« Nous ne sommes pas dans un bras de fer avec le ministre de l’Éducation nationale » nous confie Philippe Delorme. « Nous sommes dans une discussion où chacun d’entre nous veille à ce que soient respectés les principes de la loi Debré. De notre côté, il s’agit de vivre pleinement notre caractère propre. Aucune affectation ne sera donc possible, nous ne toucherons pas à la liberté de choix des familles et la liberté de choix des établissements ». Aucun quota , pas de rattachement à une carte scolaire et pas d’affectations automatiques, autant de lignes rouges que le secrétaire général de l’enseignement catholique ne franchira pas. Le protocole, annoncé pour le 20 mars par le Ministre, ne fera donc pas de miracle. Qui plus est, le pouvoir du représentant des écoles catholiques sous contrat est limité, les établissements bénéficiant d’une large autonomie, il ne peut rien imposer. « On s’inscrit dans une trajectoire, ça va prendre du temps. Le protocole national va nous obliger à travailler à sa mise en œuvre institutionnellement avec les responsable locaux, les différentes tutelles, avec les partenaires financiers, avec les parents d’élèves. Il y a des freins financiers mais aussi culturels ».
Quels sont les critère de sélection des élèves pour intégrer une école privée catholique ?
Nous ne sélectionnons pas, nous accueillions nos élèves. Il n’existe pas de critères qui s’appliquent à tous les établissements. Nous avons une politique d’autonomie et de subsidiarité. Chaque établissement est marqué par son histoire, par son implantation géographique, par la tutelle dont il dépend – diocèse ou congrégation religieuse. Certains ont donc une tradition d’accueil de personnes en grande difficulté et d’autres ont comme critères de former des élites. Pour nous, « l’histoire » et l’implantation des établissements peuvent donc être un frein à une plus grande mixité sociale.
Les IPS montrent une forte concentration des classes favorisées dans le privé, accentuant ainsi la ségrégation scolaire. C’est donc l’implantation géographique et la tradition « d’accueil » des établissements qui justifient de tels écarts entre le privé et le public ?
Pas seulement. Le coût est un frein réel pour permettre à certaines familles d’exercer leur libre choix d’inscription dans nos établissements. Nous sommes capables de pratiquer des contributions très différenciées, comme dans certaines écoles, collèges ou lycées où la contribution est de 5 euros par mois. En revanche, la cantine reste toujours très élevée, aux alentours de 7 euros. Pour vous donner un exemple précis, pour la rentrée 2022, Stanislas à Paris avait retenu par classe préparatoire entre quinze et vingt élèves boursiers. Entre zéro et deux seulement ont choisi de s’inscrire. Le coût de la cantine et certains frais incompressibles sont des freins redoutables pour certaines familles.
Augmenter le taux de boursiers ne suffira donc pas à attirer les familles les plus défavorisées, il faut une prise en charge globale : cantine et transport scolaire quand il est nécessaire.
Vous demandez donc que les collectivités prennent en charge la cantine et les transports scolaires ?
On parle de mixité sociale ! Mais qui fait l’effort aujourd’hui, au-delà de montrer le « voisin » du doigt ? Aujourd’hui, si une famille paie un euro pour la cantine de son enfant dans le public, je veux que cette famille puisse payer un euro dans le privé, et qu’ainsi elle puisse choisir… Nous demandons une forme d’équité avec le public avec une prise en charge de la cantine par la collectivité à part égale.
C’est donc une manne financière pour vous. Vous allez attirer plus d’élèves dans le privé…
La prise en charge de la cantine, c’est une aide juste pour les familles les plus démunies. Et puis, on ne peut pas nous demander de prendre plus d’élèves pour davantage de mixité et nous faire un procès de ce type. Il faut savoir que les établissements les plus pointés sur leur manque de mixité sont des établissements qui débordent, il n’y aura donc pas plus d’élèves dans ces établissements. Et puis si on parle de manne financière, elle n’est pas pour nous, elle est pour les familles qui pourront enfin exercer leur libre choix d’établissement en n’étant pas contraint par le coût élevé de la cantine et du transport scolaire. Finalement, c’est aller au bout de la loi Debré.
Vous évoquiez en préambule les lignes rouges à ne pas franchir pour arriver à un « accord » avec le ministre. Pas d’affectation automatique des élèves, pas de quotas et pas d’intégration dans la carte scolaire. On peut comprendre qu’il est difficile d’imposer aux familles une affectation dans un établissement catholique. Mais pourquoi tenez-vous tant au libre choix des établissements ?
L’inscription d’un élève chez nous, c’est d’abord l’inscription d’un enfant. C’est le fruit d’une rencontre. Parfois, si on se contente d’un dossier scolaire, on ne prend pas l’élève. C’est lors du contact avec la famille et l’élève que l’on sent si ces derniers adoptent, adhérent au projet de l’établissement.
Il n’existe, bien entendu, aucun critère religieux. Nous accueillions les élèves quelle que soient leurs convictions religieuses, ou non religieuses du reste.
On vous reproche souvent d’effectuer une sorte de tri des élèves, de renvoyer ceux qui n’auraient pas le niveau, de peu scolariser les élèves en situation de handicap. Qu’en est-il ?
Le tri des élèves existe, je ne peux le nier mais c’est à la marge. Au niveau national, nous ne cautionnons pas, nous ne soutenons pas ce type d’agissements très éloignés des valeurs portées par le christianisme. Il y a beaucoup plus de lieux où on n’accueille la difficulté scolaire que de lieux où on écarte les élèves en difficulté.
Quant aux élèves en situation de handicap, ce n’est pas très juste de dire que nous ne prenons pas notre part. Cela fait maintenant dix ans que nous avons agi pour le développement de dispositifs ULIS. 450 emplois y ont été consacrés. Nous aurions pu décider d’ouvrir dans des établissements plus sélectifs, mais nous avons fait le choix de l’inclusion. Nous avons aujourd’hui un beau maillage territorial. En revanche, nous rencontrons toujours de grosses difficultés pour l’accompagnement de ces élèves lors de la pause méridienne en raison de la non prise en charge des AESH par l’État.
Pour revenir au protocole mixité qui devrait être annoncé sous peu, comment comptez-vous « convaincre » les établissements ? Vous n’avez finalement pas tant de pouvoir sur eux…
Il faut une politique incitative portée par l’ensemble de l’institution et les acteurs de l’institution pour veiller à accueillir plus d’élèves boursiers. Si on a une parité des aides sociales pour les enfants boursiers, on pourra s’engager sur une évolution significative du taux de ces élèves. Le paradigme changera, les familles, informées de cette parité, viendront plus facilement vers nous. Nous ne refusons jamais d’élève au motif qu’il vient d’un milieu défavorisé. Mais Il y a une forme d’autocensure de la part de certaines familles défavorisées. Si nous, écoles catholiques, n’appliquons pas les valeurs chrétiennes qui nous caractérisent, où allons-nous. Solidarité et fraternité ne sont pas de vains mots pour nous.
Autre levier de régulation, l’allocation des moyens en fonction du profil social de l’établissement, que nous appliquons d’ailleurs depuis longtemps. Je m’explique. Lorsque nous répartissons les moyens au niveau académiques, nous les pondérons déjà. Il ne nous semble pas inconcevable de voir 34 élèves par classes dans le 7ème arrondissement de Paris, en revanche en Seine-Saint-Denis, nous veillons à avoir un taux d’encadrement plus bas. Pour aller plus loin, nous étions contre le « 24 par classe » du Ministère qui ne tient pas compte du profil social de l’établissement.
Il y aurait des bonus-malus en fonction du nombre d’élèves boursiers ?
Au niveau des enseignants, le ministère peut difficilement appliquer des malus, cela serait contraire au contrat d’association. Par ailleurs, il serait injuste que des lycées ne puissent plus proposer certaines options au prétexte que les élèves qu’ils accueillent sont de milieux favorisés. Cela n’aurait de toutes façons que très peu d’effets, les familles de ces élèves acceptant de payer plus pour ces options. Cela renforcerait la non mixité sociale.
Une part de forfait modulé comme à Paris ou à Toulouse nous semble une alternative intéressante. Il s’agit de moduler le forfait départemental ou régional établissements par établissements en fonction de certains critères de mixité.
De plus, la part du forfait d’externat alloué par l’état est déjà modulé en fonction des élèves reçus et ce depuis plus de trente ans. C’est-à-dire, qu’un élève d’ULIS, par exemple, bénéficie d’un forfait deux fois plus important qu’un élève lambda. C’est une modulation que l’on pourrait adapter aux élèves boursiers. Dans une limite raisonnable, sinon pour tenir leur équilibre financier, certains établissements devront augmenter leur frais. Nos établissements, à but non lucratif, sont régis par des lois 1901, ils sont loin d’être riches.
Justement, la crise semble aussi mettre à mal les établissements privés ?
En effet, la hausse des tarifs d’énergie met à mal certains établissements. La loi Egalim qui nous oblige à diversifier ce qui est dans l’assiette des élèves, nous revient très cher. Nous avons un modèle économique fragile.
Certaines familles ne peuvent plus se permettre le choix du privé sous contrat. Nous avons perdu 18 000 élèves à cette rentrée, et pas seulement pour des raisons démographiques, et en même temps l’IPS a augmenté de 3 points. Il y a un vrai effet ciseau pour nos familles : une perte de pouvoir d’achat et une hausse de nos coûts qui nécessite une augmentation même modérer des contributions.
Plus d’élèves boursiers permettra donc de « renflouer » les caisses ?
Pas vraiment. On ne peut nier que plus d’élèves boursiers, ce sera plus d’élèves accueillis mais c’est loin d’être la raison qui guide notre volonté d’aller vers plus de mixité. Comme je l’ai déjà dit, ce sont des valeurs de fraternité et de solidarité qui guident notre action.
C’est de notre devoir d’agir pour être davantage présent dans des lieux ségrégués. On pourrait, par exemple, imaginer qu’un établissement délocalise une partie de ses locaux sur un territoire un difficulté. Le protocole que nous allons signer permettrait plus d’expérimentations de ce type.
Pour conclure, nous ne tendons pas vers plus de mixité car cela serait une manne financière. Si nous étions aux abois, je vais le dire un peu brutalement, nous fermerions des classes dans des établissements défavorisés et ouvririons là où les parents peuvent payer plus cher la scolarité de leur enfant…
Concernant l’éducation prioritaire, combien d’établissements bénéficient du label et sous quelles conditions ?
Aujourd’hui 14 établissements sont concernés. Nous souhaiterions que cette politique, les CLA, soit développée, cela va dans le sens de plus d’autonomie des établissements. Pour nous les CLA sont très innovants car c’est la première fois qu’un programme de l’état peut nous permettre d’à la fois jouer sur les moyens d’enseignement et sur des moyens en « euros », donc sur le personnel enseignant et d’établissement. Ainsi, on a développé des projets autour de l’accompagnement sur travail scolaire après l’école avec les parents, par exemple.
Concernant les conditions, les établissements retenus ont un profil social défavorisé (IPS) et un projet qui a été amendé par le rectorat.
Propos recueillis par Lilia Ben Hamouda