L’Afef en a révélé hier les grandes lignes comme le Café pédagogique l’a annoncé. Nous vous offrons le texte des nouveaux programmes de français de lycée que nous nous sommes procuré. Nous vous invitons à les découvrir. Et, pour mieux saisir ces évolutions, nous vous proposons de le faire aussi à travers les analyses de trois inspecteurs généraux…
Les programmes en résumé
Histoire littéraire saucissonnée en couplages arbitraires de genres et de périodes, insistance sur la littérature patrimoniale, longueur du texte à étudier à l’oral réduite à 15 lignes, approche linéaire imposée pour les études de textes, 4 œuvres obligatoires à étudier chaque année en 1ère, nombre fixe de parcours supplémentaires, liste précise des notions de langue à travailler, nombre de lectures imposées pour chaque année (7 œuvres en 2nde, 8 œuvres en 1ère), 8 évaluations sommatives obligatoires par an, suppression de « l’écriture d’invention », restriction aux deux exercices les plus soumis à la rhétorique scolaire (le « commentaire » et la « dissertation »), 1/4 de la note consacrée à l’évaluation de la langue dans chaque devoir, question de langue obligatoire à l’oral …
Etonnements
La lecture des programmes peut surprendre car elle multiplie les contraintes, impose les contenus comme les méthodes, demande de « faire du chiffre ». Il y a une nette réorientation à tous les étages : de la littérature (avec ses cadrages génériques et historiques, avec la l’embrigadement patrimonial), des élèves (qui risquent encore davantage de bachoter, de se couler dans un moule scolaire et culturel d’exercices et d’œuvres canoniques ?), des enseignant.es (invités à respecter les consignes officielles plutôt qu’à être créatifs ?).
La lecture des programmes surprend parce que pour retrouver ces pratiques, il faut remonter loin dans le temps : peut-être aux années 70 ? Il était alors coutumier de commencer le français en seconde en abordant la poésie de la Pléiade, d’embrayer sur une pièce classique, puis d’étudier un roman situé quelque part entre Stendhal et Camus, d’oser aussi aborder la littérature d’idées jusque par des articles de presse : autant dire les objets d’étude du programme de seconde de 2019 ?
En ces temps-là, comme pratique de classe, on ne connaissait guère que l’explication de texte linéaire, que des associations traditionalistes ont longtemps vénérée et qui n’a guère subsisté qu’au Capes de lettres ou dans certaines classes préparatoires… A l’écrit, on s’adonnait au « commentaire » (alors dit « composé », mot toujours parfois employé envers et contre toutes les évolutions), à l’ « essai » (de retour en enseignement de spécialité), au résumé-discussion (qui fait son come back en séries technologiques).
La lecture des programmes surprend parce que l’essentiel de ce qui s’annonce semble contraire aux apports de la recherche en matière de didactique du français. Une exception positive à saluer : le portfolio que chaque élève devra réaliser tout au long de l’année et où sera pris en considération un « écrit d’appropriation ». Un lot de consolation ? Avec quelle place effective dans le travail de la classe, vu l’obésité des programmes ?
Au cœur de ceux-ci, où trouve-t-on les réflexions et les propositions d’où ont germé les récents programmes du collège ? Que devient le travail de ceux et celles qui, dans les classes, les formations, les ouvrages théoriques, tentent depuis des années de revitaliser la discipline ?
Faut-il rappeler par exemple que huit « Rendez-vous des lettres », ouverts en 2010 par le Directeur général de l’Enseignement Scolaire lui-même (Jean-Michel Blanquer), ont tenté de favoriser la mise en œuvre de nouvelles modalités de travail dans les cours de français, de développer, par l’écriture, l’image ou la voix, des pratiques plus vivantes, plus sensibles, plus variées, du texte littéraire, de centrer le plaisir et l’intelligence de l’œuvre sur l’expérience de l’élève enfin reconnu comme sujet-lecteur ? Comment se fait-il aussi qu’après tous ces séminaires qui ont tenté de réconcilier la civilisation du livre et la culture des écrans, les nouveaux programmes réduisent le numérique à une machine à exercices, d’application et de remédiation ?
L’inspection des nouveaux programmes par l’Inspection générale
Et si pour commenter les nouveaux programmes on donnait tout simplement la parole à l’Inspection générale elle-même, plus à même de le faire que nous. Reprenons les analyses développées ces dernières années. Et laissons lui le dernier mot…
Centrer sur les œuvres plutôt que le sujet lecteur ? « Faire place au sujet lecteur dans la lecture littéraire pourrait être un moyen de redonner du sens, personnel et social, à un enseignement littéraire encore insuffisamment dégagé du formalisme, de provoquer un investissement subjectif, intellectuel et émotif des élèves et surtout de (re)créer un « rapport heureux à la lecture et à la littérature », quelle que soit l’hétérogénéité culturelle, sociale et cognitive es élèves. » (Anne Vibert, Faire place au sujet lecteur en classe, 2011)
Etudier des œuvres patrimoniales ? « Si nous avons à transmettre un patrimoine littéraire parce que nous reconnaissons de la valeur aux grands textes de la tradition, prenons garde aux effets délétères d’une patrimonialisation excessive, très bien analysés par Marcel Gauchet dans Conditions de l’éducation. Dans un chapitre intitulé « des savoirs privés de sens », il montre comment le souci légitime du patrimoine peut aussi entretenir chez les élèves une relation totalement extérieure à ce qu’ils lisent. En outre, les usages scolaires réduisent souvent la littérature aux « éternels même textes », imbattables au hit-parade des listes de baccalauréat (en dehors desquels les professeurs d’ailleurs hésitent trop à interroger, quand précisément certaines listes s’ouvrent plus largement). Il y a, dans l’addition mécanique des incontournables « passages » canoniques et de leur explication académique, un possible syndrome Bouvard et Pécuchet et une fossilisation redoutable de l’exercice. (…) Le choix des textes expliqués gagnerait à être davantage le produit d’un véritable désir du professeur (son propre désirde lire), non d’une habitude ou d’un usage, la plupart du temps désinvestis d’urgence et d’enjeux authentiques. » (Patrick Laudet, Explication de texte littéraire : un exercice à revivifier, 2011)
Réduire la longueur des textes étudiés à une quinzaine de lignes ? « Sous l’effet des concours, on a pris en outre l’habitude de calibrer les passages pour l’explication elle-même (20 à 30 lignes). La mécanique ne commence-t-elle pas là ? Que chaque explication fonde plus judicieusement son propre terrain. Plusieurs pages au théâtre parfois, tandis que quelques vers, quelques lignes seulement de René Char dans Fureur et Mystère ou Feuillets d’Hypnos peuvent suffire. C’est même une réelle compétence de lecture à développer que d’accommoder l’explication à la longueur et à la nature du texte proposé. » (Patrick Laudet, Explication de texte littéraire : un exercice à revivifier, 2011)
Supprimer l’écriture d’invention ? « Sans doute n’est-il pas d’implication véritable dans la lecture sans y mettre la main, et la plume. Le commentaire écrit est la forme classique du Lire-écrire. Mais il en est d’autres, encore timides dans nos pratiques de classes. L’exercice d’invention, avec ses contraintes, répond-il pleinement à cette ambition ? Faut-il retrouver l’art du pastiche, dans lequel certains de nos grands écrivains, ont taillé leur plume ? Une page réussie « à la manière de Flaubert » vaut bien des explications savamment ordonnées. » (Patrick Laudet, Explication de texte littéraire : un exercice à revivifier, 2011) « Le rapport à l’œuvre suppose ainsi une certaine liberté d’invention qui mêle lecture et écriture, qui associe démembrement et décomposition, comme si la nécessité de choses parfaites, qui caractérisent l’œuvre, avait pour corollaire cette liberté que nous devons exercer, de la défaire pour nous l’approprier dans une sorte de commerce différé où elle nous appartient sans cesser d’être commune. » (Paul Raucy, PNF Lettres 2012)
Jean-Michel Le Baut et François Jarraud
Nouveaux programmes 1ere partie
2de partie : seconde
3ème partie : première
Les programmes révélés par l’Afef