, eTwinning est un moyen enrichissant de travailler sur la conception, la coordination et la gestion de projet. De plus, eTwinning me donne la possibilité de développer des partenariats à l’échelle locale, nationale et internationale me permettant ainsi de me créer un réseau professionnel solide.
Avez-vous des thématiques de projets sur lesquelles vous aimeriez travailler avec vos élèves dans vos futurs projets ?
Avec mes élèves, nous sommes actuellement engagés dans un projet eTwinning intitulé “Endémic@s” avec deux îles des Canaries et axé sur la thématique de l’endémisme insulaire. Cependant, depuis 2017, un projet me tient particulièrement à cœur et est solidement ancré dans mon esprit : la réalisation d’un roman-photo en écriture collaborative dans lequel nous pourrions imaginer une histoire commune mettant en scène les élèves partenaires de différentes nationalités et langues à l’image du film “l’auberge espagnole”.
« Je n’ai pas le temps », « je ne parle pas anglais », « je ne suis pas doué(e) en informatique ». C’est souvent ce que l’on entend dire quand on propose de faire un projet, quel qu’il soit. Que diriez-vous aux enseignants qui hésitent à se lancer dans un projet, et plus particulièrement un projet eTwinning ?
Lorsque je présente mes projets eTwinning à mes collègues, ces inquiétudes reviennent souvent. Pour répondre à leurs préoccupations, je leur explique que la durée d’un projet eTwinning peut être courte ou longue, que la communication entre partenaires peut se faire dans notre langue et que le projet peut être multilingue. Et enfin, je les informe que la prise en main de la plateforme est facilitée par les formations offertes par eTwinning et par Réseau Canopé avec un soutien disponible en permanence.
Vous avez récemment été nommée ambassadrice eTwinning dans l’académie de la Réunion. Pourquoi avoir accepté de le devenir ? Qu’attendez-vous de cette mission ?
C’est un plaisir pour moi d’avoir été nommée ambassadrice eTwinning. En 2014, le correspondant académique (Corac) de l’académie de la Réunion m’avait déjà fait cette proposition que j’avais déclinée à l’époque par manque d’expérience et de confiance en moi pour assumer une telle mission. Il m’a fallu 10 ans, quelques projets réussis et une solide confiance en moi pour accepter cette charge. J’ai accepté de devenir ambassadrice eTwinning afin d’accompagner les collègues dans la mise en place et la gestion de projet eTwinning. Je suis ravie de contribuer au développement de la formation des enseignants et de participer à mon humble niveau à l’ouverture internationale de l’académie. Par ailleurs, en tant que chargée de mission de formation auprès de l’inspection régionale d’espagnol, l’une de mes principales responsabilités consiste à accompagner les enseignants dans la réalisation de leur projet pédagogique avec des pays hispanophones. Je suis consciente que mon rôle d’ambassadrice eTwinning est un atout considérable renforçant ainsi mes compétences professionnelles et me permettant de soutenir efficacement mes collègues dans leur projet international.
Propos recueillis par Anthony Riou et Jean-Michel Le Baut
Le magazine “Fêtes et traditions d’ici et d’ailleurs”