« Entre les sourires et les rires, dans ce monde où règnent l’éphémère et l’instant présent, la spontanéité unique de cet âge vous surprend continuellement » écrit Boris Chiron avec sa casquette de professeur des écoles, après des chroniques sur sa fonction de directeur. Boris Chiron nous parle de sa classe de Petite Section. Il évoque les enjeux et défis de cette classe de découverte de l’Ecole, les progrès de ses élèves, et l’aide précieuse de ses collègues ATSEM.
En septembre dernier, je découvrais ma nouvelle classe de petite section. Nouvelle rentrée, nouveaux élèves, et une grande première en maternelle. Mais pour eux, c’était un saut dans l’inconnu. À l’heure de l’entrée dans une scolarité dont certains ne verront la sortie que vingt ans plus tard, il faut accueillir les pleurs et la peur de l’abandon des uns, mais aussi l’impatience de découvrir l’école pour d’autres, sans oublier l’inquiétude légitime de parents qui, parfois, laissent pour la première fois leur enfant aux mains d’une tierce personne.
Face à vingt-cinq élèves de trois ans à peine, venus chacun de leurs horizons respectifs, on participe à un moment qui, comme toute découverte, marquera leur esprit plus que tout autre jour d’école, inaugurant une année charnière dans leur jeune vie.
« En apprenant à connaître les autres on apprend à se connaître soi-même »
En effet, enseigner en petite section, métier à part selon de nombreuses collègues, c’est accueillir tous les enfants pour leur faire partager un commun. C’est ici que va se créer la passerelle entre la maison, environnement jamais quitté pour certains, et l’école, lieu du vivre ensemble régi par un cadre lui-même déterminé par des codes et des normes. Cette année-là est le réceptacle de toutes les constructions que chaque élève a pu développer au cours de son vécu avant cette rentrée, et qui ont pu entraîner des écarts exacerbés entre eux, notamment en termes de langage, premier outil à ce niveau. De fait, la classe de petite section est un lieu qui doit avant tout créer les conditions de l’égalité entre des enfants qui sont déjà affectés par les effets de leur première éducation [1].
D’autre part, au-delà des enjeux d’apprentissages, cette classe des 3-4 ans pousse chaque enfant à devenir un acteur du vivre ensemble de sa classe. On y découvre l’altérité, tout en travaillant son autonomie par rapport au groupe, en développant le “sens de soi” [2], une notion désignant la dialectique entre la conscience de soi-même, en tant qu’individu, et la conscience du groupe et de la place qu’on peut y prendre, guidé par un savoir-être déterminé. En apprenant à connaître les autres on apprend à se connaître soi-même. L’objectif de l’enseignant est donc de créer les conditions de l’apprentissage du fonctionnement en groupe, favoriser l’intégration de chaque élève tout en leur apprenant l’adaptation aux autres.
Au niveau des apprentissages enfin, c’est ici que l’acculturation au monde scolaire va s’effectuer en premier lieu, un univers qui possède des codes et des conduites qui ne sont ni innés ni naturels, et totalement inconnus pour la plupart des enfants de moins de 3 ans. Devenir élève n’est pas une évidence et s’acquiert de manière très différente selon le bagage avec lequel on franchit le portail de l’école. L’ensemble des adultes présents ont donc la lourde tâche de faire entrer l’enfant dans cet univers de la manière la plus rassurante et bienveillante qui soit, tout en lui donnant des bases solides dans l’ensemble des domaines pour poursuivre son parcours scolaire.
Prof / ATSEM : un binôme au service de la classe
En tant qu’enseignant, mon premier objectif fut de créer un environnement rassurant, dans lequel l’élève pourrait s’épanouir et développer pleinement ses capacités. Tenter de susciter chez lui une image positive et agréable du milieu scolaire, afin de ne pas installer une appréhension inconsciente qui pourrait le suivre tout son parcours. Il s’agit donc d’écouter, observer, accueillir les ressentis et paroles de chacune et chacun, se remettre à la place d’élève que l’on a occupée, et savoir transformer l’énergie débordante de cet âge pour la mettre au service de sa pratique pédagogique et du groupe-classe.
De nombreux défis que j’aurais eu du mal à relever sans la présence essentielle de l’agente territoriale spécialisée des écoles maternelles (ATSEM) qui a su m’apporter son expérience du terrain et du quotidien d’une telle classe. Elle tient un rôle primordial de repère pour l’enfant, puisqu’elle est, pour de nombreux élèves, l’adulte la plus côtoyée dans une journée d’école. En classe, enfin, c’est une aide du quotidien pour l’enseignant, que cela soit dans le suivi du bien-être des élèves, l’aide logistique apportée, ou encore la réalisation d’ateliers qui, sans elle, n’auraient pas lieu ou du moins pas la même réussite. Nous formons véritablement un binôme au service de la classe.
Grâce à ce cadre étayé de deux adultes, aidé par mes collègues, mais aussi par les élèves, les inquiétudes se sont rapidement dissipées et une dynamique de classe s’est mise en place. L’un des avantages de la petite section sont les progrès exponentiels des élèves. Ateliers après ateliers, regroupement après regroupement, séances de motricités après séances de motricité, le développement de chaque enfant est rapidement visible. Grâce à un volontarisme et une envie de faire, d’apprendre, de découvrir, comparables à un puits sans fond, chaque élève évolue au fil des jours ! Hier, ils découvraient l’école, aujourd’hui elle n’a plus de secrets pour eux.
« On est honoré de participer à la pose de la première pierre de l’édifice scolaire »
Il y a six mois, je partais en terre inconnue, mais aujourd’hui je ne le regrette pas. Chaque jour en classe de petite section fait grandir, apprendre, s’adapter, trouver de nouvelles solutions, et comprendre. Chaque jour, on est honoré de participer à la pose de la première pierre de l’édifice scolaire de chacune et chacun, gravée dans notre esprit sans que l’on s’en souvienne pour autant. Chaque jour est un progrès, une nouveauté, une évolution. Entre les sourires et les rires, dans ce monde où règnent l’éphémère et l’instant présent, la spontanéité unique de cet âge vous surprend continuellement. “Tu vas voir, après y être allé, on ne veut plus en partir” répondaient mes collègues lorsque je leur annonçais que j’allais découvrir ce niveau. Finalement, ils n’avaient peut-être pas tort.
Boris Chiron
[1] Passerieux, C. (2021). L’école maternelle face à ses enjeux Créer les conditions de l’égalité. https://doi.org/10.3917/ateli.passe.2021.01
[2] Zotian, E. (2021) . Apprendre le « sens de soi » en petite section de maternelle. Revue des politiques sociales et familiales, n°138(1), 25-40. https://doi.org/10.3917/psf.138.0025