» Lorsque la crise sanitaire a éclaté, le système scolaire a été fortement éprouvé. Cependant, moyennant une période d’adaptation relativement brève, on a pu observer une forte résilience du système, qui a pu répondre aux sollicitations nouvelles des usagers de l’école. Il en ressort l’impression très nette que si le système scolaire n’était pas, à proprement parler, prêt pour affronter une telle crise, il était néanmoins capable d’y faire face avec des ressources insoupçonnées, notamment humaines, l’engagement de l’ensemble des acteurs de l’éducation ayant été particulièrement positif ». Le rapport des inspecteurs généraux Brigitte Hazard et Jean-Aristide Cavaillès souligne le travail fourni par les enseignants et les manques de l’institution. Il préconise d’anticiper et de préparer dès aujourd’hui sérieusement le retour d’un éventuel confinement.
De mars à juin 2020, le système éducatif français a traversé une crise totalement inédite et pour laquelle il n’avait absolument pas été préparé. Finalement l’Ecole française est sortie plus forte de ce saut dans l’inconnu. Elle a fait preuve de « résilience » pour Brigitte Hazard et Jean-Aristide Cavaillès, les deux auteurs du rapport de l’Inspection générale.
Le défi était pourtant de taille tant l’école française n’était pas préparée à cette situation, comme l’a relevé l’OCDE. Les auteurs du rapport soulignent que » les enseignants ont dû faire preuve d’une grande inventivité pour pallier les insuffisances d’équipement : comment faire travailler un élève qui n’a qu’un téléphone portable ? Comment envoyer des supports à un élève qui ne dispose que d’un forfait limité ? Comment rendre lisibles les corrections et annotations faites sur la photographie d’une composition ? Autant de questions pratiques auxquelles les enseignants ont dû répondre au jour le jour ».
Ils n’étaient pas pédagogiquement préparés à la fermeture des écoles. » Sur le plan pédagogique, il est très vite apparu qu’un enseignement à distance reproduisant à l’identique les méthodes du modèle d’enseignement en présence était une impasse. À cet égard, les enseignants ont souvent fait preuve d’une capacité d’adaptation et d’autoanalyse remarquables, hiérarchisant les priorités, faisant évoluer leurs pratiques et tirant les leçons de l’EAD à mesure qu’il était pratiqué ». Même si » il est indéniable que les enseignants ont été contraints de revoir à la baisse leurs objectifs d’enseignement. Ils ont souvent renoncé à enseigner des notions nouvelles et se sont cantonnés à des révisions ou à des approfondissements de notions déjà rencontrées ».
Selon le rapport cette situation sans précédent a eu des cotés positifs. Les professeurs » estiment que l’autonomie de certains élèves a progressé durant la période de confinement, particulièrement dans la voie professionnelle où les habitudes de travail personnel sont moins ancrées que dans la voie générale et technologique. La capacité des élèves à s’autoévaluer aurait, de même, progressé, ainsi que la maîtrise des compétences numériques quotidiennes (par exemple écrire un message ou transférer un fichier) ».
Ce que révèle aussi le rapport c’est les lacunes de l’institution. Le rapport regrette la faible activité de l’inspection pendant la crise. Il apparait que les enseignants ont choisi surtout les outils numériques qu’ils connaissaient déjà pour leurs échanges avec les élèves (50% des professeurs du 1er degré et 70% du 2d). Seule la classe virtuelle du Cned a fait son chemin dans les outils d’enseignement. La BRNE, Edubase, Edunum, CanoTech, Eduthèque ont été peu utilisés voire quasiment pas. Les enseignants se sont tournés vers les ressources non institutionnelles ou celles des sites académiques.
Su rle plan du soutien, les enseignants du 1er degré estiment qu’il est surtout venu des directeurs d’école suivi par les IEN. Dans le second degré ce sont les professeurs principaux qui ont l eplus aidé. Les enseignants des lycées, surtout des LP, sont les plus critiques sur l’absence de soutien.
Les auteurs relèvent trois cas particuliers intéressants. D’abord l’éducation prioritaire. Selon les auteurs, » les enseignants de collège en enseignement prioritaire (EP) se sont montrés systématiquement moins enclins à évoluer par rapport aux enseignants hors enseignement prioritaire (HEP) alors que l’inverse est observé à l’école élémentaire. » Les enseignants de l’Education prioritaire sont souvent débutants, ce que le rapport ne rappelle pas. Et c’est là que les problèmes d’équipement des élèves ont pesé le plus.
L’école maternelle fait l’objet de l’attention du rapport tellement sa situation pédagogique est particulière. Le contact avec l’enfant devait obligatoirement passer par les parents. » La difficulté supplémentaire était de concevoir des activités pédagogiques pouvant être menées par nos parents d’élèves, dont ce n’est pas le métier », a ainsi témoigné une enseignante. « Nous devions donc être encore plus précis et efficaces qu’à l’accoutumée ». » Pour assurer la communication avec les familles, des outils spécifiques ont été créés tels que des lettres numériques, des padlets (par exemple un padlet destiné aux parents et spécialement dédié aux vacances apprenantes) mais aussi la messagerie, les blogs voire des applications grand public telles que Whatsapp ou Zoom, pour faciliter la relation avec les parents. Pour les familles ne disposant d’aucun équipement numérique, les enseignants ont utilisé le téléphone », explique le rapport. » Les modifications pédagogiques en maternelle se sont éloignées des pratiques habituelles de classe dans la manière de former les groupes ou d’interagir avec les élèves et les familles. Ainsi on est passé d’un fonctionnement où les enfants étaient assez libres de leurs choix d’activités, à des ateliers imposés toutes les semaines. Les exercices de manipulation ont été remplacés par une pratique de l’oral avec l’aide des parents. »
Enfin le rapport souligne des spécificités disciplinaires. » Nombre de disciplines partagent des difficultés liées à l’enseignement à distance comme les obstacles à l’expression orale (prise de parole lors des classes virtuelles), aux travaux collaboratifs (travaux de groupe pendant la classe virtuelle moins souple qu’en présentiel) ou aux gestes pratiques. Certaines disciplines se retrouvent particulièrement concernées, marquées dans leur didactique. C’est tout d’abord le cas des disciplines qui s’appuient sur des activités pratiques : physique-chimie, sciences de la vie et de la Terre, technologie et biotechnologies, spécialités d’enseignement professionnel de production, arts plastiques, éducation musicale. Dans ce cas, les enseignants ont dû se contenter d’activités pratiques simplement décrites, représentées en vidéo ou, plus rarement, simulées. Ils ont éprouvé un sentiment d’appauvrissement… Si certains enseignants ont cherché des solutions nouvelles, d’autres ont modifié leur pratique en revenant vers un enseignement qu’ils qualifient eux-mêmes de plus « traditionnel », plus frontal, avec moins de travail par compétences « .
Dans ses préconisations, le rapport demande d’anticiper les crises en favorisant » des temps de réflexion commune consacrée aux modalités d’enseignement à distance au sein des différentes instances disponibles (conseil des maîtres, conseils pédagogiques ou encore conseils d’enseignement) afin de mutualiser les pratiques mises en oeuvre et de formaliser un plan d’action dans le cadre du projet d’établissement. » Il préconise aussi de » réaliser annuellement une enquête exhaustive auprès des enseignants et des élèves permettant de déterminer de façon précise le niveau d’équipe ». Enfin il demande une formation à l’EAD pour les enseignants et une adaptation de l’offre de ressources éducatives. » Identifier de façon motivée les ressources mises à disposition par l’institution qui peuvent être mobilisées avec profit dans une situation d’enseignement à distance. Encourager la production de capsules vidéo et de logiciels de simulation dans les disciplines expérimentales et professionnelles ».
François Jarraud