Au collège du Renon à Vonnas dans l’Ain, Thibaud Hayette a amené ses 4èmes à étudier un corpus de textes littéraires sur le thème de la nuit. Mais au lieu de mener d’académiques lectures analytiques, il a fait travailler ses élèves par groupes. Missions : augmenter les textes (de notices biographiques, recherches lexicales, échos artistiques, enregistrements audio, productions créatives…) et enrichir le corpus (en y intégrant un texte littéraire de leur choix). Par-delà l’appropriation plus active des textes abordés, par-delà la capacité renforcée à faire des liens, le travail amène les élèves à réfléchir sur la notion même de patrimoine littéraire. Une notion sans cesse à interroger, jusque par les élèves. Et aussi jusqu’au lycée : les programmes à venir vont sans doute poser la question de la relation aux textes patrimoniaux. Pour nous inviter à la réinventer ?
Dans quel cadre avez-vous mené ce travail de lecture ?
Ce travail a été mené avec deux classes de 4ème d’un collège plutôt rural, dans le cadre d’une séquence autour du fantastique intitulée « La nuit ». La problématique générale était de comprendre comment la nuit permet l’émergence du fantastique.
Les Travaux Académiques Mutualisés (TraAM), auxquels participait l’Académie de Lyon, interrogeaient sur ce qu’est un texte pour la classe aujourd’hui et la question de la constitution du corpus était au cœur de la réflexion.
L’objectif était donc de faire prendre conscience aux élèves la notion de patrimoine littéraire, de les faire réfléchir en commun à ce qu’est un texte littéraire et de leur faire construire des ponts entre les textes. Ainsi, ils devaient compléter un corpus établi par mes soins, volontairement limité à trois textes. Le travail ne se limitait pas à trouver un nouveau texte mais d’abord à « augmenter » les textes de mon corpus. C’était une tâche lourde et le travail en groupe était donc indispensable
Vous avez amené les élèves à « augmenter » les textes du corpus proposé : de quelles natures ont été ces enrichissements ?
Trouver un texte littéraire qui puisse compléter le corpus constituait l’aboutissement du travail. Auparavant, ils devaient en effet « augmenter » les textes travaillés en classe par le biais de l’hypertexte.
Pour cela, ils devaient constituer des notices biographiques, des recherches lexicales (les mots complexes renvoyaient par exemple, via un hyperlien, vers sa définition sur le site du CNRTL), des échos artistiques (peintures par exemple), l’enregistrement audio de leur lecture des textes ou encore par leurs propres productions (écrire à la manière de). Ces différents enrichissements faisaient tantôt appel à des compétences de recherche, de mise en voix que de créations.
Concrètement, comment les élèves ont-ils travaillé pour augmenter ainsi les textes ?
J’ai déposé les textes du corpus dans l’espace « Groupe » du réseau pédagogique, au format LibreOffice. Les élèves ont ensuite été amenés, par petits groupes de quatre, à « augmenter » le corpus initial grâce à l’hyperlien, directement dans le logiciel de traitement de textes. Ces augmentations concernaient des notices biographiques sur les auteurs, des nuages de mots ou cartes heuristiques pour traiter par exemple le vocabulaire de la nuit présent dans les textes, une affiche publicitaire pour promouvoir le livre choisi en lecture cursive… Chaque groupe a vu ainsi son dossier de travail s’étoffer en fonction des fichiers qu’ils y ajoutaient, qu’ils soient personnels ou externes. Nous allions régulièrement en salle informatique pour mener à bien le projet.
Le corpus lui-même a été enrichi de nouveaux textes par les élèves : quelles étaient vos attentes ? comment les élèves ont-ils géré cette partie du travail ?
Pour cette dernière étape, la plus difficile à mon sens, j’espérais que les élèves puissent trouver un texte littéraire qui s’intègre parfaitement à mon corpus initial. Cependant la notion même de « texte littéraire » leur est souvent étrangère et ils ont souvent puisé, tout comme le professeur, dans ce qu’ils connaissent (comme dans la série des Chair de poule par exemple). D’autre part, les techniques de recherche étaient souvent maladroites comme cet exemple éloquent mais parfaitement légitime pour des 4èmes, de saisie dans un moteur de recherche : « texte littéraire sur la nuit qui fait peur ». Pourtant, certains ont trouvé des textes pertinents, notamment en utilisant Gallica, Glose (qui offre les incipit de romans contemporains), Wikisource, en recherchant d’autres textes d’auteurs que nous avions travaillés en classe ou même en demandant conseil au professeur documentaliste.
Y a-t-il eu des moments de mutualisation ou de réflexion collective ?
L’essentiel du travail a reposé sur la coopération entre les élèves au sein même d’un groupe. Comme il y avait beaucoup d’augmentations attendues, ils ont dû se répartir les tâches constamment. Une fois le travail achevé, chaque groupe a présenté à l’ensemble de la classe le texte qu’ils envisageaient d’ajouter au corpus initial, ce qui a mené à des débats intéressants. Nous avons choisi dans chaque classe un texte qui a ensuite été proposé à l’autre classe de 4ème qui menait aussi ce travail en parallèle.
Le dispositif que vous avez mis en place rompt avec certaines habitudes d’études de textes en cours de français : à la lumière de l’expérience menée, quels intérêts lui voyez-vous ?
J’ai l’impression que les élèves se sont davantage emparés des textes que nous avions étudiés en procédant à une analyse plus fine et surtout en faisant des ponts entre les œuvres. Ces liens étaient mis en évidence par l’hypertexte et surtout, ils étaient maîtres de leurs choix. La coopération a été aussi très bénéfique. Ils ont compris qu’à plusieurs, avec une bonne coordination, on peut faire beaucoup plus que seul.
Voyez-vous à cette expérience de possibles prolongements, transferts ou adaptations ?
Cette expérience m’a montré que ce n’était pas impossible, d’ores et déjà pour des collégiens, de mener une réflexion sur la notion de corpus et de texte littéraire. Ce travail prendrait sans doute encore plus de force s’il était mené au lycée me semble-t-il. Et ce quelle que soit la séquence.
Dans un autre projet, un EPI, vous avez aussi travaillé sur le thème de la nuit pour inviter les élèves à des productions créatives : de quoi s’agissait-il ?
J’avais travaillé avec la professeure d’arts plastiques, dans le cadre d’un EPI. L’objectif était alors, pour le français, la création d’une nouvelle fantastique qui aurait pour cadre la nuit. En arts plastiques, les élèves devaient concevoir en volume, généralement de la taille d’une boite de chaussures, une ambiance faisant écho au texte créé. Enfin, en utilisant l’outil numérique, ils liaient la lecture de leur texte personnel à l’image de leur boite. Certains ont filmé leur ambiance et ont ajouté la captation sonore du texte, certains ont fait du stop-motion, d’autres un diaporama. L’autonomie était au cœur de la production et allier visuel et sonore leur a permis de transcender leur texte. La relation texte-image, l’importance du cadrage, de la lumière…tous ces éléments prennent sens lorsque les élèves adoptent la posture de « cré-acteurs ».
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
Le projet Corpus augmenté
Le projet EPI
Thibaud Hayette dans Le Café