Le suicide de C. Renon va t-il être utilisé par le ministre pour ramener les établissements publics de l’enseignement primaire (EPEP) ? Selon Les Echos, la députée LREM Cécile Rilhac prépare un projet de loi en ce sens. Celui-ci est déjà annoncé par G Attal, secrétaire d’Etat auprès de JM Blanquer, à l’Assemblée le 1er octobre. Lancés par F Fillon et l’Institut Montaigne, poussés sous de Robien et Luc Chatel, les EPEP sont un vieux projet qui permet d’accélérer le regroupement des écoles primaires et de mettre à leur tête un chef d’établissement supérieur hiérarchique des enseignants. Un projet qui ressemble comme deux gouttes d’eau aux EPSF, proposés par C Rilhac, avec le soutien de JM Blanquer, dans le cadre de la loi Blanquer. Alors que les enseignants marquent leur solidarité avec la directrice de Pantin, ce projet là est-il ce qu’elle aurait souhaité pour l’école ?
« Nous savons que, contrairement aux collèges et aux lycées, les écoles ne sont pas des établissements publics et que leurs directeurs n’ont pas les mêmes prérogatives, pas de statut particulier, pas les mêmes possibilités que les personnels de direction des collèges et des lycées. Il y a donc un vrai travail à faire pour simplifier leur quotidien et renforcer leurs missions. Ce travail a été mené par certaines de vos collègues – je pense à Cécile Rilhac et Valérie Bazin-Malgras, qui ont rédigé un rapport sur le sujet. Nous travaillons avec elles à des mesures qui pourraient être présentées à la suite de ces travaux. Je pense que nous pouvons nous accorder sur le fait que ce drame va nous inviter tous, communauté éducative et élus, à avancer sur cette question sans tabous – en tout cas, Jean-Michel Blanquer y est prêt ». Le 1er octobre , répondant à une question du député LFI Bastien Lachaud sur le suicide de C. Renon, Gabriel Attal, secrétaire d’Etat auprès de JM Blanquer, indique clairement la volonté ministérielle de transformer les écoles en établissements publics à travers un projet de loi qui sera déposé par Cécile Rilhac. Cécile Rilhac est la députée LREM qui avait déposé un amendement créant les établissements publics des savoirs fondamentaux (EPSF) dans la loi Blanquer. Un texte immédiatement défendu par le ministre avant d’être retiré de la loi par le Sénat sous la pression des enseignants et des maires.
Dans Les Echos, Cécile Rilhac confirme les propos de G Attal. Elle évoque » la possibilité au ministre de créer cette nouvelle fonction (chef d’établissement du premier degré) pour « bien encadrer les missions du directeur d’école et avoir une revalorisation indemnitaire beaucoup plus importante par un système de primes ». Ces futurs chefs d’établissement pourraient ne faire que « piloter l’école primaire » à partir d’un certain seuil – qui serait fixé par le ministre ». Selon elle le seuil serait un établissement de 12 classes. Pour elle, c’est la réponse adaptée à la crise des directions d’école.
Un vieux débat
L’idée de transformer les écoles en établissements publics de l’enseignement primaire (EPEP)est un vieux projet hérité de François Fillon. Ministre de l’éducation nationale, il insère cette réforme dans la loi du 13 août 2004. Elle prévoit que « les établissements publics de coopération intercommunale ou plusieurs communes d’un commun accord, ou une commune, peuvent, après avis des conseils des écoles concernées et accord de l’autorité académique, mener, pour une durée maximum de cinq ans, une expérimentation tendant à créer des établissements publics d’enseignement primaire ». F Fillon est remplacé par G de Robien qui tente de faire passer le décret d’application dans les années 2006-2007. Finalement le décret n’est pas publié. C’est l’époque où tous les syndicats d’enseignants s’opposent à la mesure avec l’aide du parti socialiste.
En 2010, l’Institut Montaigne relance le débat sur l’EPEP et une seconde tentative de glisser l’EPEP dans une loi échoue à son tour en 2011. Pourtant il n’y a déjà plus d’unanimité syndicale sur la question. La même année, un sondage publié par le Snuipp montre un net rejet des Epep par les enseignants avec la crainte de voir un échelon hiérarchique et très présent peser sur les enseignants. Mais un an plus tard le Se Unsa publie un autre sondage qui montre une majorité de directeurs en faveur de l’Epep.
En 2015 le rapport Leloup et Caraglia, deux inspectrices générales, évoque l’EPEP comme solution aux dysfonctionnements des circonscriptions du 1er degré. Mais début mars 2017, la ministre publie des « engagements » en faveur des directeurs pour alléger leurs taches administratives qui enterrent les Epep. Engagements annulés de facto par JM Blanquer quelques mois plus tard quand il supprime les emplois aidés administratifs dans les écoles. Il génère ainsi une nouvelle crise des directions avec les conséquences que l’on connait.
Mais la question des EPEP agite la campagne électorale des présidentielles de 2017. Plusieurs candidats se montrent favorables aux EPEP ou à l’intégration des écoles dans un réseau piloté par un collège. Jean-Michel Blanquer, dans son livre « L’école de demain », prend encore une fois position en faveur des EPEP et de directeurs qui soient de véritables chefs d’établissement. Ce n’est pas une surprise : rappelons qu’il était membre de l’Institut Montaigne, directeur adjoint de de Robien et Dgesco sous Luc Chatel. Autrement dit, il est à l’oeuvre dans chaque tentative pour faire passer cette idée. En novembre 2018, il annonce sur LCI une loi sur le statut des directeurs.
Deux autres acteurs n’ont cessé de défendre l’idée de réduire fortement le nombre d’écoles et de mettre de vrais chefs d’établissement. D’abord, la Cour des Comptes. Depuis 2010 elle a multiplié les recommandations en ce sens avec une grande constance. Ainsi en 2017, la Cour demande : » Dans le premier degré, associer les directeurs d’école à l’évaluation des enseignants par l’IEN ; donner aux directeurs d’école et aux chefs d’établissement la responsabilité, dans certaines limites, de moduler la répartition annuelle des heures de service devant la classe en fonction des postes occupés et des besoins des élèves ». La Cour a aussi plaidé pour le regroupement des écoles.
L’autre grand acteur à l’oeuvre c’est l’OCDE. En septembre 2018, commentant les Regards sur l’Education, le secrétaire général de l’OCDE, Angel Gurria, plaide pour de vrais chefs d’établissement dans le premier degré. » Il sera impératif de conforter le statut et le rôle des directeurs d’école et des enseignants pour favoriser la réussite scolaire de tous les élèves », dit-il.
Une question de taille
Si la France a une organisation si particulière de ses écoles cela tient à son histoire. La République des Jules avait compris qu’elle devait se matérialiser dans chaque village pour exister. Et sa première matérialisation a été l’école. La Poste est venue plus tard. Lors d’un colloque du Sgen Cfdt, JP Delahaye a remarqué que les pères fondateurs ont aussi voulu faire des écoles des petites démocraties. « La première condition de l’autonomie c’est qu’il faut un vrai collectif dans les établissements. « Sans démocratie pas d’autonomie », dit-il. « Ainsi en 1883 Octave Gréard crée un « conseil de professeurs » dans les lycées qui sont « l’âme de la maison ». Il faut donc des enseignants formés à l’autonomie et à exercer des délégations de pouvoir. « Il n’y a pas d’autonomie sans pédagogie de l’autonomie ». Il faut aussi un chef d’établissement proche des enseignants. JP Delahaye rappelle une instruction de 1902 qui fixe comme chef d’établissement des professeurs délégués et qui leur demande d’être « ménager du temps des professeurs »… Enfin JP Delahaye pose aussi la question du seuil permettant l’autonomie. « Il y a une masse critique à avoir ».
Or on sait bien que les écoles sont souvent très petites. 90% des écoles ont moins de 10 classes et 35 000 sur 55 000 moins de six. Des échelles trop petites pour avoir une réelle autonomie. En 2018, le rapport parlementaire de Valérie Bazin Malgras (LR) et Cécile Rilhac (LREM) propose de mettre un directeur dans les grandes écoles (plus de 10 classes) et de confier la gestion des autres au principal du collège le plus proche. Cela aurait aussi l’avantage de remettre totalement dans les classes 90% des directeurs actuels… Mais rien n’empêche aussi de créer un établissement en regroupant des écoles. Car c’est bien à terme le moteur de cette réforme : réaliser des économies d’échelle en regroupant dans une même entité administrative des petites structures. La Cour des comptes a été fort explicite sur ce point. Le rapport de C Rilhac demande d’ailleurs la fusion immédiate des écoles maternelles et élémentaires.
Le retour des EPSF
La manoeuvre qui se joue en ce moment est assez simple. En s’appuyant sur le suicide de C Renon, le ministre va accueillir positivement une nouvelle proposition de loi de C Rilhac sur les EPEP. Elle pourrait permettre le passage des directeurs vers le poste de chef d’établissement du primaire, ce qui n’était pas prévu avec les EPSF. Mais ces EPEP présentent les mêmes caractéristiques que les EPSF retirés de la loi Blanquer.
D’une part les EPEP vont accélérer le regroupement des écoles primaires, permettant ainsi des économies d’échelle importantes. D’autre part elles vont instaurer dans l’école primaire un chef d’établissement, supérieur hiérarchique des enseignants en mettant fin à ces petites républiques que les fondateurs de la grande (République) ont installé dans les écoles. L’argument donné est celui de l’autonomie et de l’adaptabilité des écoles en dotant les chefs d’établissement de pouvoirs importants. La réalité c’est le dirigisme renforcé dans les écoles en instituant l’échelon hiérarchique qui fait défaut. Ces deux objectifs étaient ceux des EPSF. Et c’est bien la vision poursuivie avec constance par JM Blanquer depuis 2007.
Quatre courants pour une future loi
A l’évidence, il y a une question sur les directions d’école. La situation actuelle de directeurs qui enseignent et qui en plus assument une direction avec le harcèlement administratif de l’institution ne peut plus durer. Mais comment aider les directeurs à faire face au poids qui les écrase ? Quatre chemins sont proposés.
Beaucoup de directeurs aimeraient avoir plus d’autorité sur les enseignants, voir leur travail financièrement reconnu et leur travail allégé. Cela passe pour eux par un statut de chef d’établissement. Notons que le ministre leur a rendu la tâche impossible en supprimant les emplois aidés qui étaient pourtant indispensables, générant la crise actuelle.
D’un autre coté il y a une démarche gestionnaire pour diminuer le coût de l’Ecole. La Cour des comptes la représente bien. Sur le papier, on doit pouvoir réunir dans de grandes écoles primaires beaucoup plus d’élèves. Et en plus expliquer que c’est pour leur bien pédagogique. Il suffit d’ignorer le local, ce que représente l’école au village mais aussi ce que le regroupement veut dire en perte de qualité de vie et en accélération de l’exode rural.
Il y a un courant qui veut appliquer à l’école les règles du management. Il cherche des gestionnaires et attend de la concurrence des établissements des résultats automatiques.
Enfin il y a un courant qui s’est mobilisé suite au suicide de C Renon. Il regroupe des enseignants des écoles et des directeurs qui voient dans cette directrice une collègue, et non un supérieur hiérarchique, maltraitée par l’institution. Ce courant est animé par l’esprit de solidarité et la défense de valeurs humaines dans l’institution scolaire. Comment prendra t-il l’utilisation qui est faite de la mort de C Renon ?
François Jarraud