Les techniques de collecte des données (le big data) peuvent-elles aider à mieux comprendre les élèves ? Sont-elles à même de publier des manuels scolaires plus performants ? Faut-il éduquer tous les élèves à en comprendre les enjeux ? Toutes ces questions se retrouvent au Campus Européen d’été de l’Université de Poitiers su 19 au 23 septembre. Reportage.
Cela fait plus de dix années que le département Ingénierie des Médias pour l’Education de l’Université de Poitiers organise un rassemblement en début d’année universitaire. Ouvert en priorité aux acteurs Erasmus Mundus du Master Euromime et ouvert aux autres étudiants mais aussi au grand public, cette semaine permet d’approfondir une question qui traverse le champ de l’éducation et celui du numérique. Approfondir n’est pas un mot léger, car en quatre journées bien remplies les participants suivront des conférences, des ateliers, assisteront à des prestations artistiques et découvriront aussi bien le travail des chercheurs que celui des acteurs de terrain ou encore des industriels et des responsables institutionnels.
Qu’est ce que le Big Data éducatif ?
Cette année le Campus Européen est consacré aux Big Data. En ce lundi, les 180 personnes inscrites ont pu, outre mesurer les enjeux de la semaine, approfondir dès les premiers mots cette question. Organisée dans un large partenariat entre l’université de Poitiers (Laboratoire Techne) les instances locales, les institutions de l’éducation nationale et les entreprises du secteur, cette semaine est enrichie d’une autre manifestation co-organisée par Canopé, le Big Datathon pédagogique.
Jean François Cerisier, professeur à l’université de Poitiers et grand ordonnateur de la manifestation a tout de suite donné le ton de la journée. Définissant ainsi les Big Data : « ensemble des techniques numériques destinées à collecter et analyser des données sur toutes sorte de thèmes sujets et personnes » il n’a pas négligé d’ajouter le pourquoi : à partir des données qu’on laisse volontairement et celles qui sont conservées malgré vous, il s’agit donc d’agir. De l’assurance à la santé les domaines d’applications sont nombreux, il n’y a pas de surprise à avoir quand à l’importance de ces données, désormais massifiées, en éducation.
Sans espérer ou désespérer de cette montée en puissance, JF Cerisier a mis en évidence les trois questions clés qui structurent la semaine :
– Comment peut-on appliquer les techniques du big data pour mieux comprendre les comportements et les dynamiques d’apprentissage des élèves ? Mieux comprendre pour mieux aider à apprendre ?
– Comment mobiliser le big data pour imaginer, concevoir et réaliser des scénarios d’apprentissages et d’enseignement nouveau
– Comment éduquer au big data, dans l’école et en dehors ?
Les algorithmes nous enferment
A la suite de cette introduction, Milad Doueihi, professeur à la Sorbonne, a fait partager ses analyses et questionnements dans un exposé concis et approfondi qui a captivé l’assemblée. Difficile de résumer cette conférence qui sera disponible en ligne prochainement, mais signalons quelques passages et phrases importantes relevées.
En signalant le changement d’échelle auquel désormais sont passés les usages des big datas, il a invité à se questionner sur la géolocalisation des données et la portée de telles informations sur les territoires et leur sens. Dans une comparaison avec le droit maritime et son évolution, Milad Doueihi a bien montré que les big data apportent un nouveau regard sur les notions de frontières.
Dans la suite de son exposé, il a questionné les algorithmes qui sous-tendent l’accès à ces données. En signalant la montée en puissance de la stratégie de recommandation à la place de la simple aide à la recherche d’informations, Milad Doueihi attire l’attention sur le lent enfermement progressif auquel nous sommes soumis. Cela amène à un conflit entre risque et confiance. Comment ne pas voir que les algorithmes proposés tentent de nous imposer l’avenir en se basant sur notre passé. A partir de cette analyse, il va tenter d’ancrer son propos dans des travaux scientifiques, le plus souvent nord-américains, qui montrent l’importance de cette question territoriale. Il ajoute à cela l’importance du calcul, le retour du calculable. En revenant à Norbert Wiener, Claude Shannon, il rappelle le lien qui se tisse entre autonomie et automatisation. Cette tension profonde questionne en cela qu’elle interroge la liberté, mais surtout la question du déterminisme.
Pour finir, Milad Doueihi a évoqué le nouveau matérialisme que constitue le numérique en opposition aux idées qui tendent à parler de dématérialisation. Dans un propos humaniste, pour terminer sa conférence, il a questionné la transmission de valeurs culturelles et le lien entre intelligence et économie. D’une sorte de pirouette il a terminé son propos en évoquant le fait que les grandes figures de l’informatique étaient souvent des autodidactes, fustigeant ainsi l’idée d’une sorte de construction rationnelle du progrès informatique.
Le projet Remasco
A l’issue de cette conférence, Jean François Cerisier ainsi que le responsable du Groupement d’Intérêt Scientifique (GIS INEFA) ont présenté le projet REMASCO. Ce projet de recherche vise à essayer d’inventer de nouvelles formes de manuels scolaires. En faisant travailler en parallèle six équipes sur le même projet, mais sans communiquer entre elle, en utilisant les techniques de créativité collaborative, ce projet vise à imaginer, voir développer un nouveau modèle de manuel scolaire.
La journée s’est terminée dans les salons de la maire du Poitiers, lors d’une courte cérémonie qui a permis aux concurrents du big datathon présents de proposer leur projet en cours de développement dans les locaux de CANOPE cette semaine. Les équipes, Gabonais et Marocains ont présenté aux cotés des Basques et des Poitevins leurs projets. Ces projets seront présentés à l’issu du campus européen d’été vendredi 23 septembre dans les locaux de la nouvelle grande région (Nouvelle Aquitaine) à Poitiers.
Mardi, la journée se déroule à l’espace Mendès France, espace de lien entre culture, science et grand public, et sera l’occasion d’aborder davantage le lien entre big data et créativité d’une part et l’engagement associatif d’autre part. A suivre en direct ou en différé dans quelques semaines sur le site de UPTV.
Bruno Devauchelle
Rappelons que le Campus Européen d’été peut être suivi en streaming et en direct.