Six établissements, trois lycées et trois collèges ont reçu le label « Ecoles du Bonheur ». Ils font partie d’un réseau international d’écoles visant au bien-être des élèves mais aussi des enseignants. La Guadeloupe figure parmi les académies pionnières en la matière sur le plan national. François Durpaire, membre du laboratoire BONHEURS de l’université de Cergy-Pontoise, s’est rendu en Guadeloupe du 14 au 19 mars 2019.
Quels sont les établissements concernés par cette labellisation ?
François Durpaire : Trois collèges et trois lycées viennent de recevoir ce label : les collèges du Raizet, de Grand Camp (Saint John Perse) et Front de mer, le lycée professionnel Ducharmoy à Basse-Terre, et les LGT Faustin Fléret à Morne-à-l’Eau et Baimbridge. Des écoles maternelles et primaires suivront bientôt, ainsi qu’un établissement de Saint Martin. Il ne faut pas oublier que la Guadeloupe n’est pas une île, mais un archipel ! Le choix s’est porté vers des établissements qui se mobilisent pour le bien-être de la communauté scolaire. Il s’agit à la fois d’établissements dits d’excellence comprenant des classes préparatoires mais aussi d’établissements qui font face à des difficultés et qui font un maximum d’efforts pour la réussite et la qualité de vie des élèves.
Quels sont les critères retenus ?
D’abord, le contenu des dispositifs, qui doivent concerner une majorité d’élèves. Ensuite, la mobilisation des équipes, la présence de partenaires. La présence du bien-être et de la qualité de vie au sein du projet d’établissement et le fait d’accepter une évaluation par la recherche des résultats de ces dispositifs.
On parle souvent des académies d’outre-mer sous l’angle des problèmes ? C’est un peu iconoclaste – voire idéaliste – de faire de Guadeloupe un paradis de l’éducation ?
Il faut se garder en la matière de tout manichéisme et de tout excès. Il y a en Guadeloupe des difficultés que rencontrent tous les enseignants. Mais il y a également une formidable énergie et une inventivité des équipes pour transcender les obstacles. Et ce n’est donc pas un hasard si l’académie figure en tête des académies intéressées par le dispositif. La mobilisation du recteur – Mostafa Fourar – et de ses équipes, ainsi que du conseil départemental permettent de pérenniser l’action.
Précisément quelles sont les prochaines étapes ?
Des ateliers seront mis en place dans chaque établissement pour faire remonter une feuille de route pour l’année 2019-2020 en matière de bien-être dans chaque établissement. Y seront présents les enseignants mais aussi les élèves membres du CVC ou du CVL. Une journée est prévue en juin prochain pour échanger sur les actions et pour concevoir un projet commun au sein du réseau « écoles du bonheur Guadeloupe ». Sans oublier une journée d’intégration entre les professeurs référents de chaque établissement.
Donnez-nous des exemples des différents dispositifs ?
On peut penser à l’introduction de la méditation, de la sophrologie, afin de faciliter la concentration des élèves. A l’utilisation de la musique (le Gwo Ka traditionnel en Guadeloupe). A la formation des enseignants en matière de bienveillance. A des aménagements en matière d’architecture scolaire. Les Caraïbes connaissent des problématiques spécifiques en la matière. On ne peut pas apprendre efficacement sous une chaleur écrasante. La question de l’estime de soi est également essentielle, pour des sociétés post-esclavagistes.
Précisément, vous avez donné une série de conférences dans les établissements scolaires concernés par les dispositifs ?
Oui, il s’agissait d’évoquer les conséquences de l’esclavage sur les sociétés caribéennes et plus largement américaines. Nous avons notamment évoqué la question du colorisme – de la place de la couleur de peau, de la nature des cheveux – dans des sociétés où la proximité esthétiques avec les maîtres a longtemps structuré les relations. De nombreux élèves ont évoqué un manque de confiance par rapport à leur avenir et une dévalorisation liée à l’apparence physique qui pouvait influencer également leur regard sur eux-mêmes.
Vous avez évoqué à ce sujet une citoyenneté créolisée ?
« Agis dans ton lieu ! Pense avec le monde » cette phrase de l’écrivain Edouard Glissant, né à Sainte-Marie dans la Martinique voisine, est au fronton du rectorat. On peut la traduire dans le domaine de l’école par un « Instruis au monde ! Eduque par le local ! ». Il s’agit d’aider l’enfant à se repérer dans la profusion d’informations qui afflue du tout-monde. Mais il convient dans le même temps de lui assurer l’enracinement nécessaire à l’épanouissement d’une personnalité caribéenne. J’évoque notamment le passage d’une pensée insulaire à la conscience archipélique. Le Lakou, habitat traditionnel de la Guadeloupe, fondé sur le collectif, est par exemple un réservoir d’idées pour l’architecture scolaire au sein du bassin caribéen.
Vous parlez de la recherche d’un équilibre entre la fermeture – les « murs » nés de la peur de l’autre – et de l’ouverture absolue effaçant les différences culturelles ?
L’éducation dans les Caraïbes est un laboratoire de la révolution éducative à mener. L’enseignement des disciplines ne disparaîtra pas, mais elle devra s’organiser autour d’une éducation à la relation. Former un citoyen heureux et éclairé, c’est construire la relation à soi (auto-relation), à l’autre (alter-relation) et à la planète (éco-relation).
Concrètement, cela se traduit comment ?
Il s’agit ensemble, à l’école et dans la famille, de construire un curriculum assurant l’acquisition de sept compétences relationnelles : la confiance en soi, la gestion des émotions (accepter sa météo personnelle), la définition de son projet de vie , la conduite de son projet, le dépassement des obstacles (souvent, une réussite découle d’échecs antérieurs), la solidarité et la bienveillance (qui fait que ces écoles du bonheur ne sauraient être celles du développement personnel…), et enfin le respect de son environnement. N’oublions pas que la Guadeloupe, comme la Martinique, est marquée par les tragédies écologiques.
Un exemple de cette éducation par le local ? L’exercice de la cascade, que nous proposons dans une Guadeloupe où cet élément naturel est si présent, permet par exemple d’apprendre la gestion de ses émotions : les enfants sont invités à s’éloigner progressivement du tumulte et du bruit provoqués par l’eau, dans des exercices de pleine présence.
Propos recueillis par Béatrice Mabilon-Bonfils
Directrice du laboratoire BONHEURS
(Bien-être, Organisations, Numérique, Habitabilité, Education, Universalité, Relation, Savoirs)
Université de Cergy-Pontoise
Pour contacter les “écoles du bonheur Guadeloupe” :