Comment retracer 40 ans d’éducation prioritaire ? Sous la direction de Lydie Heurdier (Escol Paris 8) la revue Histoire de l’éducation livre un numéro (159) qui fait date. L’éducation prioritaire n’est pas vue sous l’angle du sociologue ou des sciences de l’éducation. C’est une approche historique que propose Lydie Heurdier. Et pour cela elle croise les sources, brossant une synthèse qui fait date, accompagnée de regards venus du terrain (la Zep de Nancy, le pilotage dans le Val d’Oise) et du sommet avec un intéressant échange entre Catherine Moisan et Anne-Marie Chartier. Parce qu’il y a non pas une mais des histoires d’une éducation prioritaire qui reste un projet politique non assumé.
L’éducation prioritaire, une politique pérenne mais discontinue
« L’éducation prioritaire, dont les parlementaires n’ont jamais débattu sur le fond, est depuis l’origine trop politique pour faire consensus« , écrit Lydie Heurdier dans la présentation de ce numéro 159 d’Histoire de l’éducation. « De fait, en mettant en avant les questions de démocratisation et de lutte contre les inégalités sociales et scolaires, elle aborde frontalement les positions idéologiques des uns et des autres. Ce qui entraîne des prises de position tranchées« . L’histoire de l’éducation prioritaire est celle d’avancées et de reculs, au gré des alternances politiques. Des visions opposées alternent dans une valse plus complexe que l’alternance entre gauche et droite. Ainsi Catherine Moisan, aux affaires sur ce sujet depuis l’origine, claque la porte du bureau de Chevènement.
Depuis les origines en 1981, sous Savary, Lydie Heurdier montre en détail cette alternance de moments de pilotage national fort et de remises en question, alternance bien montrée par nos amis de l’association OZP. Ainsi les années 2010-2012 voient un premier détricotage mené par JM Blanquer avec une confusion entre éducation prioritaire et lutte contre l’insécurité. Sous la houlette de V Peillon et JP Delahaye une nouvelle relance a lieu avec un pilotage affirmé, la création des Rep+, une démarche de formation des personnels. « Jean-Michel Blanquer, devenu ministre (17 mai 2017-20 mai 2022), n’a pas paru s’intéresser particulièrement à cette politique« , écrit L Heurdier et « la nomination d’un nouveau ministre en mai 2022 engendre de nouvelles incertitudes quant au devenir des réseaux d’éducation prioritaire« .
Ce que retient L Heurdier de ces 40 années c’est une politique pérenne mais discontinue. « L’intermittence dans le pilotage national, avec des temps de silence ministériel suivis de relances, ont complexifié le dispositif conçu comme transitoire par l’équipe d’Alain Savary, sans le stabiliser pour autant, ni le faire disparaître« . Surtout cette politique n’est toujours pas assumée politiquement et se heurte régulièrement aux orientations politiques éducatives des gouvernants. Par suite toute évaluation de l’éducation prioritaire lui semble impossible.
L’histoire des ZEP vue du terrain
Deux articles illustrent cette complexité. Catherine Dorison montre comment l’éducation prioritaire s’incarne dans les écoles primaires de Goussainville et Villiers le Bel (95). On y voit notamment l’importance qu’ont eu le GFEN et l’AFL et les rapports entre chercheurs et praticiens. « Les parcours individuels des acteurs et actrices témoignent du rôle capital d’une socialisation professionnelle par des pairs dans des dispositifs comme le groupe de recherche-action d’Ecouen« , écrit C Dorison.
Un autre haut lieu de l’éducation prioritaire est étudié par Xavier Riondet. Il s’agit de la ZEP du Haut du Lièvre à Nancy. On voit comment les équipes enseignantes luttent au quotidien contre des évolutions sociales désastreuses. Plus il s’investissent dans leurs projets, plus ils construisent, plus la société locale s’effondre, sapée par une misère montante et la ségrégation urbaine. « Rien n’est figé, tout est instable. Dans ce contexte particulier mais représentatif d’un certain nombre de territoires urbains, les questions sociales et politiques sont centrales« , résume L Heurdier. L’éducation nationale paralyse à certains moments le fonctionnement des réseaux, supprimant des postes, empêchant même le fonctionnement des conseils en convoquant des membres à des réunions académiques jugées plus « prioritaires »…
L’éducation prioritaire vue du ministère
Le sommet a t-il trahi la base ou la base les ambitions du sommet ? L’entretien de Catherine Moisan, aux fourneaux de l’éducation prioritaire dans le cabinet d’A Savary et co-autrice d’un rapport qui a fait date dans l’histoire de l’éducation prioritaire, apporte un intéressant éclairage surplombant. « Pour nous, le mot d’ordre, c’était « l’échec scolaire n’est pas une fatalité », comme disait le CRESAS« , rappelle-t-elle. « Au niveau pédagogique, dans la classe, le modèle des relations professeur-élèves reste très descendant. Le « bon prof », c’est celui qui fait en sorte d’avoir une classe attentive, qui écoute, écrit et les bons élèves sont ceux qui sont « autonomes », c’est-à- dire qui restituent sans aide ce qu’ils auront appris en cours« , explique-t-elle. « Il y a plusieurs problèmes dans la formation des maîtres. Former de bons étudiants dans une discipline, ça ne suffit pas pour former de futurs professionnels« . C Moisan va plus loin : « la question de fond, c’est celle du principe d’un concours« .
François Jarraud
Regards historiques sur 40 ans de politique d’éducation prioritaire en France (1981-2021), Histoire de l’éducation n°159.