Véronique Ribeira a présenté au 6ème Forum des enseignants innovants de Nantes le travail mené avec son collègue Philippe Guillem en région bordelaise. Pour inviter les petits écoliers à produire de l’écrit et associer les parents à cette aventure, ils ont développé l’usage de la tablette en classe mariée à un blog.
Pour Véronique l’enseignement est une bifurcation après une première vie professionnelle, elle enseigne depuis 12 ans, 7 ans passés en maternelle. Philippe lui a une plus longue carrière : il est enseignant en maternelle depuis bientôt 30 ans et Maître Formateur (en musique ), il dit avoir toujours essayé intégrer les nouvelles technologies dans sa pédagogie. Cette veille technologique l’a conduit aujourd’hui à s’intéresser aux réseaux sociaux et de façon plus générale à chercher sur internet des modèles de communication et de voir comment il était possible de les intégrer à une pratique de classe ou de formation.
C’est Philippe qui de par ses tâtonnements numériques a initié le projet. « La problématique de départ était d’améliorer la communication entre l’école, les parents et les élèves. J’utilise déjà depuis plusieurs années un compte Twitter sur lequel les élèves publient des informations choisies sur les activités de la classe, mais le format twitter, très intéressant pour la production d’écrits par les élèves ainsi que pour le travail sur l’initiation aux réseaux sociaux reste cependant limité. L’utilisation d’une tablette tactile pour faire produire aux élèves, de façon quasiment autonome, des documents plus complexes tels que les livres numériques a ouvert le champ de nouvelles pratiques pédagogiques. »
Véronique Ribeira lui a emboîté le pas, l’utilisation de la tablette l’aidant à résoudre un obstacle de sa pratique, en maternelle la question de produire de l’écrit chez des enfants non scripteurs constitue en effet un sacré challenge pour bien des collègues. « Les élèves de l’autre classe de Moyenne et Grande Sections ont montré une grande autonomie dans leur découverte d’une tablette l’an dernier : intuitivité, peu de retenue dans leur accès à l’objet, ils ont vite découvert le fonctionnement de la tablette et en ont rapidement remontré au maître. Les applications sur tablettes étant très alléchantes, l’objet tout autant, j’ai voulu m’y intéresser. Or, une partie de ces élèves est dans ma classe cette année. De plus, la production d’écrits me posait des problèmes d’accès au sens. Tous ces questionnements se sont rejoints. »
Quelle incidence de ce projet sur votre façon de travailler ? A-t-il modifié votre organisation de la classe ?
Véronique : « Ce projet est chronophage par rapport aux activités habituelles d’une classe de maternelle. Il a fallu donc modifier les moments de langage pour les attribuer à la dictée des messages destinés au blog. Cependant, les progrès des élèves, leur intérêt, les interactions générées, l’accès au sens et à l’autonomie sont très motivants, tout comme le fait qu’ils soient acteurs de leurs apprentissages. Aussi, ce projet me conforte dans ces axes de travail. Auparavant, la rédaction des comptes-rendus d’activités de classe en direction de l’extérieur ne me satisfaisait pas : les parents trouvaient la feuille dans le classeur de travail à des fréquences trop rares, très décalées par rapport au vécu des élèves, et dans une présentation noir et blanc (photocopies) peu esthétique. Dans ce projet, la lecture des comptes-rendus est quasiment immédiate, la couleur est de mise, la mise en page est facilitée. Les élèves sont davantage acteurs de la présentation des textes et l’administration du blog s’avère à la portée de tout enseignant. »
Philippe : « La création de ces livres numérique par les élèves a l’immense intérêt de susciter l’adhésion des élèves aux projets proposés. Actuellement deux types de projets sont menés dans la classe. Les écrits de mémoires : garder des traces, et pouvoir présenter des productions éphémères telles que celles réalisées au moment de l’accueil avec des jeux de construction, de l’argile ou lors des fabrication d’objets en trois dimensions… Dans ces activités les élèves prennent des photos de leur réalisation , les intègrent sur une page de livre et ajoutent leur prénom ; ils sont totalement autonomes dans cette activité. Les « reportages » sur certains moments de classe : Comment avons-nous décoré la classe pour Noël, comment avons nous fait pour réaliser une couronne des roi… Dans ce cas le la structure du document (chronologie, choix des illustrations…) est discutée en classe et les textes sont élaborés par les élèves sous dictée à l’adulte.
Les stratégies pédagogiques n’ont pas réellement été modifiées par l’utilisation des tablettes puisque la dictée à l’adulte n’est pas une pratique récente, elle est tirée des processus pédagogiques inspirés des pédagogies actives héritées elles mêmes des travaux de Celestin Freinet au début du 20eme. L’idée est avant tout de partir des idées, des productions et du désir des élèves, pour les accompagner dans leurs projet et y intégrer des apprentissages. Une pensée pédagogique préexistante utilise simplement de nouveaux outils. Twitter ou les tablettes ne sont que la déclinaison actuelle de l’atelier d’imprimerie de Freinet. »
Tous deux constatent que leur expérience fait tache d’huile au sein de leur équipe : leurs collègues semblent eux aussi vouloir apprendre à domestiquer la tablette et Véronique précise que les usages se développent : le matériel informatique et audio-visuel de l’école est utilisé de façon plus régulière.
On retrouve dans votre expérience le fait que l’enseignant, celui qui organise le cadre de la classe, accepte de ne pas tout maîtriser, de laisser place au hasard, peut être un petit bout de la sérendipidité telle que la présentait Laurence Juin également au forum … Penser l’imprévu… Une autre facette du travail de l’enseignant ?
Véronique : « En terme de « maîtrise », l’enseignant doit accepter de se décentrer, de se désengager des débats, en prenant le risque de laisser les élèves proposer des choses auxquelles il n’avait pas pensé. C’est un autre positionnement : laisser la parole aux élèves, avoir confiance en leurs précédents apprentissages et en leur capacité à s’appuyer les uns sur les autres. L’accès au monde numérique ne me pose pas de problème, par contre, le côté tactile et intuitif me demande davantage d’adaptation. Les élèves ne pensent pas forcément, dans le contenu de leurs messages, à tous les détails nécessaires. Mais les réactions des lecteurs des messages sur le blog les amènent à prendre en compte leurs réactions. L’enseignant doit donc se mettre en retrait et être patient. La fréquence des messages (1 par semaine en moyenne) fait que les élèves saisissent les textes rarement et oublient l’ergonomie de l’application. Leur autonomie n’est donc pas encore suffisante et devra être travaillée davantage. La tablette tactile est un élément pédagogique intéressant : elle permet l’essai, l’erreur et la correction et autorise ainsi les élèves à s’engager dans l’action sans crainte. Mais elle ne doit pas faire perdre de vue qu’elle n’est qu’un outil qui doit se mettre au service des apprentissages, et non l’inverse. »
Philippe : « Avant tout cela demande une « auto »formation continuelle aux nouvelle technologies, et un questionnement permanent sur l’apport possible à la pédagogie. Cela suppose des essais, des fausses pistes bien sur et une remise en question professionnelle permanente. Cela demande aussi beaucoup de lâcher prise sur la maîtrise de la classe pour pouvoir intégrer rapidement les idées et propositions des élèves. »
Mais innover ce sont aussi des difficultés à contourner …
Philippe : « Les résistances sont venues particulièrement de l’accès au matériel, tablette et accès au réseau en classe mais c’est un élément contextuel, ce n’est pas le cas partout. Le réseau en maternelle n’est pas non plus une évidence pour tous. Du côté de l’institution, le fait que je sois maître formateur et localement considéré comme un « expert » en TICE fait que mes activité sont accueillies et soutenues avec bienveillance mais aussi avec une certaines prudence quant à la sortie du cadre expérimental. »
Au forum on présente des expérimentations qui suivent encore leur cours, alors dans votre cas, comment comptez-vous faire évoluer votre projet, quelles suites à venir, quelles nouvelles pistes à explorer ?
Véronique : « Lors de la saisie des textes, leur longueur a posé des problèmes, car la plupart des élèves sont très lents. J’ai donc choisi de prendre en charge une partie de la saisie, et de proposer de dicter des messages plus courts. Au bout de quelques mois de dictée de messages, certains élèves ont eu l’idée d’annoncer des événements de classe à venir. Nous avons donc abordé « l’annonce ». Ce projet porte ses fruits en terme d’implication des élèves, il me permet de m’extraire de ma position de maîtrise en mettant les élèves au centre du processus d’apprentissage. C’est pourquoi je compte bien le poursuivre l’an prochain, d’autant plus que les futurs élèves de Grande Section auront, pour la plupart, travaillé avec Twitter. Cette continuité des apprentissages rend cohérente l’orientation vers le monde numérique que nous donnons dans l’école. Il serait bienvenu de développer un échange avec les CP, mais le temps leur manque… »
Philippe : Tout évolue très vite… ! L’an dernier la tablette était utilisée comme cahier de vie numérique qui allait dans les familles, cette année les élèves l’utilisent de façon autonome pour produire des documents numériques. Je viens d’essayer récemment la plate forme « Storify » pour compiler les messages twitts écrits par les élèves sur un thème particulier. Cela a pour conséquence la mise en place de nouvelles situations d’écriture. Pour les projets à venir, cela déprendra des pratiques émergentes sur le réseau et de l’évolution du matériel ainsi que de la volonté des parents d’utiliser le web 2,0 pour entrer en relation avec l’école. Cela dépendra aussi des éléments imprévisibles qui feront qu’un projet particulier pourra voir le jour. Ces derniers jours un concours de twitt lors de la semaine digitale à bordeaux (Festival de Twittérature) a débouché sur un projet inédit. Difficilement prévisible mais tellement riche pédagogiquement ! »
Au départ votre but était de mieux associer les familles au travail mené en classe, alors pari réussi ?
Véronique : « Les élèves sont davantage impliqués dans la dictée des textes. Ils réutilisent des connaissances grammaticales (le «on » est remplacé par le « nous »), pensent les contenus en fonction de ce que vont recevoir les lecteurs, se questionnent sur ce qu’ils vont en comprendre. Lors de la lecture des commentaires de leurs lecteurs, ils cherchent à comprendre ce que ceux-ci leur disent, ce qu’il faut répondre lorsque c’est nécessaire. Du côté des parents, les commentaires viennent toujours des mêmes familles, mais le blog est lu avec les enfants dans plusieurs foyers. Les retours parentaux sont positifs, l’ergonomie du blog et sa présentation étant jugés agréables. »
Philippe : « Les enfants sont un peu plus intéressés par le fait d’écrire, mais pas tant que cela ; ce qui me paraît important c’est que l’écrit prend véritablement prend plus de sens pour eux car ils sont installés dans une véritable pratique. Les élèves sont à même de penser de l’écrit de le formaliser ce qui est prépondérant dans l’apprentissage de la lecture. Les parents qui se manifestent sur le réseau et qui encouragent les travaux de la classe sont un facteur de motivation important pour les élèves (et pour l’enseignant). Il reste encore des représentations à transformer, des habitudes à changer pour amener plus de parents dans les mondes numériques de l’éducation. Cela viendra. »
Propos recueillis par Lucie Gillet
Le blog de Philippe Guillem :
http://fragmentsdeclasse.blogspot.fr/
Une interview de Philippe Guillem
http://www.dailymotion.com/video/xylx8g_interview-de-philippe-guillon_tech#.UVrcRFdUIg
Sophie Andreu enseigne ou plutôt comme elle dit « guide, transmet, initie, éduque… » depuis une dizaine d’années dans une école maternelle de 10 classes dans un quartier ZEP de Nanterre…et c’est là où tout a vraiment commencé… Elle mène avec ses élèves, dès 3 ans en petite section une initiation au rugby. Un travail reconnu par le Forum par le prix de la réussite éducative.
Comment une telle idée peut-elle germer ?
Le projet est né des élèves de ma classe de petite section quand en septembre 2007, des filles et garçons se sont enthousiasmés à manipuler librement les quelques ballons de rugby pourtant noyés parmi une foule de ballons ronds, gros, multicolores… Cet intérêt soudain ne faisant que s’accroître et créant des tensions (car pas assez de ballons en nombre), il paraissait incontournable de le développer et de ce fait devenait une source d’apprentissages évidente, ultra-simple, gorgée de liens, de sens et … motivante!
Le projet a rapidement était inscrit dans le projet d’école. Nous avons porté un autre regard sur les activités motrices, davantage pris en compte l’intérêt et les apports du sport en général (pas uniquement le rugby) en maternelle. Puis nous avons développé des progressions par cycle, par niveau mais aussi en lien avec les autres domaines. Plus spécifiquement au rugby, nous avons remarqué les apports bénéfiques pour les élèves ayant des difficultés comportementales et mis en place des décloisonnements.
Bien… mais il vous aura sans doute fallu vous initier plus avant, et en classe qu’est-ce que ça change ?
Au terme de mon premier projet, comme je n’avais jamais pratiqué le rugby, j’ai ressenti le besoin d’acquérir des notions plus spécifiques sur le rugby pour transmettre de bons gestes, de bonnes règles. La charge affective que représente le ballon de rugby a pu être un frein dans certaines situations d’ apprentisages. Il a fallu par exemple temporairement le remplacer par un simple carton, un sac lesté… Ou le constat qu’ il faut toujours prévoir en début de séance, un temps de manipulation libre avec un ballon au moins par enfant avant d’évoluer vers des situations plus complexes.
Il a toujours quelques parents réticents, à la réunion en début d ‘année, à l’idée que leur enfant de 3 ans s’inscrive dans un projet sur le rugby. Mais ils sont très vite rassurés par des parents dont leurs aînés ont vécus le projet.
Comme chaque projet est unique et propre à chaque classe, il faut créer sans cesse, se remettre en question mais c’est ce qui fait la motivation du projet…
Et puis finalement, on ne fait pas que du rugby, l’intérêt de ce projet c’est qu’il soit aussi trans et pluridisciplinaire. Car en fait le rugby représente une entrée dans les apprentissages qui couvre tous les domaines et pas uniquement celui du sport. Par exemple les élèves sont amenés à correspondre par écrit avec un joueur professionnel, à résoudre des situations problèmes avec des chasubles ou bien résoudre des oeuvres de Land Art etc…
Comment ce projet évolue-t-il au cours du temps ? Quelles suites comptez-vous lui donner ou quels prolongement dans votre activité ?
Au fil des années, j’ai affiné ou abandonné certaines activités mais l’entrée dans le projet a toujours émanée des élèves et a été en lien avec les projets en cours. Ce qui fait que chaque projet est unique. En janvier 2011, la société Baiacedez m’a proposée de réaliser un film documentaire. Il a été tourné de février 2011 à Novembre 2012 avec les élèves d’une même classe.
Aujourd’hui, dans mon groupe scolaire, il est possible de découvrir le rugby de la petite section au CM2 puisque depuis 2 ans les enseignants de CP, CE1 et CE2 organisent des cycles rugby et que la mairie de Nanterre en offre aux CM1 et CM2. Nous avons également le projet d’ouvrir une classe à horaires aménagés « rugby » en cycle 3 et en sixième dans le collège du quartier.
Quels bénéfices de ce projet sur l’implication des enfants, des parents ?
Le projet étant créé sur mesure pour répondre au mieux aux besoins, aux envies des élèves et comme ils sont créateurs, acteurs de leurs apprentissages, ils restent motivés et donc les bénéfices sont importants. Au final les parents y prennent toujours part. Il leur permet d’une certaine manière d’entrer dans l’école et de participer à la vie de leur enfant.
Un petit mot de votre participation au forum et du prix obtenu ?
Intense, fort en choco…euh en échanges, en découvertes, en convivialité, en plaisir et bien sûr en rires! Bref, une excellente troisième mi-temps version Café! Merci …
Propos recueillis par Lucie Gillet
Yves Scanu enseigne à St Etienne, il dirige une école qui a été école d’application avant que son équipe ne soit « remerciée de ses bons et loyaux services de formateurs en mai dernier ». Il revient avec nous sur son parcours, fondateur aussi hors l’éducation nationale en ce qu’elle lui a appris à travailler en équipe, jusqu’au choix de composer dans son école exclusivement des classes multi-âges. Il vient présenter cette expérience à Nantes, l’un de ses vœux les plus chers est d’entrer en contact avec d’autres collègues qui partagent aussi cette expérience du multi-âge.
Pouvez-vous nous décrire rapidement votre parcours, le choix (ou pas) de vous établir en zep, et le choix d’enseigner en maternelle et puisque votre projet est très lié à l’équipe qui le porte faites-nous les présentations ! :
Je suis enseignant depuis septembre 1993 ; j’ai enseigné uniquement en zone d’éducation prioritaire : quelques années en cycle 3 et depuis 1997 en école maternelle. Une première année en tant qu’adjoint à l’école maternelle GOUNOD puis j’en suis devenu le directeur. J’ai travaillé dans toutes les sections de l’école maternelle (de la toute petite section à la grande section).
En 2006, notre école a été transformée en école d’application ,et nous avons été remerciés de nos bons et loyaux services de formateurs à la carte scolaire de mai dernier. Avant d’être enseignant, j’ai travaillé dans l’éducation spécialisée, l’animation et j’ai également été infirmier de secteur psychiatrique. Il me semble important de signaler ce parcours hors éducation nationale car c’est dans ces expériences là que j’ai appris à travailler en équipe. D’ailleurs, l’un des chocs importants de mon intégration dans l’éducation nationale a été la solitude de l’enseignant seul face à sa classe. Je ne peux m’empêcher également de présenter mes collègues qui ont participé à l’élaboration de ce projet. Tout d’abord Jean-Marc : nous avons été mutés tous les deux la même année à l’école maternelle Gounod. Tous les deux étions victimes d’une fermeture de classe, tous les deux exercions en cycle trois et notre arrivée en école maternelle n’était qu’un choix par défaut. Notre première année commune, dans cette école où toute l’équipe éducative se renouvelait a été le fondement de l’équipe que nous constituons aujourd’hui. En effet, à l’issue de cette année, bien que l’un et l’autre nous étions plutôt attirés par l’école élémentaire, nous avons alors choisi de nous installer ensemble dans cette école maternelle pour poursuivre le travail commun déjà engagé. L’année suivante ce fut l’arrivée de Ghislaine. Elle quittait un cours préparatoire et venait à l’école maternelle avec l’ambition de mieux préparer les élèves à l’école élémentaire (au vu de ce qu’elle avait vécu jusque là en temps qu’enseignante de cours préparatoire). Un point de détail l’a beaucoup frappée lors de son arrivée : on ne lui a pas attribué la classe que personne ne désirait comme le veut « la tradition ». Cela a été pour elle un signe fort. Il y eut, bien plus tard, l’arrivée de Nadine et Sylvie à qui nous avons présenté ce projet de classes multi-âges et auxquelles elles ont pleinement adhéré malgré la précarité des postes qu’elles occupaient. Ce fut ensuite au tour de Sandrine de rejoindre l’équipe. Le contexte de son arrivée fut très difficile. Bien qu’ayant fait le choix de notre école par adhésion au projet, elle arrivait dans une équipe meurtrie par le départ contraint de deux collègues. Malgré ce début compliqué, Sandrine est aujourd’hui le catalyseur de l’équipe, celle qui amène du « sang neuf ». Pour finir, Delphine la dernière arrivée à très rapidement adhéré à notre projet, elle fait partie à part entière de l’équipe pédagogique.
Sur le projet retenu, cette question du choix du multi-âge qui bouleverse le travail en équipe, pouvez-vous nous préciser la situation, le moment décisif, l’expérience de classe qui vous a conduit à faire ce choix :
Travailler en équipe cela a été la réalité de mes premières expériences professionnelles.
J’ai essayé de la transposer dans le monde de l’école quand j’ai obtenu une direction d’école.
Le choix du fonctionnement en classes multi-âges a eu pour point de départ la gestion d’une classe particulièrement difficile. En effet, cette classe de moyenne section rassemblait des enfants pas plus turbulents et plus instables que dans les autres classes mais l’ambiance était en permanence explosive comme si il se créait une alchimie détonante entre les différentes personnalités de cette classe. L’impact de ce fonctionnement sur le travail en équipe nous ne l’avions pas anticipé mais il s’est révélé à nous dès la mise en place du projet. Cela était pourtant prévisible, pour travailler en équipe, il faut partager des objets de travail communs. Jusque-là, nous n’avions que mené en commun quelques projets transversaux au niveau des différentes classes. Nous avions également décidé, tous les 3 ou 4 ans, de tourner sur les différents niveaux de l’école. Lors de ces rotations, les échanges étaient particulièrement riches dans la mesure où chacun transmettait tout son travail de préparation, ses programmations et la totalité de ses outils aux collègues. Tout ceci pour dire que notre équipe avait déjà des pratiques d’échanges et de mutualisation auxquelles elle tenait.
Depuis la mise en place de notre nouvelle organisation, qui nous conduit à prendre en charge chacun une classe identique regroupant les enfants des quatre niveaux de l’école maternelle, le travail en équipe a pris une toute nouvelle dimension. À présent, nous sommes interdépendants les uns des autres dans la mesure où nous avons les mêmes classes auxquelles nous proposons les mêmes situations qui sont construites par l’un d’entre nous mais à destination de tous. Mais pour arriver à mettre en œuvre des situations élaborées par un collègue, nous avons d’abord pris beaucoup de temps à construire tous ensemble chacune des situations proposées aux élèves. Cette période a été longue mais nous a permis de confronter nos options et partis-pris pédagogiques,. Parfois les échanges étaient assez durs mais ils nous ont permis de construire quelque chose qui pourrait ressembler à une politique d’école. Ce premier temps d’élaboration commun a été perturbé par les aléas administratifs de mutation des personnels qui ont fait que chaque année, depuis trois ans, l’équipe s’est modifiée. À présent, nous sommes passés à une autre étape où nous questionnons cette nouvelle organisation pour pouvoir apporter des réponses à certains fonctionnements qui ne nous satisfont pas dont je parlerai plus loin.
On voit bien ici les mutations dans votre façons de travailler, vous pouvez nous en dire plus ?
Ce projet a fondamentalement changé nos façons de travailler. Tous nos outils sont communs, d’ailleurs notre inspecteur ne trouve plus dans notre classe « notre classeur » avec nos préparations et nos programmations : il n’y en a qu’un pour les quatre classes et il se trouve dans la salle des maîtres. L’impact sur les nouveaux collègues arrivant dans l’école est énorme dans la mesure où nous proposons à chacun d’adhérer au projet et donc d’accepter de ne pas décider intégralement de ce qui se passera dans sa classe. Nous avons eu la chance ces dernières années d’accueillir des collègues ouverts qui ont accepté d’adopter ce projet qu’ils n’avaient pas choisi mais qui leur a paru intéressant Ce nouveau fonctionnement représente pour nous une plus-value importante car les différentes situations expérimentées dans chacune de nos quatre classes sont en cours d’exécution, revisitées à quatre et ainsi nous avons la conviction d’apporter des réajustements plus pertinents et plus adaptés.
On voit bien, d’autant plus du fait de l’évolution de votre équipe que vous avez du procéder à des réajustements, quels sont les obstacles que vous avez perçus et quels bénéfices tirez-vous de cette expérience ?
Ce projet a nécessité d’expliciter mutuellement nos choix pédagogiques. Au fur et à mesure des débats et des échanges, nous avons élaboré une stratégie d’école qui rassemble des projets réellement construits en commun, d’autres situations qui ont été adoptées par tous au prix de quelques concessions. Notre grande connivence pédagogique nous permet sans doute ce travail-là. Je l’ai rapidement évoqué plus haut, le mode de fonctionnement que nous avons adopté, s’il est commun en milieu rural, est rarissime lorsque que la possibilité d’une répartition par classe est possible.
Je crois que travailler réellement en équipe donne le droit à l’erreur. Je m’explique : seul dans sa classe avec cette responsabilité écrasante qui pèse sur nos épaules, faire réussir tous nos élèves, nous n’avons que le choix au « sans-faute ». Quand la responsabilité est partagée et que nous pouvons échanger sur nos difficultés on s’aperçoit alors que l’on n’est pas seul face à elles, que nos collègues en rencontrent de similaires, il devient beaucoup plus facile de les formuler.
Ensuite, résoudre des problèmes en équipe est un vrai gage d’efficacité. Malgré tous ces points positifs et les progrès que nous pensons avoir réalisés, nous regrettons que les diverses demandes d’accompagnement que nous avons formulées soient restées sans réponse. Un regard extérieur me semble absolument essentiel pour nous aider à pointer nos dysfonctionnements et améliorer nos pratiques et le dispositif mis en place.
Pour finir, bien que je l’ai déjà évoqué plus haut, un des obstacles importants à la mise en œuvre de ce projet fut d’obtenir l’adhésion des parents ou tout au moins d’éviter qu’ils ne deviennent des opposants au projet. Ce qui signifie engager un travail conséquent avec les parents pour gagner leur confiance tout en les gardant investis dans la vie de l’école. En effet, leur inquiétude était que la gestion des quatre niveaux de classes soit trop complexe pour permettre une réelle prise en compte de chacune des tranches d’âge.
Ce projet évolue au cours du temps ? Quelles suites comptez-vous lui donner ou quels prolongement dans votre activité ?
Au travers des diverses demandes d’accompagnement que nous avons formulées, il y avait, au niveau de l’ensemble de l’équipe, à la fois le besoin d’avoir un regard extérieur mais également la perspective de construire une évaluation sérieuse de notre expérience. Cette demande nous la maintenons, nous avons d’ailleurs réclamé une rencontre avec notre directeur académique pour faire le point sur ce projet.
Que constatez-vous des bénéfices de ce projet sur l’implication des enfants, des parents, du point de vue des enfants les plus jeunes, mais aussi pour les plus âgés, on peut parfois penser que pour eux, d’être ainsi responsabilisés alors que ce ne sont encore que de jeunes enfants, ce soit un peu difficile à porter… ?
L’impact sur les élèves de petite section est dans l’état actuel de notre travail celui qui est le plus flagrant. En effet, autant sur le plan du langage que celui de l’autonomie dans la classe, il semblerait que le fait de responsabiliser les petits change profondément leur comportement. La posture des grands, souvent protectrice vis-à-vis des petits, a le double effet de les responsabiliser et de les faire grandir mais aussi de prendre du recul sur leur propre apprentissage. Sur la question de l’intérêt pour les élèves de grande section votre question n’est en rien provocante car l’équipe se la pose fortement en ce moment. Notre organisation permet un travail rapproché avec les GS en début d’après-midi dans la mesure où tous les autres élèves bénéficient d’un temps de repos ce qui nous permet de libérer 3 enseignants pour les GS, le quatrième intervenant auprès des élèves du CP en co-intervention avec leur enseignant. L’autre piste que Sylvain Connac met fortement en avant est le bénéfice que les plus grand peuvent tirer pour eux même de leur action en tant que tuteur. Sur ce point là nous n’avons pas trouver de dispositif concluant. J’ai personnellement la conviction qu’il en existe, bien que suite à une inspection, notre inspectrice nous a dit douter que nos jeunes élèves puissent être en capacité de pouvoir être des tuteurs.
Nos demandes d’accompagnement avaient aussi pour objet de nous aider à trouver des dispositifs de tutorat efficients.
Au niveau de notre relation aux parents d’élèves (très inquiets quand nous avons évoqué la perspective de cette nouvelle organisation), il a fallu multiplier les temps d’échanges pour expliciter et répondre aux multiples interrogations, mais la démarche a été payante car suite au travail mené depuis de nombreuses années, les familles nous ont apporté leur confiance.
Un petit mot de votre motivation à inscrire votre projet au forum de Nantes ?
Si je fouille au fond de moi-même, il y a sûrement un besoin de reconnaissance que l’institution ne nous accorde pas, il y a aussi le plaisir intellectuel de rencontrer d’autres collègues et de parler d’école et pour finir faire connaître notre expérience et peut-être ainsi pouvoir entrer en communication avec des collègues qui mènent des projets proches.
Propos recueillis par Lucie GILLET
Le numérique, Caroline Coudé-Gouiffès le pratique tous les jours avec ses élèves de l’école maternelle Torigné de Rennes. Blog et tableau interactif animent le quotidien de la classe mais pas seulement : les outils sont des supports pédagogiques pour les élèves et des supports de communication avec les parents, une façon de rendre l’école un peu plus inclusive. Caroline Coudé-Gouiffès était venue présenter son projet au forum des enseignants innovants d’Orléans, depuis il se poursuit, grandit nourri par l’enthousiasme de son initiatrice et les retours ravis des parents et des enfants. Rencontre avec une enseignante passionnée par son métier, par le numérique et ses évolutions.
« J’ai souvenir de m’être toujours mieux imprégnée des savoirs et passions des personnes que j’ai pu rencontrer quand justement elles sont passionnées. » Caroline Coudé- Gouiffès a toujours en mémoire les instituteurs qui lui ont donné envie de découvrir, d’apprendre et sans doute d’enseigner. « Je pense qu’un enfant se construit grâce à ses rencontres et les enseignants sont aux premières loges. » nous dit-elle. Le jardinage, la nature, la cuisine, elle partage à son tour ses passions avec ses élèves et constate avec joie en retour les enthousiasmes qu’elles génèrent « j’étais autant émue et enthousiaste que mes élèves l’année dernière lors des premières pontes d’oeufs d’escargots et éclosions et le blog a pu retracer toute cette histoire, fantastique support de parole de l’enfant ». Donner accès et goût aux apprentissages à tous les enfants, l’enthousiasme est un ingrédient précieux pour traduire en fait l’idée généreuse, et la créativité aussi.
La classe de toute petite section et petite section de Caroline accueille une majorité d’enfants non francophones dans une école située en zone d’éducation prioritaire. Arrivée il y a trois ans à l’école Torigné, elle a auparavant été enseignante « E » dans un Rased. A partir de cette expérience, l’enseignante a ancré la relation avec les parents dans ses pratiques et adopté le blog pour raconter ses pratiques pédagogiques, une façon de partager et de prendre du recul. « En tant qu’enseignante E en RASED, j’ai été amenée à beaucoup rencontrer les parents. C’est là que j’ai vraiment réalisé combien il est important de communiquer ensemble et d’échanger en toute égalité ». Elle pressent que le lien avec l’école est un lien à renouer avec pour les parents. Elle lit, échange avec d’autres enseignants et s’inspire des programmes canadiens de littératie canadienne pour proposer un temps d’accueil le samedi matin où les parents seraient associés à des projets de lecture et d’écriture. Son projet n’a pas vu le jour mais sur les conseils d’une amie, elle l’a raconté dans un article sur son blog (crée lors de l’examen du CAPASH) une première page dans son récit pédagogique des Rased. Quand elle a changé de région, elle a ouvert un blog pour les élèves, « J’avais besoin de trouver et mettre du sens sur mes propres interventions mais en donner aussi aux élèves que je suivais sur une courte période car je changeais d’école à chaque petites vacances. C’est ainsi que j’ai lancé le blog du RASED de Chateaubourg »
A l’école Torigné, le projet d’école vise notamment « l’acquisition des compétences langagières pour favoriser la maîtrise de la langue française et pour mieux communiquer » et considère la diversité culturelle comme une richesse. Il offre à Caroline, une belle occasion de réaliser ses idées de création de liens parents-écoles et de donner un nouveau souffle à ses pratiques numériques. « Très vite, j’ai voulu donner à voir ce qui se fait dans une classe de maternelle pour rassurer. En tant que parent nous avons toujours besoin de l’être quand il s’agit de notre enfant ». Montrer, médiatiser c’est aussi gommer les idées reçues sur la maternelle. « J’ai été vexée et ressenti un vif sentiment d’injustice quand il avait été dit que les enseignants en petite section étaient payés pour changer les couches ! » nous dit elle. Caroline a commencé son récit des activités en classe sur son blog pédagogique personnel. Son inspecteur l’a encouragée, pour des raisons de légalité, à héberger ses travaux sur Educ@rennes, le portail éducatif de la ville de Rennes. Chaque semaine, elle commence par mettre des comptines avec les airs enregistrés pour que les parents puissent chanter avec leur enfant, elle ajoute des photos, des vidéos.
Pour que tous les parents, y compris ceux qui ne lisent pas le français, puissent accéder aux contenus, elle enregistre certains mots. Puis ce sont les élèves eux-mêmes qui enregistrent leurs phrases. « Cet outil vu initialement comme un outil de communication vis à vis des parents est devenu l’outil de mon projet pédagogique dans la classe ». Le projet évolue au fil des idées et des encouragements des parents. « Bonjour je voulais vous dire que c’est toujours bien ce que vous faites bien entendu. Quand Marwa entre à la maison, elle apprend à sa petite soeur de 2 ans les comptines a compter … Et sa sœur sait compter jusqu’à 5 grâce à Marwa et elle chante les comptines grâce à votre blog c’est un moment très sympa à les voir jouer tout en apprenant. Merci. », commente la maman de Marwa sur le blog. Elle continue d’ailleurs à suivre le blog comme d’autres parents dont les enfants ont changé de classe à la rentrée. La mairie de Rennes a équipé la classe d’un tableau interactif et le projet prend un nouvel envol. L’outil favorise les échanges entre les parents et les enfants lors du temps d’accueil le matin. Pour les apprentissages, il constitue un moyen de verbalisation et d’échanges entre les enfants.
Son projet, Caroline ne le vit pas seule. Son mari Serge, informaticien, l’aide à construire des ressources pour exploiter au mieux les potentialités du tableau interactif. Pour la maternelle, peu de ressources existent notamment pour les apprentissages langagiers. Tous les deux, ils avaient déjà mis au point des outils pour favoriser la lecture lorsqu’elle exerçait en Rased. La démarche est pour elle un moyen de matérialiser les connaissances qu’elle acquiert au quotidien par ses lectures ou dans sa classe. « C’est un réel travail à deux, car j’ai les idées qui correspondent à un besoin d’apprentissage, mon mari le met en forme informatique, j’observe les élèves en activité, pense à ce qu’il faut améliorer, aux remédiations qu’apporte mon mari. » TBI suite, leurs logiciels sont en accès libre et gratuit, un choix délibéré pour une enseignante qui a vu ses pratiques limitées par le manque de ressources et leur coût lorsqu’elles existent. « Depuis les quelques années que je participe à mes réseaux de veille pédagogique, par tout ce que j’y apprend et tout ce qui m’enrichit, faire du libre et gratuit est devenu pour moi un choix presque philosophique. Je pense qu’ainsi, par les échanges et le partage, tout peut évoluer plus vite. » explique Caroline.
La ville de Rennes apporte aussi sa pierre à l’édifice. Outre le portail et le tableau interactif, Caroline bénéficie de l’accompagnement de Lucile Magand, chargée de mission Tice pour la ville. Elle l’a aidée dans ses débuts avec le blog, et dans la résolution de tous ces petits problèmes quotidiens qui peuvent freiner à la longue les initiatives. L’année dernière, l’enseignante a constaté que trois familles n’avaient pas accès à Internet. Ils pouvaient consulter le blog le matin lors des temps d’accueil, un temps insuffisant. La Coordonnatrice Education prioritaire, Mireille Buffière, a alors initié un partenariat avec la maison des squares, une maison des quartiers associative pour accueillir les parents et les accompagner dans l’utilisation du blog. Caroline apprécie ce soutien de la ville « Je suis heureuse qu’ils aient eu ainsi confiance pour investir en maternelle. »
Au fil de l’eau, le projet de Caroline Coudé- Gouiffès n’en finit pas d’ancrer la maternelle dans la cité et de laisser les liens se créer avec les parents, avec la ville, avec d’autres enseignants. Il donne à voir toute la richesse des apprentissages en maternelle, pour les enfants mais aussi pour les familles. L’expérience est d’autant plus intéressante qu’elle est menée dans un quartier populaire et montre en quoi l’éducation, lorsqu’elle est ouverte et pensée, a des vertus éminemment démocratiques. « En fait, je fais ce que j’aime et j’aime communiquer ce que j’aime, comme j’adore découvrir et m’enrichir des découvertes de chacun. », nous confie Caroline ; une belle définition du métier d’enseignant.
Monique Royer
Le blog de la classe de Caroline Coudé-Gouiffès
Pour l’an passé
http://www.educarennes.fr/index.php/blog?blog=torign_maternelle
Cette année
http://www.educarennes.fr/index.php/blog?blog=tps_ps_caroline
TBI suite
http://caroline-et-serge.coude.net/tbisuite/logiciels-maternelle-pour-tbi-tni.php5
Le blog de Caroline Coudé-Gouiffès
En milieu populaire comment faire entrer les parents en relation avec l’école ? Maryse Charmet, enseignante en Rased dans la région grenobloise, s’appuie sur le jeu pour créer un véritable réseau où parents, enfants, enseignants, intervenants apprennent à se connaître et à échanger. Et où, surtout, les parents deviennent des « interlocuteurs valables ». Cette expérience sera présentée au 6ème Forum des enseignants innovants à Nantes les 5 et 6 avril.
Maryse Charmet enseigne dans la région Grenobloise depuis 32 ans. Après plusieurs années comme directrice elle est devenue rééducatrice (enseignante spécialisée chargée des aides rééducatives) en RASED. » Quand j’étais directrice, j’ai pu faire le constat que, si beaucoup d’élèves trouvaient leur compte dans nos efforts pédagogiques, un certain nombre d’entre eux continuaient à rencontrer des difficultés. Ceux-là avaient besoin d’autre chose, d’une autre aide qui leur permettrait de rentrer dans les apprentissages autrement et de leur donner du sens. La seule réponse pédagogique ne leur convenait pas. C’est ce qui m’a amené à passer le CAPASH G pour devenir rééducatrice ».
Votre projet s’intitule « On joue ensemble ! », qu’est-ce qui vous a motivé à sa mise en place ?
L’école primaire d’une des villes de mon secteur nécessiterait les moyens qui sont affectés aux établissements placés en zone prioritaire. Ce n’est pas le cas car le collège auquel elle est rattachée n’est pas dans une telle zone. Pourtant, elle accueille un certain nombre d’enfants et de familles qui auraient besoin d’autres aides et d’un accompagnement pour leur permettre de s’inscrire autrement dans l’école et d’y prendre place. Cette ville n’a pas de structures d’aides (CMP – CMPP… etc.) à proximité. La plus proche est à 30 kilomètres. Une distance qui ne permet absolument pas à ces familles d’ envisager la mise en place d’un suivi.
Face à ces difficultés et à ces manques, nous avons commencé, il y a 4 ans maintenant, à travailler avec les partenaires sociaux et médico-sociaux installés sur la commune. Nous avons initié des groupes de travail réguliers qui nous ont permis de nous connaître et de créer un réseau de professionnels autour de l’école et en lien avec les enseignants et les familles. C’est à l’issue de la première année de l’existence de ce groupe qu’a démarré le projet « On joue ensemble ». Il réunit tous ces partenaires (enseignants, parents, assistantes sociales, infirmières PMI, travailleuses familiales, responsables centre aéré, ludothèque, médiathèque et RASED). Il s’agissait de mettre en place un dispositif dans l’école maternelle de ce secteur qui permettrait aux familles de faire connaissance autrement avec l’univers scolaire et avec ses partenaires, de tisser des liens et de se sentir suffisamment en confiance et reconnus pour enfin oser prendre une vraie place dans l’école.
Concrètement, comment ça se passe ?
Afin de pouvoir s’adresser à toutes les familles, il a été décidé, avec l’équipe enseignante, de proposer le dispositif aux parents de façon fractionnée en trois périodes de 5 séances la première année. Par la suite, cette organisation sera revue à la demande des parents. En période 1 le dispositif est mis en place pour les classes de grande section ; en période 2 pour les classes de moyenne section et en période 3 pour la classe de petite section. Ce temps de jeu est organisé à raison d’une fois par semaine le jeudi matin de 8h30 à 9h30 dans la salle du RASED .
Les parents qui l’ont souhaité se retrouvent dans la salle avec leur enfant pour jouer avec lui et échanger avec les autres parents et les accueillants. Ils peuvent venir avec leurs enfants non scolarisés, ce qui constitue pour eux un dispositif passerelle. Dès 8h20, nous mettons à disposition des jeux (Légos, Kaplas) le temps que tout le monde soit arrivé. Les enfants jouent librement. Les parents prennent le café et échangent. La rééducatrice reste tout d’abord dans le hall de l’école à l’accueil des familles qui sont susceptibles de venir ce matin-là. Puis il y a un regroupement avec la présentation de chacun et un « quelque chose à dire ». Ensuite un ou plusieurs jeux sont proposés. Nous terminons avec une histoire, un album ou un conte et quelques échanges.
Ce projet a-t-il modifié vos façons de travailler ? Comment réagissent les différents partenaires ?
D’autres relations sont installées avec les enseignants, les familles, les partenaires. Des liens existent construits sur la confiance et la reconnaissance mutuelle : ils permettent de travailler ensemble de façon plus aisée et plus simple et d’être, du coup, plus efficaces. Les personnels se connaissent bien, les familles nous reconnaissent. Nous pouvons collaborer, en réseau et répondre plus rapidement maintenant aux besoins qui se font connaître. Les différents partenaires engagés Conseil général, Education nationale, élus locaux et municipalité apprennent également à collaborer autrement, à partir du terrain…
Du point de vue de l’équipe pédagogique, pouvez-vous nous en dire plus ? Le jeu implique personnellement, comment cela se traduit-il ?
C’est un travail qui touche l’essence même de la question relationnelle. Un aspect souvent sensible au niveau de l’école. La question de la formation à la relation des enseignants est fondamentale dans l’école à refonder. Actuellement, elle est inexistante. C’est un manque criant. Les enseignants spécialisés des RASED sont formés à la relation qui constitue la charpente-même de leur métier. Ce dispositif qui réunit divers professionnels et les parents est un lieu pour mettre au travail cette question. Chacun apprend à rencontrer l’autre, à l’écouter, à le connaître et à le respecter, même s’il n’est pas du même avis. On met au travail l’empathie, le non jugement, le respect, la solidarité dans un climat de confiance. « On joue ensemble » est aussi un lieu pour s’ « entraîner » à être ensemble et « faire ensemble ». Un lieu pour vivre et faire vivre la bienveillance.
Les accueillants se retrouvent régulièrement après chaque rencontre pour faire le point sur ce qui s’est passé, ajuster et prévoir la suivante. C’est une belle expérience de travail en réseau. Du travail participatif. Co-réflexion, co-construction. Le point plus sensible concernant ce type de projets tient au fait que, très souvent, ceux-ci reposent sur des personnes. Ce sont souvent elles qui le pensent, l’organisent, le font vivre. Nous avons eu besoin de réfléchir aux conditions nécessaires à une pérennisation de « On joue ensemble »
Comment ce projet évolue-t-il au cours du temps ? Quelles suites comptez-vous lui donner ou quels prolongement dans votre activité ?
Nous avons eu la chance de bénéficier il y a deux ans d’un temps de formation-réflexion autour de ce projet pour le penser, l’analyser et le réajuster. Ce temps nécessaire a permis de prendre du recul et de penser à structurer davantage ce dispositif avec l’objectif d’aider à ce qu’il se pérennise. Un comité de pilotage regroupant IEN et chefs de service du Conseil général et de la PMI a été créé. Il se réunit 2 à 3 fois par an. Il représente les institutions, apporte une lisibilité au projet : cette forme de reconnaissance institutionnelle est davantage garante de l’avenir de « On joue ensemble ». Des actions s’inventent et viennent s’y greffer. Les parents ont voulu prolonger ces temps de jeu partagés après l’école : tous les quinze jours, le lundi, les parents qui le souhaitent se retrouvent à la sortie de l’école dans une salle prêtée par la ville. Ils y restent un temps avec leurs enfants qu’ils ramènent de l’école, leurs tout-petits, ceux qu’ils gardent. Les enfants goûtent et jouent ensemble. Les parents discutent, jouent aussi et partagent. La ludothèque municipale a vu sa fréquentation monter en flèche. Pour la troisième année consécutive, un groupe de parents volontaires issu des participants à « On joue ensemble » met en scène un conte à plusieurs langues ( arabe, swahili, espagnol, portugais, allemand, chinois, turc..). Ils le joueront devant les classes de l’école maternelle et les CP, cette année, au mois de juin. Une demande se précise concernant des soirées plus à thèmes où parents et professionnels se retrouveraient de façon conviviale pour échanger sur des questions qui émergent lors de nos rencontres du jeudi. « Comment dire non ? », « Les fratries.. » « Le sommeil et l’école »… etc. « On joue ensemble » est un tremplin pour de nombreuses initiatives.
Comment les enfants, les parents s’approprient-ils ce lieu ? Et comment cela se répercute-t-il sur le vécu à l’école ?
Il va être difficile d’être exhaustive sur ce point tant il y aurait à « raconter »… Quelques exemples : Les enfants se saisissent de ce lieu. Ce sont eux qui maintenant demandent à leurs parents d’y participer. Le jeudi matin, ils réclament ce temps de rencontres. Ils l’ont intégré à la vie de l’école. C’est un temps pour eux, avec leurs parents dans leur école…
Pour les parents : Les relations avec les enseignantes de leur enfant ont vraiment changé : ils sont plus présents, plus facilement. Ils osent entrer dans l’école, s’y sentent davantage à leur place de « parents d’élèves » dans les échanges avec les enseignants. Certains parents prennent peu à peu une autre place dans les rencontres « On joue ensemble ». Ils deviennent acteurs à part entière, proposent des histoires, apportent des jeux, donnent leurs idées pour faire évoluer les rencontres suivantes. On les voit ensuite s’investir autrement à l’école (temps de jeux proposés pour certaines classes, investissement à la ludothèque en tant que bénévoles, représentation des parents d’élèves au conseil d’école). Cette année, pour la première fois, des mamans nous ont demandé comment on faisait pour voter aux élections de représentants de parents d’élèves.
Ils se sentent davantage reconnus à l’école en tant que personnes, en tant qu’ « interlocuteurs valables ». Cette reconnaissance se fait dans un double mouvement : à l’inverse, ils reconnaissent les enseignants et autres professionnels qui travaillent dans l’école. Une relation de confiance s’est installée. Qui est à nourrir, et à faire vivre, bien sûr…
Propos recueillis par Lucie Gillet
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