Les Ecoles supérieures du professorat et de l’éducation (Espé) réussiront-elles à installer durablement et massivement dans les écoles française l’éducation par et avec le numérique ? S’en emparent-elles dans les formations qu’elles proposent aux futurs enseignants ? Pour répondre à ces questions, Bruno Devauchelle, enseignant-chercheur, animait la table ronde qui s’est tenue le mercredi 20 novembre au salon Educatec-Educatice et qui réunissait Georges Ferone, maître de conférence à l’UPEC, responsable du développement et de la mise en place des parcours de Master Métiers de l’enseignement du premier degré en FAD à l’Espé de Créteil, et Patrick Roumagnac, secrétaire général du Sien-Unsa.
La place du numérique dans les maquettes de formation des ESPE
Bruno Devauchelle renvoie l’institution à ses injonctions contradictoires et rappelle que le décret du 23 août 2013 stipule que les futurs enseignants peuvent être titularisés sans valider le C2i2e mais doivent préparer cette certification dans un délai de trois ans après la titularisation. Pour démêler l’écheveau du C2i2e, les intervenants explicitent la place du numérique dans les maquettes des Espé. G. Ferone nous indique que : « La maquette de l’Espé de Créteil prévoit 9h de formation au et par le numérique. Ce module est centré sur l’utilisation et la création de supports pour se former et créer des ressources. L’objectif étant que l’enseignant soit à même de fabriquer ses propres supports. » Toutefois, M. Ferrone précise que cette formation ne participe pas à la validation du C2i2e, et que les étudiants désireux de le valider doivent le faire en plus.
Patrick Roumagnac observe que les étudiants se voient ainsi proposer une formation unique qui ne tient pas compte de leur niveau de compétences numériques ou de leur cursus préalable, générant ainsi des situations de frustrations chez l’étudiant et ancrant le principe d’uniformisation de l’enseignement que l’on retrouve ensuite dans les classes. Ainsi il interpelle les Espé : « Grâce au numérique sommes-nous en capacité de différencier les contenus ou allons-nous garder un modèle uniforme, d’une offre unique quel que soit l’apprenant ? »
Les passerelles entre la formation initiale et la formation continue
B. Devauchelle note que les enseignants déjà en exercice sont également concernés par le numérique. Les Espé sont-elles prêtes à les inciter à acquérir cette certification en formation continue ? Patrick Roumagnac rappelle la nécessité d’un meilleur continuum de la formation et insiste pour que l’obligation de maîtrise des compétences du C2i2e ne soit pas attendue à la sortie des Espé, mais à chercher lors de la formation continue. Ainsi, il nous invite à une lecture originale du décret du 23 août 2013 relatif à la formation initiale des enseignants « Au lieu de lire « l’étudiant devrait se former » lire « l’institution doit trouver les moyens pour former l’étudiant/enseignant titularisé. Ce texte a été étudié dans le cadre d’un comité technique ministériel parce qu’il est impossible de valider totalement pour un nombre suffisant d’étudiants ». Selon lui, l’institution doit investir la formation continue pour ne pas prêter le flanc aux critiques qui visaient déjà les IUFM, les accusant d’entériner le divorce entre la théorie et la pratique.
G. Ferone souligne que les Espé n’ont pas vocation actuellement à assurer la formation continue du 1er degré et qu’il est impossible d’imposer à un enseignant titulaire de valider le C2i2e Toutefois, la réflexion avance en ce sens et M. Ferone participe lui-même en Seine-et-Marne à un groupe de travail dédié à cet aspect. Selon M. Ferone, cette dichotomie est inscrite « dans l’histoire de nos institutions qui séparent formation initiale et continue rendant très difficile la création de passerelles. Pour pallier ce manque, l’Espé de Créteil propose à la fois des formations à distance et des ressources. Avec 200 étudiants en demi-présentiel et 140 totalement à distance, les enseignants de l’Espé de Créteil ont été amenés à réfléchir à l’ingénierie de la classe virtuelle, aux plateformes collaboratives et à concevoir des scénarios pédagogiques. »
Retour à la classe
Bruno Devauchelle interroge les intervenants pour savoir si les ESPE rentrent dans la dynamique du numérique au-delà des maquettes, s’adaptent-elles aux différences de parcours et aux attentes des nouveaux profs ? Les deux intervenants sont d’accord pour souligner la précocité d’un tel questionnement dans la mesure où les ESPE ont ouvert leurs portes il y a quelques mois seulement. Patrick Roumagnac relaye la forte attente des étudiants : « Pour les étudiants il a un objet curieux qui est leur futur métier. Ce métier n’est pas une juxtaposition de compétences. C’est dans l’articulation avec le numérique que nous pouvons nous interroger sur ce que le numérique permet de faire de plus. » P. Roumagnac observe que les Espé intègrent le numérique dans les pratiques d’enseignement en français, maths, sciences indépendamment des 9h prévues, intégration qui pousse à l’optimisme quant aux futures pratiques en classe : « Cet aspect de la formation par et à l’aide du numérique est porteur d’espoir, espoir dont les enseignants ont besoin et qui amènerait des résultats différents pour les élèves par la suite. » A titre d’exemple, Georges Ferone cite les modules de formation à distance sur les outils à utiliser en classe comme le traitement du son et de l’image pour fabriquer des productions multimédias dans la classe. Ces formations et outils numériques apporteraient des ressources importantes qui participeraient à la réussite de tous les élèves.
L’approche des résultats PISA, qui s’intéresseront désormais à la littératie numérique des élèves, ainsi que la frilosité de l’institution et de tous ses acteurs, poussent B. Devauchelle à conclure avec un constat inquiétant : « L’école française ne vit pas avec le numérique mais regarde le numérique. »
Ange Ansour
Arrêté du 27 août 2013 fixant le cadre national des formations