« Faire vivre Tours en poésie » est une démarche partagée pour Claire Kalfon, présidente du printemps des poètes de la ville d’Indre et Loire (37) et pour Magali Escot, enseignante à l’école Rabelais. Toutes deux entraînent les élèves à la rencontre d’un poète et d’un univers qui déconstruit les règles de langue ordinaire pour inventer une autre beauté du monde.
Vingt-cinq printemps que mars se pare de poésie. Dans la ville de Tours, elle s’épanouit en musique, en slam, en danse ou en rencontres. Dans les quartiers, les salles d’exposition, les scènes, les librairies, les EPAHD ou les établissements scolaires. C’est ainsi qu’à l’école élémentaire Rabelais, les élèves de CE2 de Magali Escot ont été embarqués dans le printemps des poètes. Pour cette enseignante, « ce temps fort donne du sens » et ouvre des possibles multiples. « Sur une période courte, nous travaillons plusieurs entrées » précise-t-elle « La lecture, l’écoute, la production, la découverte d’un poète. C’est dense mais cela rend la poésie plus vivante ! »
Tout commence en janvier, avec la venue de Claire Kalfon, présidente du printemps des poètes de Tours, qui vient présenter l’évènement et lire des poèmes. Pour cette passionnée de poésie « C’est l’occasion de faire découvrir des styles diversifiés. Je fouille pour leur lire des poèmes parfois graves parfois légers. Le sens, la sonorité, la musicalité, l’humour… Mais j’aime surtout présenter des coups de cœur. La poésie, c’est d’abord un partage ! » Lors de cette venue dans la classe, elle choisit des poèmes sur les « Frontières », le thème de l’édition de cette année. Après une écoute attentive, les élèves posent leurs propres mots sous forme de « brainstorming », verbalisant ainsi des évocations, pas évidentes sur ce thème, qui seront regroupées dans une œuvre collective.
L’enseignante est ravie de ces interventions qui l’ont aidée à se lancer, à renouveler la sensibilisation à ce style littéraire. « Pour moi, c’est un appui » explique-t-elle. « Claire adore les jeux de sonorités, moi je suis plus attentive au thème. Cela multiplie les manières d’aborder la poésie. Sa culture nous sort aussi des répertoires traditionnels et amène des poètes contemporains. »
Comme des oiseaux qui racontent des poèmes
Et justement, Claire revient en février, cette fois-ci elle parle nature pour annoncer la venue prochaine de Constantin Kaïtéris, auteur des recueils « Un jardin sur le bout de la langue » ou « Sur un arbre perché » (édition Motus). Des livres jeunesse qui offrent des florilèges de textes sur les légumes, les fruits, les arbres en taquinant les mots, les implicites et les polysémies de la langue. « AU CŒUR DE L’OIGNON / L’oignon / Se pèle en pleurant. / Mais l’oignon / S’épelle en hésitant drôlement. » « L’arbre qui se cache dans la forêt vous l’avez vu ? Non ? Alors regardez d’un peu plus loin. »
Pour préparer la venue en classe du poète, les enfants s’entraînent à lire sept de ses poèmes que l’enseignante a sélectionnés. Une interprétation qui fait par ailleurs l’objet d’un enregistrement à destination des familles via le blog de la classe. « On a souvent tendance à faire apprendre des poèmes par cœur, je voulais me détacher de cette contrainte de la mémorisation. L’idée est d’écouter, de jouer avec les mots, les ambiances, les impressions. » précise Magali. Ainsi sur les paroles « allez les arbres », les enfants ont scandé comme des supporters dans un stade, sur le poème « Pour écouter la forêt », ils ont ralenti le rythme, baisser le ton et laisser le temps au silence. « Il faut dire que lors de cette période, nous menons en parallèle un projet théâtre, cela aide ! » avoue-t-elle. Ces lectures à plusieurs voix sont une surprise pour accueillir Constantin. Comme un cadeau. Il est en effet ému. « J’avais l’impression d’être dans une forêt avec des oiseaux qui racontaient des poèmes » leur témoigne-t-il.
Les élèves poursuivent leurs découvertes en créant des poèmes à partir de mots valises pour jouer à leur tour avec les noms et constituer un étonnant arboretum. Chaque végétal a comme une petite histoire : « LE SAULE RIEUR / Si vous êtes triste / Précipitez-vous sur cet arbre / Dites-lui une blague / Et vous l’entendrez rire ! » « LE HÊTRE A LHEURE / Pour découvrir cet arbre / Ne soyez pas en retard. »
Ces productions sont plus tard prolongées par des créations de haïkus, petits poèmes courts également. Pour l’enseignante « Ce n’est pas évidemment de déconstruire ainsi les règles apprises en grammaire et en syntaxe. Il faut oublier la ponctuation, gommer les déterminants, les qualitatifs. Il faut alléger, alléger… C’est la découverte d’une nouvelle esthétique. Cette complexité s’acquiert petit à petit, en s’entraînant, en écrivant, en écoutant des poèmes variés, en oralisant et en repérant ces changements pour sortir de la description ordinaire. »
Quand vient le temps de l’évènement du printemps des poètes, les enfants sont fiers d’accrocher leurs écrits, sur des supports en bambou, avec ceux de leurs camarades de l’autre classe de CE2. Ces « plantations de poèmes » sont installées place Rabelais, du côté du jardin Andrée Chedid où les prunus sont en fleurs. Les textes s’offrent aux passantes et aux passants qui s’arrêtent, prennent le temps de découvrir ces créations. Pour Claire, « offrir la poésie aux regards, la rendre accessible partout, à tout le monde, c’est lui donner vie ».
Cerise Lenoir