La nouvelle « La Parure » de Maupassant est un incontournable du patrimoine scolaire : et si pour en revitaliser l’approche on amenait les élèves à la réécrire ? Cette performance pédagogique a été réalisée par les 4èmes d’Elodie Lahaye, professeure de français au collège Honoré de Balzac à Azay-Le-Rideau. Leur mission, étonnante, stimulante, féconde, a été de transformer la nouvelle réaliste en nouvelle fantastique. Au programme : lectures et annotations du texte, choix des interstices où se glisser, scénarisation et écriture collaborative sur pad, mise en voix avec accompagnement sonore. La dynamique de classe est forte. Et la pratique transformative de la littérature permet de « comprendre la richesse d’une œuvre qui finalement ne nous dit jamais totalement tout »…
Ce travail a été mené avec Glose : de quoi s’agit-il ?
Glose est une bibliothèque numérique, mais c’est surtout une plateforme de lecture collaborative. Il est possible d’annoter, de commenter directement le livre en cours directement grâce à un support numérique (ordinateur, tablette, smartphone). Il s’agit donc d’un réseau social de lecteur où chacun peut écrire, se questionner, répondre à l’autre, partager ses émotions et impressions. L’intérêt réside aussi dans le fait que chaque élève peut adapter la police, la taille, la présentation du texte pour un plus grand confort de lecture.
Comment avez-vous utilisé cette plateforme avec les élèves ?
Avec la plateforme conçue pour l’éducation, j’ai créé une classe et invité les élèves à m’y rejoindre. J’avais déjà inséré dans la bibliothèque de la classe des textes lus et des nouveaux pour les inciter à lire. Pour le travail sur « La Parure », j’ai demandé aux élèves de relire la nouvelle qu’ils connaissaient déjà et de commenter le texte afin de déterminer à quels moments, dans quels blancs du texte nous pourrions ajouter des éléments. Cette relecture a permis de revoir les caractéristiques du réalisme et de s’interroger sur le personnage principal et ses motivations.
Les élèves se glissent dans les interstices du récit : comme se sont opérés les choix des passages à enrichir ?
Les élèves ont dans un premier temps fait des propositions sur Glose dans les commentaires du texte avec pour seule consigne de réfléchir aux endroits susceptibles de faire basculer le récit dans le fantastique. Cette première étape a donc été réalisée en dehors de la classe sans aucune intervention de ma part. Très rapidement, il est apparu logique aux élèves de faire de la rivière de diamants l’objet fantastique. Puis ils se sont interrogés sur les lieux, les personnages, les événements. De véritables réflexions liées à la cohérence de la nouvelle et aussi à l’époque ont eu lieu : à quoi ressemblait le Ministère qui ne pouvait pas devenir un château hanté ? comment évoquer les grands magasins pour parler de la tenue choisie par Mathilde ?
Comment avez-vous mené le travail de scénarisation et d’écriture des passages rajoutés ?
Suite au travail mené sur Glose, en classe entière, nous avons pris en compte les différentes propositions et fait des choix afin de rédiger sept épisodes qui reprennent les codes du genre fantastique que nous venions d’aborder dans le cadre du questionnement « La fiction pour interroger le réel ». Une fois le contenu des épisodes déterminés par le groupe, ils se sont répartis les épisodes et ont travaillé à partir d’un logiciel collaboratif : Framapad. Ainsi chaque groupe pouvait consulter le pad de l’autre afin de voir quels éléments avaient été mis en valeur dans la présentation de tel ou tel personnage, dans la description de tel ou tel lieu. Après le premier jet, les groupes ont présenté leur travail, ce qui a donné lieu à des questionnements et des réajustements. Ils ont ainsi continué en suivant les conseils que je leur donnai directement au cœur de leurs écrits collaboratifs. Une fois achevés, ils devaient mettre ces épisodes en voix et ajouter des éléments sonores.
Transformer une nouvelle réaliste en nouvelle fantastique, voilà un étonnant défi : en quoi le travail mené a-t-il permis d’éclairer la singularité des différents genres ?
Réalisme et fantastique sont intimement liés au sein des programmes de la classe de 4ème. Et il m’a semblé évident que pour mieux comprendre les caractéristiques de l’un, il fallait réussir à le transformer à l’aide des codes de l’autre. Les élèves se sont mis dans la peau de véritables enquêteurs, à la recherche des non-dits du texte qui pouvaient le faire basculer dans l’autre genre. L’acquisition des connaissances propres à chaque genre ne consiste plus alors en un simple repérage, mais en un réel travail de réinvestissement par l’écriture, qui permet de prendre conscience des mécanismes propres aux différents genres.
Quelles satisfactions ont tirées les élèves de ce travail ?
Les élèves ont aimé mener ce travail pour différentes raisons. La première : utiliser Glose. La possibilité de commenter en ligne un texte et de communiquer avec les autres a été une source de motivation. Et ils ont apprécié pouvoir faire ce travail d’annotation de chez eux. Cela a notamment permis aux plus réservés de faire part de leur point de vue sans craindre le regard des autres. L’utilisation du numérique, qui présente ici une véritable plus-value, a permis également de développer leur autonomie et la collaboration. Et surtout, ils ont aimé pouvoir modifier une nouvelle en lui donnant une autre signification et ils ont ainsi compris l’importance des choix lors de l’écriture.
Quels intérêts voient l’enseignante elle-même dans ce travail d’appropriation créative ?
Ce travail a permis de montrer aux élèves la nécessité de lire et de relire, de confronter les impressions et les points de vue pour comprendre la richesse d’une œuvre qui finalement ne nous dit jamais totalement tout. Le fait de lire cette nouvelle à deux moments distincts de l’année avec des objectifs différents leur a permis de comprendre la nécessité de la relecture. Bien évidemment, un tel projet est propice à la création d’une véritable dynamique de classe qui prend alors confiance et avance grâce à l’entraide et à la mutualisation qui sont favorisées et valorisées. De plus, certains élèves sont allés lire d’autres œuvres sur Glose, ont laissé leurs avis en attente des commentaires de leurs camarades.
Se permettre de réécrire un « classique » comme « La Parure » de Maupassant, voilà une performance pédagogique que certains jugeront sacrilège : que leur répondriez-vous ?
Réécrire un « classique » n’est pas un sacrilège, mais une façon de mieux comprendre l’œuvre et l’auteur, de faire des choix qui auraient pu être les siens, de travailler sur le processus de création. C’est tout simplement un moyen de s’approprier une œuvre dans les moindres détails !
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut