Les « serious games » ont fait leurs preuves en matière éducative, mais les élèves sont habituellement les joueurs, non les concepteurs du jeu. Faire réaliser par des 6èmes un jeu vidéo autour de l’Odyssée, c’est le défi original qu’Olivia Assemat, professeure documentaliste dans un collège de Saint-Jean-de-Luz, a réalisé en collaboration avec un collègue de lettres, Laurent Etchechoury. Le projet paraît homérique ? Il s’avère apparemment plutôt simple à réaliser, grâce au logiciel RPG Maker dont les élèves se sont aisément emparés. Il se révèle aussi pleinement pédagogique. Les élèves développent des connaissances, mythologiques et littéraires. Ils acquièrent des capacités variées : recherche et traitement de l’information, maîtrise de la langue, usage des nouvelles technologies… Ils adoptent des attitudes positives : esprit d’équipe, goût du travail scolaire, inventivité… De nouveaux projets, tout aussi stimulants, sont en germe autour de la bande dessinée : la créativité des élèves est souvent à la mesure de celle des enseignants… Olivia Assemat sera au 7ème Forum des enseignants innovants.
Comment ce projet de jeu vidéo littéraire est-il né ?
Ce projet est un travail monté en partenariat avec un professeur de français concernant l’Odyssée d’Ulysse. J’avais l’habitude d’utiliser le logiciel RPG Maker (logiciel d’édition de jeu vidéo) dans le cadre de petits ateliers multimédia, entre midi et deux. Au vu du succès de cet atelier, j’avais décidé de l’utiliser dans le cadre d’une séquence pédagogique en SVT. En septembre 2012, je suis arrivée dans un nouvel établissement et je connaissais encore mal mes collègues. Un jour, en discutant avec un jeune professeur de français, je lui ai parlé du jeu vidéo que j’avais fait l’année passée. Je souhaitais renouveler l’expérience car j’avais pris beaucoup de plaisir à faire ce projet et je ne vous cache pas que les élèves en avaient beaucoup pris aussi ! Lui m’a parlé de sa difficulté à aborder l’Odyssée d’Ulysse de manière originale, sans perdre les élèves dans les méandres de la mythologie. Ce fut presque comme une révélation pour nous deux : réaliser un jeu vidéo était LA solution pour que les élèves adhèrent à cette partie du programme. Nous avons donc décidé de monter cette séquence.
Il a tout d’abord fallu réaliser entièrement le jeu vidéo pour que les élèves n’aient plus qu’à reproduire exactement ce que nous avions fait. En effet, nous nous étions dit que cela allait être un peu difficile de laisser des élèves de 6e seuls face au logiciel, et puis nous avions peur que les élèves perdent du temps à réaliser les décors et à placer les personnages. C’est un logiciel très intuitif qui offre énormément de possibilités, autant dans les décors que dans les actions que peuvent réaliser les personnages, et nous ne voulions pas que les enfants perdent du temps à vouloir tout essayer dans les combinaisons de décors et de personnages. Nous avons donc choisi de les canaliser en leur donnant (à chacun des groupes) une feuille sur laquelle était indiqué le décor à réaliser et les personnages à placer. Par contre, c’est eux qui ont entièrement écrit le scénario, les dialogues, et fait les animations. Au final les élèves ont passé 13 heures sur le projet.
La création d’un jeu vidéo apparait a priori comme un énorme défi sur le plan technique : aviez-vous des compétences en la matière ? comment avez-vous mené à bien ce défi ?
En fait ma formation m’a un peu aidée dans ce projet mais pas tant que ça. J’ai, à la base, un DESS « Archives et multimédia » mais ma formation m’a surtout servie pour la retouche photo, plus que pour l’utilisation d’RPG Maker. En effet, ce logiciel est édité pour concevoir des jeux de rôles. Aussi, certains personnages ou décors spécifiques à l’aventure d’Ulysse ne sont pas présents dans le logiciel. Il a fallu trouver une alternative. Par exemple, il n’y a pas de cyclope dans RPG. Beaucoup de fans ont développé des personnages pour le logiciel que l’on peut facilement trouver sur internet, mais après des heures de recherches, rien sur un éventuel cyclope. J’ai donc décidé de le créer moi-même. J’ai choisi un troll dans la bibliothèque de personnages, et j’ai modifié dans un logiciel de retouche d’image son apparence pour lui supprimer un œil et le recentrer pour en faire un cyclope. De même, le cheval de Troie n’existait pas. Or, Ulysse sans le cheval de Troie n’est plus Ulysse. J’ai trouvé l’image d’un cheval sur internet et je l’ai incorporé dans la bibliothèque de décor d’RPG. Les élèves n’avaient plus qu’à prendre le personnage disponible dans la bibliothèque de décor, et a le placer sur leur tableau.
En ce qui concerne le logiciel en soi, c’est un logiciel très intuitif. Tout est proposé via une bibliothèque (décors, personnages, actions…), il n’y a plus qu’a choisir ce que l’on veut y faire. Il n’y a rien à programmer, donc aucune compétence informatique spécifique à avoir : c’est pour cela que nous nous sommes permis de le proposer à des 6èmes. Ainsi, nous avions prévu 2 heures de formation sur RPG, mais en une heure, ils se débrouillaient déjà très bien. Quand quelque chose ne fonctionnait pas, ils essayaient de trouver seuls, ou demandaient à leurs camarades : 2 enseignants pour 31 élèves, forcément, nous n’étions pas trop disponibles pour tout le monde. C’est ainsi que nous avons vu naitre une vrai solidarité dans le groupe classe : les élèves qui maitrisaient le logiciel allaient spontanément aider leurs camarades et se faisaient instinctivement notre relais.
En pratique, comment avez-vous travaillé avec les élèves ?
Nous avions mis les élèves par groupes de deux. Comme nous avions 31 élèves, il a fallu réaliser plus de 15 tableaux différents et donc découper l’aventure d’Ulysse pour que chaque tableau corresponde à un moment important. Ainsi, un groupe a travaillé sur la caverne du cyclope, un autre sur la rencontre avec les sirènes, la discussion des Dieux sur l’Olympe quant au sort réservé à Ulysse après la malédiction de Poséidon, ou encore les aventures chez Calypso, Circée, Eole…. Cela nécessitait bien sûr d’avoir lu l’œuvre, mais aussi de faire des recherches documentaires approfondies car chaque groupe devait connaitre le passage qu’il allait réaliser sur le bout des doigts. Les élèves ont écrit le scénario de leur tableau, de même que les dialogues. Puis nous avons consacré une séance à leur formation sur le logiciel et nous leur avons donné la feuille de route pour qu’ils réalisent le tableau à l’identique. Je leur avais montré au préalable le rendu final de leur tableau (animations comprises) mais je ne leur avais pas dit comment les réaliser et ils ont dû se débrouiller tous seuls pour trouver comment le faire. Lorsqu’ils n’y arrivaient pas, nous les aidions mais j’avoue qu’ils m’ont vraiment étonnée car pour des élèves de 6e, ils se sont rudement bien débrouillés et ont fait preuve de beaucoup de solidarité et d’entraide.
Ci-dessous, un exemple de la feuille de route d’un groupe : il y est noté le titre du tableau, le décor à choisir, les protagonistes et le décor à réaliser à l’identique (placer les rochers aux mêmes endroits…) Dans ce tableau, le bateau arrive à droite de l’écran et doit naviguer jusqu’au centre de l’écran avant de disparaitre et laisser place au tableau suivant qui concerne la rencontre d’Ulysse avec les sirènes. Les élèves devaient trouver seuls comment faire l’animation.
Le premier écran représente le tableau en mode création, le second le tableau en mode jeu
Tableau 16 : L’arrivée chez les sirènes
Décor : 005 route côtière
Protagonistes : bateau (hasen01)
En quoi les 2 enseignants qui portent ce projet, une professeure documentaliste et un professeur de lettres, trouvent-ils leur compte dans un tel projet ?
Le thème de l’Odyssée d’Ulysse fait partie du programme des 6èmes puisque ceux-ci doivent étudier les textes fondateurs. Nous avons ainsi pu travailler plusieurs domaines de connaissances et de compétences info-documentaires comme l’identification de sources et d’une production finale, l’évaluation de documents en vue de leur sélection, le prélèvement d’informations pertinentes dans des documents sélectionnés, la construction de connaissances à partir de l’information prélevée de même que la production et la communication d’un document. Au niveau des compétences disciplinaires, il s’agissait ici de travailler la lecture d’ouvrages documentaires, la préparation d’un travail de rédaction, la maîtrise de la langue française, la lecture analytique et la lecture cursive, l’expression écrite et les travaux d’écriture favorisant l’expression poétique, ainsi que la narration à partir des œuvres étudiées.
On se représente volontiers le jeu vidéo comme ennemi du travail scolaire : en quoi constitue-t-il selon vous un intéressant support pédagogique ?
Je pense qu’aujourd’hui, nous ne pouvons plus nous permettre le cours magistral, sans interaction avec les élèves, particulièrement en documentation ou nous travaillons beaucoup la méthodologie. Les nouvelles technologies font partie intégrante de notre quotidien et la génération d’élèves que nous avons actuellement est née avec ces technologies. Il faut savoir s’adapter et proposer un enseignement qui colle avec la réalité. Nous avons de plus en plus d’élèves qui sont incapables de se concentrer plus d’un quart d’heure, qui sont dans le zapping perpétuel, qui pensent souvent à s’amuser au lieu d’écouter le cour, ou bien qui attendent gentiment que l’heure passe et que le cours s’achève pour aller discuter sur Facebook. Je pense qu’il est de notre rôle de détourner les outils dont ils ont l’habitude de se servir et qui exercent une forte attraction sur eux, et de se les approprier en leur trouvant une dimension pédagogique. Ainsi, les élèves peuvent constater que nous ne sommes pas complètement ignares et que nous aussi nous maîtrisons ces technologies qui font leur quotidien. L’idée est de faire passer des contenus pédagogiques sans que les élèves zappent au bout d’un quart d’heure. En se servant d’outils qui les intéressent, il me semble que nous avons plus de chances de capter leur attention et de susciter leur intérêt, et donc de faire passer les connaissances et compétences à acquérir. De plus, particulièrement dans le cas du jeu sérieux, c’est une expérience souvent unique pour les élèves et dont ils gardent un très bon souvenir.
Pensez-vous renouveler l’expérience ? Ou mener de nouvelles aventures pédagogiques ? Quels conseils donneriez-vous à des collègues tentés par un projet similaire ?
Cette année, je ne pense pas renouveler l’expérience. Je préfère faire tourner les activités plutôt que de les répéter tous les ans, de manière à ne pas lasser le public. Cette année, nous avons décidé avec un collègue de français et un autre en latin, de travailler la bande dessinée. Nous avons acheté les licences d’un logiciel très intuitif permettant de réaliser facilement des bandes dessinées. Les décors et personnages sont pré-intégrés, comme dans RPG maker, mais nous pouvons également ajouter nos propres images. Nous allons faire faire aux élèves de 6ème un conte sur le thème de la petite sirène, et les élèves de latin quant à eux réaliseront une BD sur Rome dans l’antiquité. Le projet est celui-ci : chaque année, une classe réalise une BD avec une intrigue policière au cœur de Rome, contribuant à faire découvrir au lecteur la vie quotidienne à l’époque. L’idée est de faire une bande dessinée en plusieurs tomes. Chaque année, nous ferons écrire un tome aux élèves, avec la suite à découvrir l’année d’après. Ainsi, à chaque passage des élèves en 2nde, nous aurons un nouveau tome, ce qui contribue à créer un lien entre les élèves puisque les nouveaux arrivants en 2nde doivent reprendre la suite des élèves de l’année précédente. Je vous avouerai que c’est un projet qui motive grandement les élèves car là aussi, le logiciel est très séduisant et facile d’utilisation. Nous sommes actuellement à la fin du projet et le rendu final est une BD intégrale de 45 pages. Nous nous sommes alliés dans ce projet à la médiathèque de St Jean de Luz qui souhaite intégrer la BD à son fonds. Nous sommes entrain de négocier avec les auteurs et les éditeurs pour nous permettre d’exporter ce projet au delà de l’école mais le monde de l’édition est très difficile à cerner et les négociations sont en cours… Ainsi, chacun de nous peut se lancer dans ce type d’aventure car les logiciels sont souvent très bien faits et ne requièrent pas des compétences informatiques extraordinaires. De plus, les élèves s’approprient généralement très rapidement ce type de logiciel et peuvent expliquer ou aider leurs camarades et donc fournir une aide précieuse à l’enseignant.
Où peut-on jouer à « L’Odyssée d’Ulysse » ?…
Quand nous avons commencé l’Odyssée d’Ulysse, nous pensions uniquement proposer ce projet à nos élèves pour toutes les raisons que je vous ai indiquées précédemment. En cours d’année, j’ai assisté aux journées du numérique ou j’ai pu rencontrer Florian Daniel qui est chargé de la prospective de tous les serious games au pôle numérique de l’académie de Créteil. Cette académie propose chaque année un concours de jeu sérieux et c’était la première année qu’ils ouvraient le concours aux autres académies. Florian m’a encouragé à m’inscrire, chose que nous avons faite dès mon retour. Au mois de mai, notre établissement a été sélectionné pour la finale qui se déroulait à la cité des sciences, et nos élèves ont gagné le concours : grand prix du jury à l’unanimité. L’académie doit mettre le jeu en ligne sur son site. Sinon, je trouverai un moyen via une plateforme pour le mettre, car beaucoup d’enseignants m’ont demandé le jeu, surtout lorsque je suis allée le présenter aux journées du numérique de Lille.
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
Vidéos de présentation du jeu
http://www.youtube.com/results?search_query=olivia+assemat
Le site Jeux sérieux de l’académie de Créteil
http://jeuxserieux.ac-creteil.fr/
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