Par Julien Cabioch
En classe, avec L’Hermione
A peine L’Hermione appareillée, le 18 avril, les élèves de Laure Stervinou, enseignante en SVT au lycée de l’Harteloire de Brest, sont déjà au travail. Pendant que les élèves de première étudient les changements dans les courants et les vents marins entre 1780 et 2015, leurs camarades de seconde échangent avec des lycéens américains sur le changement climatique, en partenariat avec l’association Brest-Newport. Entre Cop21 et histoire des sciences, découvrez leur travail.
Comment est né ce projet ?
J’ai été contacté par l’association Brest Newport pour mettre en place un projet éducatif lors du voyage de l’Hermione de la Rochelle à Brest en passant par le trajet historique des troupes françaises menées par Lafayette et Rochambeau lors de la guerre d’indépendance des Etats Unis. C’est vrai que ce voyage est une opportunité pédagogique à travers une grande diversité de thèmes à aborder. On peut notamment aborder les sciences. L’idée de départ était de comparer le voyage de Lafayette en 1780 et celui de l’Hermione en 2015. Et si on attend encore 200 ans de plus, les courants et les vents permettront-ils de suivre le même trajet ? C’est ainsi qu’on s’est posé la question des changements climatiques et de leurs conséquences.
D’ici la COP21 en décembre à Paris, vous menez un projet Climat avec vos élèves de 1ère S. Quels objectifs vous donnez-vous ?
Le projet que nous menons autour du Climat a pour objectif de faire réfléchir les élèves sur un sujet d’actualité : COP 21 en décembre à Paris qui nécessite des connaissances scientifiques afin de se construire une opinion personnelle. Les élèves ont ainsi fait le point sur les connaissances actuelles et les controverses sur le sujet. Ensuite, une fois leur opinion faite, ils recherchent une façon de convaincre les autres élèves. De plus, certains réfléchissent à des actions (personnelles ou collectives) à mener pour diminuer l’impact de l’homme dans les changements climatiques.
Concrètement, que font les élèves pendant les séances ?
Dans le cadre de l’accompagnement personnalisé en classe de première, le projet se déroule en plusieurs étapes. Sur une idée un peu imposée au départ, les élèves travaillent par groupe sur leurs idées. En autonomie, la première étape du travail a été la recherche documentaire sur site internet, auprès de scientifiques et lors d’un atelier pédagogique à Océanopolis. Ensuite ils ont trié et confronté les informations. L’objectif est que chaque groupe produise une affiche en format numérique qui sera imprimée en format exposition sur leur sujet. L’étape suivante est la restitution du travail de chaque groupe pour une vision globale du sujet. Pour cela, chaque groupe prépare une intervention orale dans un style original qu’ils ont à définir.
Vous échangez également avec un lycée américain à ce sujet ? Quelles sont les différences de perception de la problématique climat outre atlantique ?
Suite à un hiver très rigoureux aux USA, la notion de « réchauffement climatique » est difficile à aborder avec eux. Par contre, ils adhèrent davantage aux « changements climatiques ». Mais pour eux, c’est normal puisqu’il y a déjà eu dans le passé des périodes plus froides et plus chaudes comme le prouvent divers indices du passé. «Ils n’adhèrent pas cependant à une grande partie de la frénésie associée au concept aujourd’hui »
Vous impliquez également vos élèves de 2nde dans un projet histoire des Sciences. Un mot sur ce projet.
Ce sont eux qui sont engagés dans la plus grosse partie du projet en lien avec l’Hermione. Ils sont impliqués dans un projet pluridisciplinaire en partenariat avec la Marine Nationale et l’association des Blouses Roses. Le principal objectif est la sensibilisation à la citoyenneté en prenant exemple sur Lafayette. Concernant les sciences, on aborde des sujets en relation avec l’histoire des sciences du XVIIIème sciecle à aujourd’hui (par exemple les instruments de navigation). Ce projet sera valorisé par une série de conférences présentées par les élèves et lors d’un après midi auprès des enfants hospitalisés encadré par l’association des blouses roses.
Vous avez eu ces idées de projet suite à l’université d’été Mer-Education de Brest en août 2014. Qu’avez-vous fait pendant cette semaine de formation ?
Lors de l’université d’été, j’ai pu assister aux conférences des scientifiques sur les changements climatiques, ce qui a permis une remise à niveau de mes connaissances sur le sujet. Ensuite, j’ai pu participer au bilan des trois ateliers qui ont été réalisés au cours de la semaine. J’ai aussi échangé avec les stagiaires de l’université d’été sur les pistes pédagogiques que l’on pouvait envisager dans nos disciplines mais aussi lors de projets pluridisciplinaires.
Votre projet sera valorisé à Océanopolis à Brest en juin lors de l’exposition Jeunes Reporters Arts et Sciences. Comment se prépare cet événement ?
Tous les travaux réalisés par les élèves en accompagnement personnalisé ne sont pas notés, leur valorisation passe par un autre moyen en dehors du milieu scolaire soit auprès des enfants hospitalisés pour les élèves de seconde, soit lors des restitutions de l’appel à projet d’Océanopolis Jeunes Reporters des Arts, des Sciences et de l’Environnement.
A Océanopolis, les élèves vont présenter leur travail devant plus 200 autres élèves, leurs enseignants et des scientifiques. Leur présentation devra mettre en évidence leur travail de recherche sur l’aspect scientifique mais aussi sur l’aspect artistique du projet. Cette présentation orale ne s’improvise pas et nécessite des répétitions avant le jour J. Ils vont choisir les sujets à présenter, le mode de présentation (le but n’est pas de faire une conférence soporifique, mais de faire une représentation sous la forme d’une mise en scène plus humoristique). Ce moment est important, même s’il est stressant, car les élèves se sentent valorisés « même s’ils ne sont pas bons en sciences ».
Propos recueillis par Julien Cabioch
Suivre en direct le trajet de l’Hermione
L’Université Mer-Education sur le climat
Quand les lycéens débattent des changements climatiques
Comment ça se passe, une Conférence mondiale sur le climat ? Dans la perspective de la prochaine conférence COP21 en France, 140 lycéens de Seconde, venus de 14 lycées d’Île de France, ont fait l’étonnante expérience le 6 mai de défendre les enjeux de pays impliqués dans la Conférence internationale, dont ils portaient les couleurs et les intérêts spécifiques, mercredi 6 mai au Lycée du Bourget. Réunis autour des enjeux d’environnement planétaire, les lycéens ont étudié toute l’année la situation des pays dont ils représentaient la délégation, dans un gigantesque jeu de rôles, au plus près du réel. Un exercice grandeur nature qui leur laissera un souvenir durable.
Un événement concerté entre acteurs institutionnels
Le projet est né d’une coopération entre le ministère de l’Éducation nationale et le ministère en charge de l’écologie, relayé en Île de France par la direction régionale et interdépartementale de l’environnement et de l’énergie (DRIEE) et les académies de Créteil, Versailles et Paris. L’objectif en était d’impliquer des établissements scolaires dans la préparation active et concrète de la COP 21 de décembre 2015. Avec le soutien de deux associations, CliMates et Frequence School, la COP des lycéens a mobilisé les classes de 14 lycées volontaires, dont 13 ont rejoint le dispositif des lycées écoresponsables de la Région.
Réunion plénière sous pression
L’ambiance était électrique, pour la conférence plénière de clôture, mercredi après-midi : au terme d’une journée de négociations sévères, menées pied à pied lors de rencontres formelles et informelles, les 10 représentants de chacune des 14 délégations devaient décider l’adoption des accords consensuels établis lors des débats. La présidence de séance était assurée par deux élèves du microlycée du Bourget, très professionnels, assistés par des étudiants de la CliMates. Plus tôt dans la journée, les participants avaient reçu la visite des deux ministres des ministères de tutelle, Najat Vallaud Belkacem et Ségolène Royal. Une forme de reconnaissance qui n’a pas laissé les élèves insensibles, malgré leur détachement affiché. Mais restaient à ratifier les décisions âprement négociées.
Adoption d’un statut de « réfugié climatique »
Pour adapter le projet aux classes de secondes, les discussions portaient sur 3 chapitres : atténuation, adaptation et forêt, et utilisation des terres, avec la prise en compte transversale des questions financières, notamment relatives au Fonds vert pour le climat. Quelques objections ont encore ponctué cette séance conclusive : les Maldives se sont alarmées sur la question du prix de la tonne de carbone, indispensable pour mesurer les effets de compensation. Aucun consensus n’a cependant pu être obtenu sur ce point, qui devra être renégocié à la prochaine COP. Nouveauté par rapport aux projets préalables : l’adoption d’un statut de « réfugié climatique », les pays volontaires s’engageant à assurer l’accueil des personnes concernées. Une diminution de 50% de la déforestation d’ici 2025 et son élimination d’ici 2030, sous réserve d’une aide financière et technologique aux pays en voie de développement, a été décidée. L’Australie a tenu à faire préciser s’il s’agissait de déforestation brute ou nette, c’est-à-dire en arbres coupés ou en arbres coupés et non remplacés. Au premier titre, précise la présidence. Quant à la reforestation, un plan prévoit de recouvrir 40% des terres déboisées de puis 20 ans à l’horizon 2030 . La salle applaudit chaleureusement.
Ne pas oublier les actions de proximité
Une discussion précise, saluée sans complaisance par Corinne Rufet, vice-présidente à l’environnement du conseil régional : « vous êtes arrivés à un résultat de + 3°, notre objectif dans la réalité est d’atteindre +2°. Et il est regrettable que vous n’ayez pu parvenir à un accord chiffré. Vous voyez, ce n’est pas facile, mais c’est un bon résultat. » Elle a également rappelé aux élèves franciliens l’importance de leur implication écologique, et l’action de proximité qu’ils peuvent avoir, par exemple, en soutenant la demande d’aliments bio pour leurs cantines scolaires. Un enjeu d’importance, pour la Région, où l’agriculture biologique reste encore très minoritaire et doit trouver des débouchés pour se développer. Béatrice Gille, rectrice de l’académie de Créteil, a félicité les élèves de leur solide investissement, leur rappelant l’importance d’apprendre à « adopter les conventions », autant dans la qualité de leur travail que dans le soin qu’ils avaient apporté à leur tenue et à leurs interventions publiques.
Une vraie interdisciplinarité
Les représentantes de la délégation de la Chine, venues du Lycée Chérioux de Vitry sur Seine, Lise, Maryam, Maeva et Sabrina, ont vécu une expérience « mieux qu’on aurait pu penser, beaucoup plus vivante. Chacun avait son idée et voulait la défendre ! On a obtenu mieux qu’on attendait. Mais il y a des choses qu’on a lâchées, parce que quand même, c’est pour la planète. » Ce qui les a marquées ? « Les techniques de captage du CO2 dans les usines thermiques, c’est vraiment fort. Avant on avait moins conscience des dégâts sur l’environnement, maintenant, on se rend compte. » Le travail en amont a été considérable, comme le confirme Mme Beaulier, professeure de Sciences économiques et sociales, qui a accompagné deux délégations (Australie et ONG) de son lycée d’Orsay. Le cahier des charges prévoyait 3h hebdomadaires. L’équipe enseignante a utilisé les heures d’ECJS et l’enseignement d’exploration Sciences de Laboratoire. Mais en incluant aussi SVT, physique chimie, histoire géographie : une vraie interdisciplinarité qui s’est construite au fil du projet. « On intervenait régulièrement dans les cours les uns des autres ! L’enseignement d’exploration a été complètement transformé, et la formation des citoyens par l’ECJS… s’est faite autrement ! »
« Prêts à recommencer ! »
Pourquoi avoir choisi de représenter l’Australie ? « Sa position est particulière : de motrice dans la lutte contre le réchauffement, elle est devenue climatosceptique depuis le dernier changement de gouvernement et a changé radicalement sa posture. C’était très difficile de jouer le jeu : il fallait respecter l’esprit du pays. Mais défendre aussi les ONG nous a permis de rééquilibrer et de créer du débat à l’intérieur de notre groupe », commente Mme Beaulier. M. Bernaud, professeur de SVT, précise : « On a créé un débat interne à la société australienne, ce qui a permis d’envisager tous les points de vue, aborigène, industriel, agricole, etc. » L’atout majeur, en termes de pédagogie ? Les enseignants sont d’accord : « une interdisciplinarité telle qu’on ne la pratique jamais ! Les élèves ont apprécié ce décloisonnement et cette forme de travail atypique. Il en est résulté une relation différente avec les élèves. » Même si le public d’Orsay est plutôt privilégié, reconnaît Mme Beaulier, la classe impliquée n’était pas la plus facile, mais a complètement joué le jeu. Plutôt contents de l’expérience, les professeurs ? « On est prêts à recommencer dès demain ! » affirment-ils, expliquant déjà leurs projets à suivre dans cette veine.
Une initiative ambitieuse et un défi relevé haut la main, par l’ensemble de ces lycéens et de leurs professeurs venus d’horizons, de milieux, de types d’enseignement différents, de Saint-Cloud aux Mureaux en passant par Clichy-sous-Bois, pour prouver s’il en était besoin, combien une pratique pédagogique alternative et engagée peut galvaniser toutes les énergies scolaires.
Jeanne-Claire Fumet
Les travaux de la journée en Live-tweet : #lycéensCOP21IDF