A l’image des rythmes scolaires, l’histoire de la semaine de 4 jours de classe est une histoire bien française. En effet, le terme rythmes scolaires, qui contrairement à ce que certains croient n’est absolument pas une science, est apparu en France à l’époque où la chronobiologie, nouvelle science reconnue par l’académie des sciences, donnait à connaître au grand public l’existence des rythmes biologiques chez tout être vivant, et commençait à faire connaître leur fonctionnement mais également les effets de leur dysfonctionnement.
Dans les années 1960-1980, un bouillonnement intellectuel s’est produit ce qui a conduit nombre de professionnels à s’interroger sur « respecte-t-on bien les rythmes biologiques des enfants ? ». En 1965 et 1970 le docteur Jacques Thomazi reprend, dans la revue française d’hygiène et de médecine, les conclusions du livre d’Alain Reinberg, à savoir : le temps scolaire, quotidien ou annuel, doit s’adapter aux rythmes biologiques et physiologiques de l’enfant : il faut donc répartir de manière plus scientifique le travail des élèves en cours d’année. La chronobiologie, dont les recherches s’effectuent au sein du CNRS, semble alors capable d’imposer enfin une réforme de fond des horaires scolaires. Après qu’une enquête auprès des lycéens ait montré qu’il y a rejet massif de leur part des horaires et des programmes d’études, le pouvoir politique s’inquiète et réalise des enquêtes successives.
L’une revient en 1978 au recteur Pierre Magnin, par ailleurs médecin, et l’autre en 1979-1980 au professeur de médecine Émile Lévy. C’est lui qui rappelle que « les rythmes scolaires » (le terme vient d’être inventé) tels qu’ils sont pratiqués en France, ont fait depuis longtemps l’objet d’appréciations critiques. Selon lui il convient de tenir compte chez l’enfant, d’une organisation temporelle particulière qui l’amène à faire des propositions de modifications dont la plupart obtiendront un avis favorable du Conseil Économique et Social de 1979 (1) et seront reprises dans le rapport rédigé par Pierre Magnin qui sera ensuite publié en 1986 (2) . Ces rapports incitent à ce que les divers éléments de la journée de classe soient mieux équilibrés et plutôt répartis de « manière harmonieuse ».
Comme on peut le constater, les rythmes scolaires ne s’intéressent qu’à l’organisation des horaires scolaires ! Ce qui est extraordinaire, c’est que le 14 mai 1980, Catherine Arditti écrivait dans le Monde : « Prudents et réalistes. Ainsi apparaissent le nouveau rapport et le projet d’avis sur les rythmes scolaires présentés par le CES. Même s’il contient en germe des bouleversements susceptibles de modifier de façon sensible tout le fonctionnement du système éducatif, il n’en ignore pas pour autant les contraintes.(3) Elle poursuit : « L’organisation de la journée et de la semaine – qui devraient varier en fonction de l’âge des enfants et du cycle d’enseignement – est tout à fait liée à la longueur de l’année. S’il est souhaitable, comme la plupart des études récentes le démontrent, d’alléger le travail quotidien des enfants ( » la journée scolaire française apparaît comme l’une des plus longues « ), cela suppose d’augmenter le nombre de jours de classe (qui sont parmi » les plus faibles du monde « ). C’est là qu’apparaît un des obstacles essentiels à tout changement réel : » la résistance des enseignants « . Et elle conclut : « Mais qui fera le choix politique de donner les moyens d’améliorer le secteur périscolaire, la formation de tous les enseignants, de les rémunérer aussi – notamment ceux qui sont au bas de l’échelle – en fonction du service que l’on attend désormais d’eux ? ». Cette histoire n’est-elle pas un éternel recommencement ? Ajoutons qu’à ce moment là les réformes concernaient tous les niveaux, primaire, collège et lycée.
Pourquoi ce dossier a-t-il toujours été très vite enterré ? J’ose affirmer que c’est parce qu’aucun politique n’a, jusqu’à ce jour, eu le courage nécessaire de l’aborder sous toutes ses dimensions et de lui accorder le temps nécessaire à son appropriation par tous les acteurs concernés. Mais aussi, j’en suis convaincue, parce qu’on s’obstine à n’en parler que comme « le dossier des rythmes scolaires ».
Le temps libre
Le début vrai d’une réflexion constructive, après une sensibilisation par Langevin et Wallon dans leur projet mort-né de rénovation de l’école, eut lieu sous François Mitterrand, ce qu’il concrétisera en confiant dès 1981 à André Henry la création d’un nouveau ministère, celui du Temps libre. Dans un ouvrage rétrospectif paru en 1996, celui-ci réaffirme que la recherche menée par son équipe tendait à déterminer les outils humains de notre temps, capables de transformer la société industrielle de consommation et de profit, au bénéfice d’une société au service de l’homme. «Si nous savons demain, donner un contenu humaniste en même temps que scientifique au temps libéré, alors c’est une fantastique prise de conscience des peuples que nous préparerons avec patience, mais avec persévérance, pour que chacun se sente un peu plus citoyen de son pays et citoyen du monde ».
Ainsi le 26 mars 1982 François Mitterrand signe l’ordonnance portant création du Chèque-Vacances et de l’ANCV, agence rattachée au Ministère du Temps Libre et au Ministère de l’Économie et des Finances. « Créer le Chèque-Vacances, un système d’aide à la personne pour les plus défavorisés ».
La mission de ce ministère est « de conduire par l’éducation populaire, une action de promotion du loisir vrai et créateur et de maîtrise de son temps ». C’est aussi à cette époque que sont confirmés, créés, redistribués de nouveaux corps professionnels, en charge de la jeunesse, de l’éducation populaire, des sports et de l’éducation physique. : exemple, les conseillers d’éducation populaire et de jeunesse.
Pour François Mitterrand le temps libre est une des clés principales de l’équilibre de la société et de l’épanouissement personnel. « La réduction du temps de travail est un élément capital pour accompagner les modifications des rôles parentaux que notre société connaît », explique-t-il aux congressistes de l’Union nationale des associations familiales, le 21 novembre 1981. Il faut que chacun des deux parents ait un temps suffisant, un temps libre aussi, sans lequel il n’est pas d’équilibre familial ; nous devons réfléchir ensemble sur cette modification des rôles et veiller à ce qu’elle se réalise dans le respect des droits de chacun, père, mère, enfant sans oublier qu’ils forment un tout et qu’ils restent chacun singulier ». (4)
Évaluation de la politique publique d’aménagement des temps de l’enfant
Le 21 mars 1991, après une décennie de contrats divers et variés autour de l’aménagement des temps de l’enfant, le Comité interministériel de l’évaluation avait décidé, sur la proposition du secrétariat d’Etat à la Jeunesse et aux Sports, d’évaluer la politique publique d’aménagement des rythmes de vie des enfants. Dans l’avant-propos du rapport d’évaluation sorti à la Documentation Française en octobre 1993, il est écrit : « L’évaluation montre que l’aménagement du temps de l’enfant est un sujet majeur qui va au-delà de la question des rythmes scolaires » (p.10), ce que déjà j’approuvais complètement après avoir participé au montage de deux projets éducatifs, l’un pour un collège en 1982 l’autre pour un groupe scolaire primaire en 1986.
Il est encore dit : « Ce travail sur l’aménagement du temps de l’enfant montre la difficulté à définir la meilleure articulation possible entre les temps scolaires et les temps non scolaires et le chemin qui reste à parcourir pour trouver l’organisation la meilleure de la journée, de la semaine, de l’année qui soit centrée sur l’intérêt de l’enfant, tout en tenant compte de la diversité des acteurs et de leur environnement ». L’instance d’évaluation auteur de ce rapport avait préconisé 10 recommandations qui, en particulier, proposaient que les dispositions contractuelles organisant l’aménagement des temps de l’enfant deviennent un dispositif de droit commun. C’était il y a 24 ans !! Comment en 24 ans n’a-t-on pas réussi à parcourir ce chemin permettant enfin de proposer une organisation temporelle de l’école et de son environnement immédiat en adéquation avec les besoins et l’intérêt des enfants ? Qu’ont fait les politiques successives de ces recommandations ?
Le décret du 27 juin 2017
En fait Le décret Blanquer a rouvert une boîte de Pandore qui avait été ouverte pour la première fois en 1991, à la suite d’un décret (5) offrant cette possibilité, immédiatement mise en musique par la région lyonnaise et le maire de Lyon, Michel Noir. (Ceci semble-t-il à cause de la pression des instances religieuses qui ont refusé le report du samedi au mercredi primitivement souhaité par Michel Noir).
Quoi qu’il en soit, cette organisation a très rapidement montré ses limites pour les enfants des zones péri-urbaines difficiles (Vaulx en Velin, St Priest, Vélizy,..) de l’est lyonnais dans lesquelles les acteurs éducatifs (Francas, Parents d’élèves, Enseignants) ont organisé des soirées débat, avec informations scientifiques, pour faire pression sur les autorités locales afin de revenir à une semaine sur 5 jours. Il faut ici ajouter que les enseignants de ces zones difficiles n’étaient pas seuls à dénoncer l’inadéquation de cet aménagement sur 4 jours puisque de nombreux enseignants de quartiers « favorisés » que j’avais alors rencontrés me disaient avoir constaté, assez rapidement après l’implantation de la semaine de 4 jours, que les salles de classe avaient tendance à se vider en hiver, le vendredi après-midi car les familles aisées partaient pour le week-end au ski : or ceux-ci ont vite refusé de perdre du temps dans les bouchons du vendredi soir et partaient donc dès la fin de la classe à midi !
Outre le fait que certains de ces enfants, le vendredi matin, se préparaient déjà dans la tête aux joies du ski, ils avaient le lundi matin une remise en route plus que difficile. C’est en tout et pour tout sur deux jours et demi (au mieux) hebdomadaires d’efficacité dans les apprentissages sur lesquels ces enseignants pouvaient réellement compter. Et si rien n’a changé malgré toutes ces opérations vérité, c’est en grande partie parce qu’à chaque fois des sondages (que je déplore souvent), des enquêtes ont été lancés pour savoir ce qu’en pense la population : évidemment la plupart du temps les seuls sondés acceptant (ou pouvant) remplir le questionnaire ont été ceux qui profitaient pleinement de l’organisation telle qu’elle était et n’avaient donc aucune envie d’en changer. C’est encore le cas très souvent aujourd’hui.
En 1991 également, les professionnels du ministère Jeunesse et Sports, convaincus de l’importance d’apporter aux personnels concernés par l’éducation des enfants, une bonne connaissance des rythmes de ceux-ci mais aussi des outils pouvant contribuer à alimenter et à approfondir la discussion et éclairer les décisions, ont construit une mallette pédagogique comportant des fiches d’informations et une cassette vidéo portant sur des exemples d’expérimentation menées, évaluées et réussies : cette mallette s’intitule « les rythmes de vie des enfants et des jeunes ». Voici ce qu’on peut lire dans la fiche introductive : « De quoi sont-ils aujourd’hui synonymes dans l’opinion publique ? De calendrier scolaire, de calendrier des vacances scolaires ; ou encore de la question du mercredi et/ou du samedi comme jour de congé … ou enfin de la fameuse semaine de quatre jours…
Mais alors il est une problématique qui demeure : celle du respect des rythmes de vie des enfants et des jeunes.
C’est justement la problématique que se proposent de traiter les fiches et la cassette vidéo contenues dans cette mallette. Cependant la liste des thèmes traités ici peut ressembler à un inventaire à la Prévert : sommeil, aménagement de l’espace dans une école, projet éducatif local, restaurants d’enfants, anxiété, dynamique sociale… Pourtant, ce n’est que la traduction de toute la richesse, la diversité, mais aussi la complexité des sujets que l’on aborde dès que l’on veut faire évoluer les mentalités, les attitudes, les politiques sur les deux axes autour desquels se structure la vie humaine, en l’occurrence, la vie des enfants et des jeunes : le temps et l’espace.
Avancer dans ce domaine, c’est créer les conditions d’un large débat social, au plus près des réalités de terrain ô combien diversifiées. Et créer les conditions de ce large débat, c’est en donner les éléments à tous ceux et à toutes celles qui, à des moments et à des titres divers, ont en charge ou se préoccupent des enfants et des jeunes….
Un débat social, mais aussi « politique », car en dernière analyse, la décision relève des pouvoirs publics, État et collectivités territoriales. Décision qui implique toutes les structures qui ont en charge l’enfant et le jeune, (établissements scolaires, centres de loisirs, lieux culturels et sportifs, etc.) ainsi que le réseau associatif. Ce projet local, après négociation avec l’État (le préfet, le directeur départemental de la jeunesse et des sports) donne lieu à la signature d’un contrat d’Aménagement des Rythmes de Vie des Enfants et des Jeunes » !
À qui cette mallette pédagogique, très riche d’informations indispensables à connaître, a-t-elle donc servi ? C’est un mal bien français que de penser sans cesse qu’on réinvente l’eau chaude en oubliant totalement ce que d’autres ont fait avant nous, de ne jamais s’appuyer sur les expériences réussies, de considérer le passé comme bon à enterrer.
Nouvel élan politique
1995, changement de présidence de la République, les rythmes scolaires sont toutefois toujours à l’honneur. Engagement est pris par Jacques Chirac, dans sa campagne présidentielle, de les modifier fondamentalement. Son objectif était d’éviter la généralisation de la semaine de 4 jours.
Une circulaire tri-ministérielle est signée fin 1995 (Education nationale, Jeunesse et Sports, Culture) mais les « malentendus » entre ministres aboutiront à ce que son application ne se fasse que sous l’égide de Jeunesse et Sports. Peut-on considérer qu’il est responsable de la part d’un ministre de l’Education nationale (François Bayrou pour ne pas le nommer) de diffuser dans toutes les écoles françaises un questionnaire proposant des choix d’aménagement de la semaine de classe parmi lesquels on trouve : une semaine à 4 jours de 6h30 ! (à l’époque, la semaine de l’écolier était de 26 heures, 4 jours à 6 heures imposait davantage de jours dans l’année et donc le plus souvent un raccourcissement des petites vacances intermédiaires). Ce même ministre avait d’ailleurs fait parvenir un courrier aux Inspections Académiques leur suggérant d’interdire aux enseignants d’assister aux conférences débats organisées par les DDJS en vue d’une réflexion à mener pour construire des projets d’aménagement des temps de vie des enfants. Ayant été orateur (parce que le jeu en valait déjà la chandelle, que je travaillais depuis bien avant 1995 avec le MJS et que les appels à projets étaient tout à fait intéressants) pour nombre de ces conférences, j’ai malheureusement eu à lire une telle lettre.
En 1997 ce sont 230 sites pilote (76 en zones rurales de – de 2000 habitants) concernant 859 établissements (dont 7% de collèges) et 108 402 enfants qui fonctionnent en ARVEJ.
Telle que la circulaire de 1995 avait été rédigée elle avait permis que soit mis en place en 1996 un projet d’aménagement sur 6 jours avec allongement des matinées scolaires au cours desquelles prenaient place l’EPS, les Arts Plastiques, toutes les activités dites d’éveil, matières faisant appel à la créativité et à la motricité autorisant des alternances pédagogiques bénéfiques au maintien de la disponibilité aux apprentissages des enfants. Ce fut le cas à Lille dans un quartier en grande difficulté mais aussi à Bühl. Cet aménagement lillois a fonctionné ainsi jusqu’en 2008 (obligation de supprimer le samedi matin) ; il est actuellement sur cinq jours toujours avec 4 heures le matin scandées par deux pauses, 2 AM de 2 h de classe et 2 AM de 2h de parcours de découverte.
Guy Drut, Ministre Jeunesse et Sports, annonçait alors que « le passage de l’expérimentation à la généralisation demandera au Parlement de légiférer. Un projet de loi devra être déposé avant la fin de l’année 1997. Tout d’abord pour donner un nouveau cadre à l’aménagement du temps scolaire, quotidien, hebdomadaire et annuel ; ensuite pour donner un statut aux intervenants». L’échec aux législatives de la majorité en place conséquente de la dissolution par Jacques Chirac de l’Assemblée nationale en 1997 n’a pas permis de légiférer.
Mais un comité d’évaluation, le CESARE, présidé par Jean-Paul Delevoye, avait été mis en place et de nombreuses études comparatives ont alors été menées. (6) (7)
Marie-George Buffet, devenue ministre de la Jeunesse et des Sports, décide de prolonger pour l’année scolaire 1997-1998 l’opération « sites pilotes » en souhaitant une place plus grande accordée aux collégiens et une priorité pour les zones défavorisées, urbaines et rurales. 242 sites pilotes concerneront alors 120 000 enfants.
Pourtant Claude Allègre, ministre de l’Education nationale, ne donnera pas suite et fera paraître une lettre d’Instruction le 9 juillet 1998, Education nationale, Jeunesse et Sports, Culture, Ville, concernant la mise en place du « Contrat Educatif Local ». Il s’agit « d’encourager les activités offertes aux enfants et aux adolescents en dehors des heures scolaires ». On externalise complètement les activités éducatives en séparant bien les temps scolaires et les temps périscolaires. On peut de plus regretter que ce ministre ait cru bon de lancer, devant un parterre d’enseignants : « vous avez vu, on leur a repris les rythmes scolaires à Jeunesse et Sports » ! Quel mépris pour les enfants concernés ! D’autant que les moyens mis par son ministère pour les CEL n’ont jamais été à la hauteur de ceux mis par Jeunesse et Sports pour les sites pilote.
Le décret dit Darcos
C’est exactement le même mépris pour les enfants qui a permis à Xavier Darcos de faire appliquer la semaine de 4 jours à peu près partout en France, car si les enfants avaient alors été mieux considérés, les conseils d’école auraient tiré partie de la possibilité offerte par la circulaire de mettre en place une semaine sur 9 demi-journées (« L’enseignement scolaire hebdomadaire peut se répartir sur quatre jours ou sur 9 demi-journées du lundi au vendredi » ; « Sur proposition du conseil d’école transmis par l’IEN et après avis de la commune, l’inspecteur d’académie-DSDEN peut modifier la répartition des 24 heures d’enseignement obligatoire dans la semaine, en les répartissant sur neuf demi-journées du lundi au vendredi »). (voilà d’où vient ce fameux « 9 demi-journées que je n’ai cessé de dénoncer !).
Que penser d’un syndicat enseignant qui déclare, le 29 septembre 2007 après l’annonce de ses décisions à venir par Xavier Darcos : « On vient de faxer une demande de rencontre avec Xavier Darcos, on ne peut pas se contenter d’annonces». Responsable du SNUipp, le premier syndicat du primaire, Gilles Moindrot est interloqué par la façon de faire du ministre. Aucune concertation n’a précédé «une annonce si lourde de conséquences, notamment pour les enseignants». «Nous n’avons pas d’opposition de principe, explique-t-il, de plus en plus nos collègues sont pour la suppression du samedi. Mais on ne peut faire de telles annonces en laissant tant d’incertitudes : comment ce soutien scolaire va s’organiser, quelles vont être les conséquences sur les programmes, etc.».
Enfin, qui a accepté de profiter de cette suggestion : « le ministre demande aux communes de laisser les écoles ouvertes le samedi matin pour que puissent y avoir lieu des activités d’accompagnement » ?
Et on ne peut oublier les propos d’un ancien ministre de l’Education nationale, concernant ces décisions. À la question : La suppression du samedi et la semaine de quatre jours, est-ce d’après vous une bonne mesure ?
Réponse de Luc Ferry : « Cela dépend de quel point de vue on se place. Si on se place du point de vue des performances des élèves, ce n’est pas forcément une chose formidable. Si on se place d’un point de vue budgétaire cette suppression à la fois d’heures et de postes […] est évidemment défendable. [….] on peut dire – ce que je pense personnellement – les questions budgétaires et de la dette publique sont fondamentales et on ne peut pas exempter l’Education nationale, étant donné le nombre de fonctionnaires qu’il y a dans cette maison, d’un effort y compris sur le plan budgétaire ».
Et à la question : « En supprimant le samedi, on fait des économies ? », la réponse : « Bien sûr, il faut vraiment être technicien pour le savoir. On peut l’expliquer simplement. Le passage de 26 à 24 heures, même dans le primaire, cela change le nombre de postes. Parce que la suppression des deux heures pour le soutien des élèves en difficulté permet de supprimer les RASED, ou réseau d’aide et de soutien à l’éducation dans les départements. Cela fait économiser 8000 postes. Il faut quand même le savoir. C’est un point très important. C’est cela, l’enjeu de cette réduction, outre le fait qu’évidemment cela fait plaisir aux parents, aux élèves et aux professeurs. Vous avez dans cette mesure un avantage politique et une réduction des coûts budgétaires ». (Europe 1, 2 septembre 2008). Comment les syndicats d’enseignants ont-ils pu rester muets devant de tels propos ???? D’autant qu’il conclut par : « On ne peut pas soutenir raisonnablement qu’en supprimant des heures, les élèves vont apprendre plus de choses ».
Les 8000 postes ont bel et bien été supprimés.
Quelles évaluations de la semaine de 4 jours ?
Aucune évaluation n’a été faite permettant de comparer un avant et un après 2008, alors qu’on sait que 95% des écoles sont alors passées à 4 jours.
Ce qui pourrait être considéré comme une forme d’évaluation, c’est le fait que Luc Châtel, successeur au Ministère de Xavier Darcos, ait cru important de lancer une grande consultation publique en juin 2010, sur la perception que tout un chacun a du bien-fondé de cette semaine. Il a ainsi installé le 7 juin 2010 un Comité de pilotage de la Conférence nationale sur les rythmes scolaires avec un site dédié à la consultation nationale . (8)
Cette conférence a donné lieu à la publication d’un rapport suggérant des propositions pour revenir sur la semaine de 4 jours, à celle d’un rapport parlementaire co-rédigé par Xavier Breton et Yves Durand dans lequel on lit p. 37 « Interdire la semaine de 4 jours ». Les rares études ayant été menées sur l’intérêt ou non pour les enfants d’une telle semaine, ne s’appuient, comme la plupart du temps, que sur des constats actuels réalisés par les acteurs concernés. Jamais il n’y a eu un travail de fond permettant de comparer en avant-après la réussite ou même le bien-être des enfants selon qu’ils sont sur une semaine de 5 jours ou de 4 jours.
Ainsi les recherches de Brizard et coll., 1994 (9) ; Desclaux et Desdouet, 1994 (10), constatent que la semaine de 4 j. n’a pas d’incidence particulière sur les performances intellectuelles d’enfants vivant dans un environnement socio-culturel dit « normal ». Il en est tout autrement lorsque la semaine de 4 jours est appliquée dans les ZEP des zones sensibles. Au CP, notamment, les élèves sont moins vigilants, ont plus de comportements scolaires inadaptés et dorment moins que les élèves présents 4 jours et demi par semaine.
L’étude de Brizard et coll. est une étude d’opinions réalisée auprès de 134 enseignants et 293 parents d’écoles sur 4 jours et 115 enseignants et 530 parents d’écoles sur 5 jours. Or si 6O% des parents en 4 j. disent constater un effet bénéfique sur les résultats scolaires, seuls 42% des enseignants estiment que cette organisation améliore les résultats de leurs élèves. Ils ne sont que 51% à trouver un effet bénéfique sur les comportements des enfants, et seulement 40% pour les élèves en difficulté. Si 59% des parents voient un effet bénéfique dans le déroulement des programmes, seuls 39% des enseignants le voient. Et 36% des parents et 39% des enseignants jugent l’effet bénéfique de la semaine de 4j. pour les rencontres enseignants-parents. On constate aussi un effet inverse dans la comparaison entre 4j . et 5j. : si les parents à 5j. imaginent moins d’effets bénéfiques pour une semaine à 4j.. ce sont les enseignants actuellement à 5j. qui imaginent plus d’effets bénéfiques que ne le constatent les enseignants étant déjà à 4j. Pour les enseignants sur 4j., l’effet le plus bénéfique ressenti serait une meilleure résistance à leur fatigue.
De plus une comparaison a été faite à partir de deux échantillons nationaux des évaluations CE2 de septembre 1993, l’un composé d’élèves scolarisés en semaine de 4 jours (durant au moins une année), l’autre composé d’élèves scolarisés 5 jours par semaine. (11)
Toutes choses étant égales par rapport aux caractéristiques individuelles, on constate un peu moins de 2 points sur 100 au profit des enfants à 4 j./ semaine : l’effet n’est pas statistiquement significatif.
Quant au rapport de synthèse de l’INSERM (12) il signale une synthèse internationale réalisée sur 4 pays d’Europe dont le constat est globalement défavorable à la semaine de 4 jours.
Après la généralisation de 2008
Le 29 janvier 2010 l’Académie de médecine publie son rapport selon lequel l’aménagement actuel du temps scolaire dans les écoles primaires contrarie le respect des rythmes biologiques nécessaire au bon état de santé de l’enfant et à ses capacités de mémorisation. (13)
Quant à la circulaire de préparation de la rentrée publiée le 19 mars 2010, elle précise que l’organisation de la semaine en neuf demi-journées (du lundi au vendredi en incluant le mercredi matin) doit être encouragée chaque fois qu’elle rencontre l’adhésion .(14) Le décret de 2008 ayant supprimé le samedi matin d’école est alors toujours en vigueur.
Enfin être le seul pays au monde à fonctionner sur un temps scolaire de 4j/ semaine est-il la preuve d’un respect par les adultes de l’intérêt de chaque enfant ?
Quelles données faut-il vraiment prendre en considération ?
La recommandation 10 du rapport d’évaluation évoqué précédemment, disait ceci : « Considérant le très large déficit de sensibilisation et d’information sur l’aménagement des rythmes de vie de l’enfant, il apparaît indispensable que soit organisée, en direction du public le plus large possible, une campagne de présentation de la problématique des rythmes de vie de l’enfant, de l’importance de leur connaissance, et des enjeux pour l’enfant et son avenir ». Il est ajouté : « cette préconisation doit à la fois vulgariser les fondements scientifiques, en termes simples et accessibles, et indiquer les contraintes qui imposent la recherche d’un équilibre entre les besoins individuels des enfants et des jeunes, le fonctionnement social, et l’intérêt à moyen terme de la collectivité dans laquelle ceux-ci vivent ». Voilà exactement ce que j’ai fait ces trois dernières années avec les communes que j’ai accompagnées (15), mais ce qui a été refusé de faire par les ministres précédents car il fallait que la réforme se mette en route rapidement, puisqu’en 2014, il y avait les municipales ! Le temps politique est évidemment plus important que le temps de l’enfant.
Pour ne pas conclure
Je veux montrer qu’on n’invente rien, mais aussi qu’en fait, si rien ne change depuis tant d’années, c’est qu’on ne fait que repartir de l’existant, – qu’on sait pourtant ne pas être satisfaisant – pour chercher comment on peut aménager cet existant, ce qui ne peut qu’aboutir à reproduire un système qui sera forcément rapidement inadéquat. Il est urgent de considérer qu’il faut tout remettre à plat et accepter d’innover en vue de construire une organisation capable d’être pérenne. C’est bien de refondation dont on parle, non ?
Dans le rapport d’évaluation de 1993, la conclusion des recommandations est : « une telle politique clairement affichée peut contribuer à la réduction des inégalités et faciliter la relation de l’école avec ses environnements, social, économique, culturel. Attentive au respect et à l’harmonie des rythmes de vie et activités des enfants à l’école, dans la famille, dans la cité, elle est également prise de conscience que le traitement de l’aménagement du temps, (journalier, hebdomadaire, annuel, de travail, de loisir, …) est aujourd’hui un problème central et ne peut se concevoir sans tenir compte du fonctionnement général de notre société » !
Que dire de plus ? 24 ans après, va-t-on enfin aborder ce dossier des temps de vie de l’enfant comme il doit l’être, en donnant le temps nécessaire aux projets éducatifs pour se construire, ou va-t-on continuer à ne s’intéresser qu’à amender les « rythmes scolaires » ? Si tel est le cas, alors c’est sûr, nous ne parviendrons jamais à refonder l’école.
Faire un projet qui respecte réellement les besoins de chaque enfant, qui permet aussi de redonner une qualité de vie professionnelle – et personnelle – aux enseignants, de ne pas précariser les emplois de celles et ceux qui ont en charge les enfants sur des temps éducatifs en dehors de la classe, de faire découvrir particulièrement aux enfants en difficultés toutes leurs potentialités, de leur faire la preuve de leurs compétences également autrement qu’à travers les traditionnelles évaluations scolaires, ne peut se faire que si un vrai pacte éducatif se construit. Cela nécessite un engagement de toute la communauté, Education nationale, partenaires éducatifs, familles, élus, enfants et jeunes eux-mêmes et la mise en œuvre d’un partenariat dans lequel chaque adulte est prêt à mettre entre parenthèses ses seuls intérêts et accepte d’imaginer qu’un fonctionnement réellement différent, à partir d’une remise à plat de l’existant, permettra d’éduquer – et d’instruire – des élèves-enfants bien dans leur peau et capables de devenir des citoyens volontaires pour qu’une société plus humaine voit à nouveau le jour. Loin de ne penser qu’à un réaménagement des rythmes scolaires, il s’agit évidemment selon moi d’un projet de société, seul moyen de sauver le service public de l’éducation nationale. Toutes les propositions que j’ai faites dès 2012 vont dans ce sens. Mais tout le monde le souhaite-t-il ?
Claire Leconte
Notes
1 Journal Officiel, Avis et rapports du Conseil Économique et Social, N°11, 27 mars 1979, pp. 561664, « Organisation des rythmes scolaires et aménagement général du temps, avis adopté par le CES. (Pierre Magnin, rapporteur) et N° 9, 3 juilet 1980, pp. 285-341, « Séance du 14 mai 1980, Les rythmes scolaires, (Émile Lévy, rapporteur) ».
2 L’organisation des rythmes scolaires, rapport, Paris. 1986
3 http://www.lemonde.fr/archives/article/1980/05/14/prudence-et-realisme_2820193_1819218.html#pIe4rUvoKVMa4rqg.99
4 « Temps libre » : un ministère rêvé. Institut François Mitterrand- La Lettre n° 26 – Jean-François Huchet – 10 décembre 2008
5 Décret no 91-383 du 22 avril 1991 relatif à l’organisation du temps scolaire dans les écoles maternelles et élémentaires
6 http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/984002021/index.shtml
7 LECONTE-LAMBERT C. (1998) Les effets sur les enfants : à propos d’un protocole d’évaluation “ Aménager les temps des enfants : débats autour d’une expérience”, La Documentation Française, 117-126
8 http://www.vie-publique.fr/actualite/alaune/enseignement-rythmes-scolaires-debat.html
9 BRIZARD A, DESCLAUX A, SALVA D. La semaine de 4 jours de classe. Les Dossiers d’éducation et formations 1994, 37 : 1-26
10 DESCLAUX A, DESDOUET N. Evaluation des effets du dispositif d’aménagement des rythmes de vie sur les enfants à l’école élémentaire et maternelle. Les Dossiers d’éducation et formations 1994, 39 : 1-82
11 http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/024000547/index.shtml
12 https://hal-lara.archives-ouvertes.fr/hal-01571640/file/INSERM_2001_rythmes.pdf
13 [http://www.academie-medecine.fr/detailPublication.cfm?idRub=26&idLigne=1768]
14 [http://www.education.gouv.fr/cid50863/mene1006812c.html]
15 http://www.claireleconte.com/blog/le-travail-realise-dans-les-communes-que-j-ai-accompagnees.html