Le sexisme perdure, malgrè une volonté politique affichée de l’éradiquer. Quel rôle l’école peut-elle jouer dans la déconstruction – voir la non-construction – des inégalités de genre ? « De manière générale, l’école est un lieu de reproduction sociale mais aussi un lieu de changement social. Le fait de travailler les questions d’égalité fille/garçon à l’école est facteur de changement » explique Christine Morin Messabel, professeure psychologie sociale à l’université Lumière Lyon 2, qui répond aux questions du Café pédagogique.
Le rapport du haut conseil de l’égalité note que le sexisme perdure. Quelles sont ses principales manifestations ?
Le sexisme est fondé sur le principe qui pose un rapport hiérarchique entre les deux catégories de sexe. Il supporte l’idée d’une inégalité entre les femmes et les hommes. En psychologie sociale, le sexisme est étudié du point de vue des stéréotypes de genre, des préjugés et des discriminations. Le sexisme peut prendre des formes différentes : le sexisme hostile, le sexisme bienveillant. A titre d’exemple, le sexisme hostile se traduit par des attitudes négatives hostiles envers les femmes comme les remarques sexistes. Le sexisme bienveillant lui est plus diffus car il repose sur des attitudes bienveillantes envers les femmes qui correspondent aux stéréotypes associés à leur catégorie. « Vous les femmes vous êtes si douces et gentilles ». Dans la notion de sexisme, il y a la question du rapport de pouvoir et des positions sociales assignées aux deux sexes.
Comment l’expliquez-vous ?
La société est structurée et organisé par la catégorisation de sexe dès la naissance. Beaucoup de travaux s’intéressent à la socialisation différenciée filles/garçons. Par exemple, les jouets offerts aux enfants ne sont pas les mêmes selon le sexe de l’enfant. Les filles vont recevoir plus souvent des jeux d’imitation en lien avec le maternage, la cuisine tandis que les garçons auront plus souvent des voitures, des jeux de construction. Concernant les apprentissages et les disciplines scolaires, il existe une croyance selon laquelle les garçons sont intrinséquement meilleurs en mathématqiues : la fameuse « bosse des maths ». Des stéréotypes qui expliquent les stratégies d’orientation des élèves avec les garçons qui choisissent plus facilement les filières scientifiques et mathématiques tandis que les filles vont vers les métiers du care.
L’école joue-t-elle son rôle ?
Oui, depuis les années 80 au niveau ministériel, il y a une prise de conscience et une réflexion autour de l’égalité fille/garçon. Une nouvelle convention 2019-2024 vient d’être éditée. Dans les INSPE, les formations sur les questions d’égalité se font mais ces questions sont complexes. Il faudrait sensibiliser de manière plus importante à la fois en formation initiale et en formation continue car c’est une formation lourde qui demande du temps. L’école reproduit les stéréotypes de genre dans le sens où l’on observe encore un rapport genré en matière d’orientation. Comme le montrent les travaux de Nicole Mosconi, les représentations enseignants/enseignés, l’influence des pairs, le rapport aux disciplines scolaires ont un impact sur les stratégies scolaires et d’orientation. Les enseignantes et les enseignants peuvent mobiliser dans leurs pratiques des éléments stéréotypés car cela relève d’automatismes, l’important est d’en prendre conscience pour pouvoir les contrôler.
Que faut-il améliorer dans les enseignements ?
Il faut s’attaquer aux stéréotypes de genre dès le plus jeune âge pour construire des compétences prosociales c’est-à-dire travailler le rapport à l’autre et l’estime de soi. Faire attention, dans les pratiques scolaires, à ne pas mobiliser des pratiques stéréotypées. Par exemple, avoir une réflexion sur les coins jeux en maternelle pour qu’ils soient créatifs, imaginatifs et non genrés. On peut avoir une démarche d’analyse de prise de parole, une réflexion sur les albums ou romans avec lesquels on travaille en classe ou encore sur les activités sportives pratiquées. Amener les élèves à analyser la place des femmes dans les manuels, à se rendre compte par eux-mêmes sur des thèmes variés du rapport à l’autre, des stéréotypes associés aux deux catégories de sexe est aussi une piste. Les cours de récréation sont souvent genrées, les organiser autrement, les penser avec les élèves permet de lutter contre les stéréotypes. Il convient également d’avoir une réflexion sur la question du rapport aux disciplines scientifiques et techniques mais aussi de questionner le rapport qu’ont les garçons dans la compréhension de l’écrit. En effet les stéréotypes impactent les deux sexes dans le rapport aux savoirs.
De quoi ont besoin les personnels enseignants ?
De formation, d’outils, de temps pour échanger, d’aide dans la mise en place d’action. De nombreuses actions sont mises en place dans les établissements scolaires, il faudrait qu’elles soient rendues plus visibles pour permettre de construire un réseau, donner des outils qui pourraient être utilisés par d’autres, de renforcer la coopération. De manière générale, l’école est un lieu de reproduction sociale mais aussi un lieu de changement social. Le fait de travailler les questions d’égalité fille/garçon à l’école est facteur de changement.
Propos recueillis par Lili Jeanne