"En avril, deux choix se présentent au pays. Celui de poursuivre la vieille politique des Sarkozy, Hollande et Macron ou celui de préparer notre avenir". Dans sa "lettre aux enseignants", le candidat LFI promet une rupture complète avec les politiques éducatives menées depuis 15 ans. S’il cible particulièrement la politique portée par JM Blanquer, il critique aussi ce qui s’est fait entre 2012 et 2017. C’est toute la difficulté du programme de JL Mélenchon : revenir à une conception très étatiste et centralisée de l’éducation tout en promouvant l’émancipation et la coopération.
La rupture
" Les réformes néolibérales des trois derniers quinquennats ont creusé les inégalités. Les gouvernements successifs se sont accommodés de l’échec de milliers d’élèves. Ils ont fait de l’éducation un marché, de l’élève et des parents des client·es, des enseignant·es des exécutant·es, portant atteinte aux principes républicains d’égalité, de gratuité et de laïcité. Dans le même temps, les finalités de l’école ont été inversées au profit d’une vision minimaliste et utilitariste, subordonnée aux directives européennes qui promeuvent “l’économie de la connaissance”. Dès les premières lignées du livret éducation, le programme de JL Mélenchon se positionne en inscrivant dans la même continuité Luc Chatel, V Peillon, N Vallaud-Belkacem et JM Blanquer, une perspective qui doit faire sursauter ces ministres qui ont mené des politiques souvent opposées.
160 000 recrutements
La rupture portée par JL Mélenchon se lit d’abord dans son budget. Il promet 160 000 professeurs recrutés sur le quinquennat. Même si on inclut les 66 000 professeurs contractuels dans ce nombre, c’est un objectif très ambitieux. JL Mélenchon pense l’atteindre à travers une revalorisation des enseignants (15% de hausse de salaire pour tous tout de suite puis 15% négociés avec les syndicats) et des prérecrutements commençant dès la terminale. S’y ajoutent 8000 CPE, 6000 médecins, infirmiers et psy-en.
Gratuité et mixité sociale
Il promet aussi la gratuité de l’éducation, c’est à dire celle des cantines scolaires (qui aujourd’hui sont financées par les collectivités locales), des transports scolaires (idem) et du périscolaire (idem). L’extension de la scolarité obligatoire à 18 ans est rendue possible par le versement d’une allocation de 1060€ par mois aux lycéens professionnels.
JL Mélenchon veut aussi imposer la mixité sociale dans les établissements scolaires en "instaurant une nouvelle carte scolaire mettant fin à la ségrégation scolaire". Il veut lutter contre son contournement en modulant le financement des établissements privés en fonction de leur respect de la carte scolaire.
Une école du bien être
En même temps, JL Mélenchon promet "une école où il fait bon apprendre". C’est à dire une réhabilitation des locaux scolaires avec des espaces détentes et des salles de sport. L’idée de " densifier le maillage des établissements en zone rurale afin de limiter à 15 minutes les temps de transport scolaire" laissera peut-être les géographes rêveurs…
Une des plus importantes réformes promises c’est l’abaissement du nombre d’élèves par classe à 19 au maximum, 15 en lycée professionnel. Le passage se ferait par étape au long du quinquennat et de l’embauche des 160 000 professeurs.
Il promet une école qui encourage la coopération : " encourager les formes coopératives de travail et favoriser le tutorat entre élèves par des pédagogies adaptées et la valorisation des réalisations et des activités collectives. Privilégier une évaluation qui valorise la progression des élèves et interdire tout classement". Il est question d’ouvrir des classes artistiques et de multiplier les résidences artistiques.
Recentralisation
Si le candidat semble suivre l’air du temps, ces promesses sont tempérées par une conception très centralisée de l’éducation. JL Mélenchon veut "restaurer le cadrage national des diplômes et des programmes" et "restaurer le cadrage national des horaires, notamment en réatblissant le fléchage par discipline des dédoublements. Il envisage de "redéfinir les rythmes scolaires en revenant à un cadrage national" sans qu’on sache précisément dans quel sens, mais en rendant "cohérents scolaire et périscolaire".
Comment assurer plus de mixité sociale ?
Ce programme de rupture avec les quinquennats précédents pose évidemment question. D’abord sur le programme de mixité sociale dans les établissements. On voit bien que la carte scolaire peut reproduire une ségrégation géographique des publics scolaires. C’est ce qu’on voit par exemple avec la réforme Affelnet à Paris. Si dans certains établissements en obligeant les jeunes à choisir dans des lycées d’une zone géographique proche elle renforce la mixité, il n’en est rien dans des arrondissements très ségrégués comme le 16ème arrondissement. Là la réforme renforce plutôt la ségrégation.
Paul Vannier, responsable du programme éducation de JL Mélenchon, a des réponses à ces questions. "Le programme éducatif n’est pas séparé du reste", nous a t-il dit. "Il y aura une politique du logement et un développement des transports scolaires gratuits pour appuyer notre volonté d’aller vers la mixité. On jouera sur tous les leviers". La mixité sociale peut-elle être imposée aux municipalités ? La mixité sociale "est une question d’intérêt national qui ne peut pas être laissée aux choix locaux. Il faudra discuter avec les collectivités territoriales".
Comment recruter 160 000 enseignants ?
Recruter 160 000 enseignants semble aussi un pari très difficile à gagner. On se rappelle que de 2012 à 2017, les gouvernements de F Hollande ont eu bien du mal à recruter 60 000 professeurs. En réalité le nombre de 60 000 n’a été atteint qu’en incluant des non enseignants. Outre les prérecrutements et la revalorisation, P Vannier pense atteindre ce nombre en misant aussi sur une meilleure considération pour le métier enseignant. "Il faut souligner le rôle essentiel des enseignants pour le pays. Il faut les conforter dans leur exercice du métier", nous dit-il, "et les assurer du soutien de l’administration quand ils sont mis en difficulté par des parents". Une déclaration qui reprend des propos de JM Blanquer. La suite s’en détache. "On propose de revenir sur la réforme du lycée qui en multipliant les évaluations et le controle continu a aussi multiplié les occasions de conflit entre enseignants et familles". Ce ne sont pas les professeurs de lycée qui démentiront…
Comment trouver 25 milliards pour l’éducation ?
Comme les autres candidats, le budget annoncé par JL Mélenchon semble peu assuré. Mais comme c’est le plus important pour l’éducation, il l’est moins que les autres. Selon P Vannier, la revalorisation salariale des personnels d’éducation et les embauches représentent 17 milliards supplémentaires pour le budget de l’Education nationale et le programme de gratuité réelle de l’enseignement 8 milliards. On dépasserait un point de PIB. La dépense d’éducation retrouverait son niveau des années 1990. Mais dans une période de récession économique suite à la crise sanitaire, d’endettement monstre et de guerre en Europe générant de nouveaux besoins budgétaires. Selon P Vannier, "une révolution fiscale" et la réforme de la fiscalité sur les successions devrait permettre d’y faire face avec les retombées budgétaires d’une politique de relance grâce aux augmentations de salaire. Comment concilier ce budget avec le maintien dans l’Europe est un autre problème.
Comment concilier bien-être, liberté pédagogique et centralisme ?
Où va aussi la politique pédagogique ? Le programme de JL Mélenchon semble concilier des écoles différentes. D’un coté il y a la volonté de rompre avec les réformes conduites sous F Hollande et sous E Macron. " Rompre avec la logique de la réforme du collège de 2016 : replacer les disciplines au coeur des apprentissages en rétablissant des horaires suffisants et fléchés, y compris pour des dédoublements, pour chacune d’entre elles ; prévoir les moyens pour proposer partout des options (seconde langue vivante en 6e, langues anciennes, etc.) sans mettre en concurrence les disciplines. Abroger la réforme du lycée général ; repenser son organisation afin de ne plus contraindre les élèves à renoncer à des enseignements disciplinaires indispensables à leur formation intellectuelle et à leur poursuite d’études ; renouer avec une organisation fondée sur le groupe classe, avec une équipe pédagogique composée d’un·e seul·e enseignant·e par discipline et un emploi du temps cohérent. Renforcer les enseignements généraux dans la voie professionnelle". Et le programme promet des cadrages nationaux. En même temps il est question de pédagogie de la coopération, de tutorat entre pairs pour les élèves, d’une évaluation aidante. Comment promettre une école du bien être et de l’évaluation positive avec des cadrages nationaux des horaires, des programmes et la maitrise par les enseignants de leur évaluation ? "On conjugue tout cela avec la liberté pédagogique", nous a répondu Paul Vannier. "C’est elle qui permet au professeur de choisir par quel moyen il transmet les savoirs, le même programme".
"Vos votes peuvent tout changer", écrit JL Mélenchon en conclusion de sa lettre aux enseignants. Sur ce point aucun débat : avec leurs 870 000 voix, les enseignants peuvent changer les résultats du 1er tour et par suite le sens du second. En 2017, selon un sondage Ifop, 73% d’entre eux avaient voté pour le premier tour, soit sensiblement autant qu’en 2012. E Macron avait recueilli 38% des suffrages des enseignants. JL Mélenchon arrivait second avec 23% de leurs voix. Les 5 années du ministère Blanquer ne devraient pas pousser les enseignants à renouveler le même score pour E Macron.
François Jarraud