Dans un essai paru vendredi dernier « Parlez-vous le Parcoursup ? », Johan Faerber, enseignant en lycée et à l’université, tire à boulets rouges sur Parcoursup, plateforme mise en place par Blanquer pour gérer les inscriptions des quelques centaines de milliers de bacheliers. Il répond aux questions du Café pédagogique.
En quoi Parcoursup amplifie-t-il les inégalités ?
Parcoursup se présente comme un coup d’État numérique dans nos vies. En effet, à rebours de ce que Jean-Michel Blanquer annonçait en 2018, Parcoursup n’est pas cet outil correctif des inégalités dont le ministre a alors bien voulu nous parler de matinale en matinale. De fait, Parcoursup n’instaure aucune justice sociale. Au contraire, en les entérinant, Parcoursup numérise les inégalités tant la plateforme informatique atteste d’un changement de paradigme social et pédagogique. Avant 2018, en effet, l’obtention du baccalauréat assurait une place de droit au jeune bachelier : l’État avait le devoir de lui trouver une place dans l’Enseignement supérieur. Mais, désormais, le bac ne garantit plus de droit cette place dans un cycle supérieur. Pourquoi ? Parce que Parcoursup met en place un système de sélection, de tri qui repose sur une équation simple : il n’y a pas eu, depuis bientôt 20 ans, de création de places d’étudiants en nombre suffisant dans le Supérieur. Pas de création d’universités à l’instar de la loi « Université 2000 » de Lionel Jospin qui avait fait alors sortir de terre 8 universités et 24 IUT. Il n’y a eu ainsi aucune création de postes de maîtres de conférences et de professeurs des Universités à la mesure de ce qui depuis le début des années 2000 n’a cessé de faire événement en France : le Baby-Boom qui, chaque année, voyait près de 700 000 nouvelles naissances dont 80% allait, selon le vœu de Chevènement en 1985, former une classe d’âge en mesure d’obtenir le bac.
Aucune politique éducative n’a accompagné ce formidable bond de natalité car, très tôt, le choix a été fait de ne pas investir. Si bien qu’à terme il y a plus de demande que d’offre, plus de bacheliers que de places dans le Supérieur. Voilà ainsi une inégalité dont Macron a pleinement conscience, lui qui, dès 2017, a mené une politique oligarchique et élitaire de l’enseignement supérieur en affirmant notamment qu’il fallait mettre fin à ce qu’il désignait « le mythe de l’université pour tous ». Parcoursup ne corrige donc pas les inégalités mais au contraire les creuse en se proposant d’être un outil gestionnaire et comptable d’une pénurie savamment entretenue. Parcoursup n’est rien d’autre que l’outil servile de l’austérité numérisée.
En quoi Parcoursup est différent d’APB ?
Parcoursup accentue les défauts d’APB en les érigeant en système. Mis en place en 2009, APB proposait de réguler l’accession au Supérieur en suivant les vœux hiérarchisés des élèves mais, très vite, cette plateforme s’est heurtée, dès 2016, à de violentes et justes critiques : opacité des algorithmes et tirage au sort, à la marge, de candidats dans les filières en tension comme STAPS et métiers de la Santé. C’est à ce moment précis qu’il aurait fallu créer des places car c’est tout le système qui entrait alors en tension par manque de places. Cependant, au lieu de résoudre ce problème structurel, Macron a fait le choix avec Parcoursup d’étendre à l’ensemble du Supérieur cette tension en mettant en œuvre une sélection qui ne dit pas son nom et en posant l’attribution de places au mérite, attribution sélective rejouant le mythe droitier et faisandé de la méritocratie, qui est toujours un darwinisme social n’osant dire son nom. Car Parcoursup n’oriente pas : Parcoursup sélectionne, Parcoursup trie, Parcoursup institutionnalise et généralise ce qu’APB pratiquait déjà mais uniquement à la marge : l’apprentissage de la maltraitance comme rituel d’entrée dans l’âge adulte. La leçon est aussi glaçante que terrible.
Quels effets sur les élèves ?
Parcoursup a indubitablement un effet aussi nocif que délétère sur les élèves. C’est peu de dire que le stress est désormais l’acteur social principal de la vie au lycée. Ce n’est pas moi qui le dis mais Emmanuel Macron lui-même qui, lors de la Présidentielle de 2022, a admis que Parcoursup est « une usine à stress ». Car Parcoursup manufacture effectivement l’inquiétude à grande échelle dans un but qui est avant tout managérial, à savoir substituer à la question politique de l’absence anti-démocratique d’investissement dans le Supérieur un problème d’ordre psychologique. Ainsi quand l’élève n’échoue en n’obtenant pas de place à l’issue des différentes phases de Parcoursup, il s’agit pour l’État de se défausser de son irresponsabilité en sur-responsabilisant l’adolescent, en lui faisant vivre le manque structurel de places pour un échec personnel. Le stress généré par la plateforme, au cœur de laquelle l’élève s’est engagé par la production d’une lettre de motivation, aboutit à une implacable chaîne anxiogène : individualisation, responsabilisation, culpabilisation. Le stress, c’est l’algorithme social par excellence du néo-libéralisme éducatif dont Parcoursup apparaît à présent comme le fer-de-lance.
En tant que prof, constatez-vous vraiment le tri social, moins d’élèves vont dans la filière choisie dans le supérieur ?
Que Parcoursup opère un tri social, c’est désormais une évidence absolue. Parcoursup s’offre ainsi comme l’outil ségrégatif de la violence bourgeoise la plus éhontée dans la mesure où elle prend le paravent du numérique qui dédouane de toute responsabilité, de toute poursuite, de tout discours public. Parcoursup en effet exerce une violence managériale qui s’impose de plus en plus comme l’unique grille de lecture capable de rendre compte de ce qui se trame depuis des années dans l’Éducation Nationale. Cette violence d’État, puisque malheureusement elle se désigne ainsi à nous, s’exerce selon deux modalités qui opèrent un tri social. Deux modalités que je ne suis pas le premier à dénoncer puisque, depuis 2020, la si peu progressiste Cour des Comptes elle-même pointe le rôle sélectif de la réputation du lycée d’origine et des algorithmes locaux. Ces deux éléments, sur lesquels le voile n’est jamais vraiment levé, entretiennent une opacité terrible du système, source même d’une sauvagerie discriminatoire. Car pourquoi Pierre Mathiot, manager de la réforme du baccalauréat, affirme qu’à Science Po. Lille qu’il préside les moyennes de certains lycées sont, dit-il, « corrigées » selon les territoires ? Qu’est-ce qui permet de dire qu’un lycée de centre-ville est meilleur qu’un lycée de banlieue ou un lycée à la campagne sinon les préjugés de classe ? Ne s’appuyant jamais sur des données chiffrées, sur des barèmes publics, l’opération ressemble à s’y méprendre à un tri dont l’arbitraire classiste semble être le maître mot…
Et le tri social s’accentue car avec l’angoisse générée par Parcoursup s’ouvre une manière d’incitation passive au privé, notamment aux écoles privées, hors Parcoursup…
Mais alors quelle solution ?
La solution tient en trois mots : investir, investir, investir. Il ne faut pas, d’emblée, avoir peur de le dire et par-dessus tout de le répéter car parler le Parcoursup, c’est parler la langue des cabinets de conseil qui siphonnent les finances publiques, qui abusent comme l’a lui-même reconnu sans peine Bruno Lemaire, ministre de l’Économie. « Investir » est le mot honni de Parcoursup qui ne parle que la langue des cost killers et autres auditeurs financiers. La réforme du bac en a déjà fait l’expérience qui n’est en rien pédagogique ni intellectuelle, nous le savons tous : c’est une réforme managériale visant à baisser les coûts de revient d’un examen qui fonde l’égalité républicaine. En supprimant une large part des examens finaux, Blanquer a voulu faire des économies sur la République : on ne peut ensuite venir se plaindre comme lui que l’idéal républicain soit fragilisé, la cohésion des territoires s’en ressent plus que jamais. Parcoursup participe de ce même esprit anti-démocratique, hostile au fonctionnement républicain, fondamentalement néolibéral. Une seule solution alors : créer autant de places que de néobacheliers souhaitant poursuivre dans le Supérieur car Parcoursup n’est pas une fatalité. Il suffit d’investir, et la sélection, donc l’injustice, pourra disparaître. Mais Macron le sait, la démocratie coûte cher et, manifestement, sa politique éducative a oublié de s’en donner les moyens.
Propos recueillis par Lilia Ben Hamouda
« Parlez-vous le Parcoursup?« . Éditions Seuil, Collection Libelle.
ISBN 9782022152977