La mariée est-elle trop belle ? Alors que les syndicats réagissent plutôt favorablement à la proposition ministérielle de réforme de la formation initiale des enseignants, des interrogations persistent sur les changements annoncés. Le ministère veut-il abaisser le niveau de la formation pour mieux contrôler les nouveaux enseignants ? Envisage-t-il réellement de recréer des postes d’enseignants ?
Un scénario ministériel plutôt bien accueilli
8 novembre : en réponse à la crise du recrutement, le ministre réunit les syndicats pour présenter trois scénarios de réforme de la formation initiale des enseignants. Il met en avant en particulier un scénario. Celui d’un concours de recrutement avancé en L3 (au lieu du master 2) pour « élargir le vivier », après une licence spéciale ou des licences pluridisciplinaires. Les candidats reçus seraient rémunérés comme élèves fonctionnaires en master 1 puis comme fonctionnaires stagiaires en master 2 en échange d’interventions en classe. La formation aurait lieu en Inspe.
Si cette proposition a été plutôt bien reçue par les syndicats c’est qu’elle prend ses distances avec la réforme Blanquer, les annonces d’E. Macron et les paroles de G. Attal. En 2019, le passage du concours en master 2 a rendu l’année de master très difficile pour les futurs enseignants. En août 2022, le changement est annoncé. E Macron dit : « il faut assumer que des gens s’engagent dans ce métier dès le bac« . Un an plus tard, début septembre 2023, il annonce le retour des écoles normales. Le 5 octobre, c’est Gabriel Attal qui » souhaite inventer les écoles normales du XXIème siècle qui puissent former des élèves après le bac« .
L’annonce du concours en L3 est plutôt bien accueillie car la formation finale reste de niveau master, a lieu en université et suit un titre universitaire. Les syndicats apprécient aussi que les élèves enseignants soient rémunérés durant leur formation. Sur ces deux points, le ministère semble avoir oublié les propos présidentiels et donner satisfaction aux syndicats.
Des critiques d’acteurs de la formation
Pourtant des voix s’élèvent contre ce projet. C’est d’abord la Société des agrégés qui craint que la future formation des certifiés soit « préjudiciable à la qualité du recrutement…Pour remettre les respect de l’autorité et les savoirs fondamentaux au cœur de l’École…, la formation initiale doit être disciplinairement solide« , estime la Société.
Parmi les formateurs, Didier Delignières estime que « au-delà de la question du positionnement du concours, c’est une évolution profonde de la formation des enseignants qui se joue, et une redéfinition de leurs missions. C’est la perspective d’une École sous contrôle, verrouillée par les prescriptions du ministère, centrée sur l’apprentissage de savoirs fondamentaux, misant davantage sur le formatage des élèves que sur leur émancipation« .
Le flou sur le contenu de la formation
En effet, la réforme annoncée par le ministère présente des flous qui justifient un accueil réservé. Le premier porte sur la formation des futurs enseignants. » Quelle sera la valeur de ce diplôme si la dernière année n’a été consacrée qu’à la préparation d’un concours, et surtout si cette préparation a été sanctionnée par un échec ?« , demande avec raison D Delignières à propos de la licence exigée pour se présenter au concours. Si ce type de licence existe dans des pays étrangers (anglo saxons par exemple), dans le système français on peut craindre que ses titulaires, en cas d’échec au concours, disposent d’un titre de peu de valeur.
Il est difficile de croire que le ministère abandonne vraiment son ambition de reprendre en main la formation des enseignants. Ambition qu’il a répétée à de nombreuses reprises. Et qu’il a mise en pratique. Il a lancé le PPPE (Parcours Préparatoire au Professorat des Ecoles) pour cette ambition. Le PPPE recrute des élèves de niveau bac qui suivent une préparation en lycée. Ce modèle bénéficie du soutien de la droite LR comme le montre la proposition de loi Brisson. Une majorité est donc possible sur ce point. Si le ministère promet une formation en Inspe, on peut se demander quel sera le contenu de la formation imposé par l’administration de l’Education nationale. Il est remarquable que, pour traiter de la formation des enseignants, le ministère de l’enseignement supérieur ait été absent le 5 novembre.
Le flou budgétaire
Un autre flou existe en ce qui concerne la rémunération des futurs enseignants. Ce n’est pas par hasard que le concours a été repoussé à la fin de M2. Cela faisait économiser près de 20 000 postes de fonctionnaires. La même manœuvre avait été réalisée par la droite en 2010 pour les mêmes raisons budgétaires.
La réforme proposée par le ministère le 5 novembre revient à créer 20 000 postes de fonctionnaires stagiaires et à rémunérer pendant une année un nombre équivalent d’élèves fonctionnaires. On voit mal comment cela est compatible avec l’engagement gouvernemental de stabiliser le nombre de postes de fonctionnaires d’ici 2027 ainsi que le budget de l’enseignement scolaire en 2024 et 2025. D’autant que la droite sénatoriale se mobilise pour imposer la réduction du nombre de fonctionnaires de 5% sur cette période.
Sur ces deux points, le financement de la réforme et la maitrise d’œuvre de la formation, des éclaircissements sont nécessaires. Pour le moment, les syndicats ne les ont pas. « On espère que le ministère a consulté Bercy« , nous confiait une responsable syndicale…
François Jarraud