Frédéric Grimaud relate des entretiens de professeur.es des écoles, qui parlent de leur métier, de l’organisation de leur travail, et de tous les choix auxquels le quotidien de la classe les confronte. Chaque semaine, retrouvez deux d’entre eux et d’entre elles qui expriment un point de vue différent sur la manière de faire leur métier, qui n’utilisent pas les mêmes outils pour réaliser leur tâche, qui ne font pas les mêmes gestes professionnels.
« Ça me fait 2 groupes visuellement très séparés et qui ne regardent pas dans la même direction »
Sandra et Valérie enseignent en cours double. La première a un CP/CE1 et la seconde un CE1/CM1. Toutes les deux se sont posé de nombreuses questions sur la disposition des deux groupes constituant leurs classes dans l’espace délimité par les 4 murs. A la rentrée des vacances de Noël, elles font le point sur leur manière d’organiser leur espace avec un cours double et arrivent à un désaccord, lié à différentes contraintes :
Valérie : « Moi je vais continuer comme j’ai fait depuis le début de l’année : je mets le groupe de CE1 face au grand tableau et à mon bureau, et le groupe de CM1 tourné vers le petit tableau, de côté par rapport aux CE1. Ça me fait 2 groupes visuellement très séparés et qui ne regardent pas dans la même direction. Surtout que maintenant les CM1 sont super autonomes. Ils sont que 9 alors que j’ai 16 CE1 qui ont encore de grandes difficultés.
Le matin je mets au petit tableau le programme de travail des CM, et ils travaillent beaucoup en autonomie, au moins jusqu’à la récré. Comme ils sont tournés vers un autre tableau, dans un autre sens que mes CE1, ça encourage à travailler en autonomie, comme une classe dans la classe. Ils peuvent faire des recherches, échanger, le principal c’est que le volume sonore ne devienne pas ingérable. Moi je peux me concentrer sur les CE1. Tu vois là, les CM colorient une carte, ils n’ont pas besoin de moi et je peux introduire un truc nouveau avec les CE1.
C’est comme si j’avais 2 classes dans la classe et le fait de matérialiser ça par des tableaux différents, pas tournés vers le même mur, c’est au final une bonne décision. Je suis beaucoup plus à l’aise comme ça. Après quand les CE1 feront de l’écriture, moi je me déplacerai face au tableau des CM1 pour continuer la leçon et là, les CE1 savent que je ne suis plus dispo pour eux, qu’ils doivent se débrouiller. Ça se voit dans la classe parce que c’est deux espaces différents. »
« On fait les maths en même temps, le français en même temps … »
Sandra ne semble pas convaincue de l’organisation spatiale de sa collègue : « Alors moi ce serait complètement impensable de séparer à ce point les deux groupes. D’abord j’utilise le tableau numérique et y’en a qu’un donc je mets tout le monde face au même tableau. Mais de toutes façons je n’imagine pas avoir un groupe à qui je tourne le dos, et je n’arrive pas à distinguer autant mes interventions genre un coup les CP, un coup les CE1. Je suis tout le temps avec les deux à la fois. C’est pour ça que mon emploi du temps de la journée est le même pour les deux groupes. On fait les maths en même temps, le français en même temps … et bien sûr tout le reste, sauf l’anglais où on décloisonne avec une collègue. Donc j’ai souvent les mêmes supports, le même timing … et ça ne serait pas gérable si j’avais un groupe qui ne regarde pas dans le même sens que l’autre.
Après moi c’est des niveaux proches et j’ai des élèves de CP qui arrivent à faire des choses du CE1 et bien sûr des élèves de CE1 à qui cela ne fait pas de mal de reprendre des trucs de CP aussi. Et puis si vraiment j’ai besoin de faire un travail très spécifique aux uns ou aux autres, notamment ceux qui ont des grosses difficultés, j’ai 2 très grandes tables au fond de la classe et je peux les mettre en groupe, soit en totale autonomie soit avec moi pour reprendre ou approfondir une notion.
Mais surtout, même en cours double, j’essaye de maintenir une dynamique de groupe classe et ça, ça veut dire qu’on ne sépare pas de manière formelle les deux groupes dans la classe. Je vais même te dire mieux, selon les moments, les élèves sont même complètement mélangés, un CP à côté d’un CE1 et ça marche aussi très bien, ils peuvent s’aider et les CE1 adorent ça. Non vraiment pour moi une classe c’est un seul groupe. »
Petite analyse : Le mot classe est polysémique. Il désigne tout à la fois le groupe d’élèves avec lequel l’enseignant.e interagit et le lieu dans lequel se déroule son activité. Les deux sont porteurs de contraintes autour desquelles s’organise le travail des professeur.es des écoles.
Et vous, lorsque vous avez un cours double, comment délimitez-vous la différence entre les deux niveaux ?
Frédéric Grimaud