Devant l’engouement des jeunes pour les sites de vidéos de toutes natures, et vu le nombre d’heures passées par les adultes et les jeunes devant les écrans (télévisés ou non), il n’est pas étonnant que le monde scolaire s’empare de ce moyen pour l’enseignement. La télévision, longtemps délaissée par l’école qui la considère essentiellement comme un objet de loisir, s’est transformée en trente années. Et l’avènement du multimédia ainsi que la convergence numérique l’ont transformée. La télévision est désormais un élément du paysage vidéo de l’environnement de chacun de nous, mais ce n’en est qu’une partie. Si son usage reste premier chez les adultes, il se dilue progressivement dans l’ensemble des pratiques d’écrans, d’images fixes et animées, incluant le visionnage en ligne, le téléchargement. Les pratiques de la vidéo s’intensifient et interrogent les éducateurs, les enseignants aussi bien dans leurs propre pratique que dans la prise en compte de cette évolution de la culture des jeunes dont ils ont la charge.
La force de témoignage des vidéos
Préambule : la présence constante dans la poche d’un appareil pouvant capter directement des photos et des vidéos transforme progressivement la posture du spectateur ou de l’observateur mis en face à une situation de vie à laquelle il assiste. Le réflexe photo/vidéo est de plus en plus partagé. Notre environnement quotidien est de plus en plus envahi par ces moyens vidéos : afficheurs dans les lieux publics, caméra de télésurveillance en sont les deux exemples les plus significatifs.
Premier constat : de plus en plus souvent les enseignants ont recours à la vidéo parmi les supports qu’ils utilisent pour illustrer leur enseignement en salle de classe. Pour l’enseignant la vidéo constitue un « argument » fort pour accompagner son propos. Si l’on peut évoquer l’effet « vu à la télé », il faut surtout évoquer la force de témoignage des vidéos surtout quand elles témoignent de faits. Même si d’habiles montages peuvent démultiplier les effets, l’usage de la vidéo devient un auxiliaire précieux pour donner à voir aux élèves. Ce n’est pas un hasard si le modèle canonique de la classe inversée s’appuie sur le visionnage de vidéos à domicile.
Deuxième constat : le recours à la vidéo dans ce que l’on nomme la « classe inversée » est très courant, allant jusqu’à la fabrication de vidéos par l’enseignant lui-même. Au-delà du modèle, bien restrictif des pratiques de classe inversée, la vidéo prend aussi une forme nouvelle avec la facilitation relative de la fabrication et de la diffusion. Toujours chronophage, faire une vidéo ne suppose plus de matériel coûteux et complexe, et peut se réaliser rapidement pour peu qu’on ait pensé en amont le récit, le story-board. Le message qu’on veut faire passer implique une réflexion qui peut alors amener à la production vidéo.
La vidéo est un récit
Troisième constat : les jeunes apprécient beaucoup de consulter des vidéos, de même que les enseignants, la force attractive de la vidéo est réelle. Lorsque l’on regarde, dans des interventions, le degré d’attention des enseignants face à des vidéos que l’on utilise pour illustrer son propos, on remarque que les adultes sont aussi très attirés par ce type de support. La force de la vidéo est d’abord l’impression d’une compréhension immédiate. La deuxième force, c’est le récit et sa structure (cf. la structure du conte ou de la BD par exemple). La troisième force c’est le renouvellement des plans (entre 2 et 7 secondes maxi le plus souvent) ou la technique de la caméra subjective, ces techniques sollicitant l’adhésion du spectateur, son entrée, son implication dans le récit.
Quatrième constat : fabriquer des vidéos, transformer des vidéos est un acte technique qui devient de plus en plus aisément réalisable. Le développement des logiciels de montage vidéo est venu concrétiser une évolution qui a progressivement harmonisé les différentes étapes de la fabrication. Nous sommes passés de l’incrustation à la numérisation, et de la numérisation au simple transfert. De l’image captée au logiciel de montage, il y a la même chaîne que pour un traitement de texte. L’écriture filmique voit progressivement la simplification envahir la chaîne de production. Même si le montage reste une activité qui prend du temps, il y a un point qui reste délicat, c’est le format de diffusion. Format de fichier, taille de fichier, définition d’image, sonorisation, voire post-production, il y a encore de quoi simplifier les choses, comme le fond certains appareils de prise de vue qui déposent directement le document sur un serveur en ligne de type YouTube…
Cinquième constat : des automates de fabrication de vidéos à partir de documents existants se développent et sont proposés à l’usager. De même on trouve en ligne des logiciels qui permettent facilement d’augmenter des vidéos existantes (en y introduisant des questionnaires par exemple). Il vous est peut-être arrivé de découvrir sur votre téléphone portable la proposition de la vidéo de la semaine ou du mois. Ce document est un montage automatique à partir d’une sélection de ce que vous avez capté. Forme minimale du montage, elle donne des résultats étonnants qui ravissent nombre d’usagers. On trouve désormais, en ligne, des logiciels qui permettent de manière très simple des manipulations de vidéos, comme celles qui permettent d’insérer des QCM pendant la vidéo, l’interrompant et qui, à la sortie donne un document pédagogique prêt à l’emploi sans connaissances techniques (comme Educanon par exemple : https://www.educanon.com/ )
Fabriquer des vidéos c’est « écrire »
Sixième constat : la frontière image fixe – image animée – vidéo s’estompe pour le spectateur. On voit se développer de plus en plus souvent un entrelacement entre photo et vidéos. Les photos semblent parfois en mouvement alors qu’il s’agit d’un mouvement de caméra (travelling) sur la photo en en dévoilant progressivement des parties. Ce qui est intéressant c’est qu’une sorte de langage intermédiaire entre celui de la photo et celui du cinéma est en train d’émerger. L’exemple des webdocumentaires confirme cette tendance, complétée par des textes. Mais tout cela se fait en s’appuyant toujours sur le récit, construit et ordonné de manière à faire passer le message. On voit donc émerger une style d’écriture qui permet en classe d’offrir une manière de plus en plus souple d’accès au contenu que l’enseignant propose ou encore qu’il fait produire par les élèves.
Septième constat : Fabriquer des vidéos c’est « écrire » c’est à dire exprimer avec l’aide d’un artefact des pensées, des idées, bref faire passer une intention. Les concours de vidéos scolaire, sur téléphone portable ou autres témoignent de la vitalité de cette écriture et surtout de son accessibilité. Lire, écrire ne se résume pas à l’alphabet et au texte, mais désormais il devient urgent de penser toutes les formes d’écriture. Il n’a été que peu question du son dans les expressions actuelles, mais avec les webradios et autres, on voit bien que le lire et l’écrire prennent une autre dimension que l’école ne pourra pas longtemps laisser de côté. Les enseignants qui incitent leurs élèves à utiliser leur smartphone en classe pour réaliser ces formes d’écriture sont déjà entrés dans cette pratique qui élargit le champ de la responsabilité éducative en matière d’expression.
En conclusion : l’évolution de la place de la photo et de la vidéo est très nette et prend depuis plusieurs années une importance de plus en plus grande. Le passage par le témoignage visuel fait partie de la culture contemporaine. Non seulement nous enregistrons mais aussi nous diffusons de plus en plus de vidéos. Pour ce qui est du montage, du travail de l’écriture filmique, on s’aperçoit que c’est moins fréquent du fait du temps et de la complexité de l’opération. Cependant l’engouement pour la vidéo et les logiciels de montage ne se dément pas d’autant plus qu’ils offrent tous les niveaux de difficulté et de performance. Le monde scolaire a longtemps été en difficulté face à l’image. La culture de l’écrit traditionnel est installée dans l’école depuis près de deux siècles. S’il ne s’agit pas de le supprimer, il s’agit désormais de le resituer dans un ensemble qui constitue une partie de l’éducation indispensable aux médias et à l’information. Il est temps que de nombreux enseignants réfléchissent à la nécessité de « monter en compétences » dans ce domaine.
Bruno Devauchelle