Le ministère a publié le 26 février la première enquête de victimation nationale dans l’enseignement secondaire. Réalisé par la délégation ministérielle pilotée par Eric Debarbieux auprès de 20 000 personnels de l’éducation nationale, ce travail photographie une situation inquiétante marquée par le harcèlement entre adultes, les injures des élèves et l’envie de partir d’un enseignant sur trois. Le constat fait il faut réagir. Le ministère veut agir dans la durée ce qui est à la fois sage et imposé par la maigreur des moyens engagés.
« Les enseignants ont besoin de sureté et de tranquillité. On ne peut pas accepter que le personnel se sente menacé ». C’est par ces propos assez classiques que Vincent Peillon a introduit la première enquête de victimation des personnels du second degré menée par la délégation ministérielle chargée de la prévention et de la lutte contre les violences en milieu scolaire dirigée par Eric Debarbieux avec le soutien de l’Autonome de solidarité. Pourtant l’enquête est d’importance car c’est la première photographie nationale des violences subies par les personnels du second degré. Près de 20 000 personnes y ont participé et l’enquête court toujours…
Pour Eric Debarbieux c’est une étape dans un chemin commencé sous Chatel qui l’a amené graduellement à élever le niveau de connaissance et de réflexion des politiques et des acteurs de l’Ecole sur cette question. Des « Etats généraux de la sécurité à l’Ecole » , en 2010, on est passé aux Assises nationales contre le harcèlement à l’école en mai 2011.Depuis, E Debarbiuex a mené plusieurs grandes enquête de victimation. Un travail local, dans le 93, qui montrait déjà l’importance du harcèlement entre personnels de l’éducation nationale. Il faut aussi citer deux enquêtes nationales auprès des collégiens en 2011 et des personnels du premier degré en septembre 2012. L’étude présentée le 26 février est dans la prolongation directe de celle-ci.
Les personnels de direction sont un problème
Le premier enseignement de ce rapport c’est les insuffisances de la hiérarchie. L’enquête de victimation dans le premier degré accusait déjà fortement les IEN avec 81% des enseignants critiquant de façon virulente la hiérarchie. Dans le secondaire, la critique est à lire en creux dans l’écart entre les déclarations des enseignants et celles des personnels de direction. A croire qu’ils ne fréquentent pas les mêmes établissements ! Ainsi 6% des personnels de direction déclarent un mauvais climat scolaire dans leur établissement quand c’est 30% des enseignants. 7% estiment avoir de mauvaises relations avec les enseignants. Mais 35% des enseignants ont de mauvaises relations avec leur chef d’établissement. 86% des premiers sont satisfaits de l’application de la discipline quand c’est seulement un enseignant sur deux. Ces données montrent au minimum un aveuglément certain de la hiérarchie et pour une partie de ces personnels un style de management qui fait souffrir les personnels. « La tension entre les enseignants et la hiérarchie est un problème », dit E Debarbieux.
Les collègues aussi
L’enquête menée dans le 93 montrait qu’un enseignants sur cinq était victime de ses collègues. L’enquête de victimation montre que 10% des enseignants souffrent cette année de harcèlement et 22% en ont souffert dans le passé. Un enseignant sur six est victime d’ostracisme par ses pairs. C’est une des premières formes de violence constatée et cela interroge très fortement la profession. C’est aussi une source d’affaiblissement pour un établissement dans la mesure où les élèves exploitent ces fractures.
La tentation de l’abandon
En juin 2012, le rapport Gonthier Maurin avait déjà signalé la souffrance de nombreux enseignants, la montée des plaintes contre la hiérarchie (+15% depuis 2000) et le quasi doublement des cas de harcèlement signalés aux Autonomes de solidarité depuis 2009. L’enquête Debarbieux montre que la souffrance des enseignants les pousse au départ. 30% des enseignants pensent quitter l’enseignement. C’est déjà énorme. Mais ce taux passe à 56% chez les enseignants victimes de harcèlement.
Les inégalités face à la violence scolaire
Le dernier caractère notable de cette vaste enquête c’est que les enseignants ne sont pas égaux devant la violence scolaire. Ce n’est pas une histoire de genre : hommes et femmes sont logés à la même enseigne. Mais d’inégalités sociales. Si 320% des enseignants jugent négativement le climat scolaire de leur établissement c’est 39% des enseignants de L.P., 41% quand il s enseignent en ZUS. Si 11% des personnels se sentent en insécurité ce taux est doublé en ZUS (20%) ou en L.P. (108%). On retrouvera les mêmes écarts dans la victimation. Les violences physiques sont rares (1% des enseignants ont été frappés, 5% bousculés) par contre les insultes pleuvent. Pour 5% des enseignants c’est très fréquent et pour 37% les injures tombent entre une et 4 fois par an. Mais si 70% des enseignants de LEGT ne sont jamais insultés cela tombe à 45% des PLP.
Des réponses à la hauteur ?
Pour Eric Debarbieux, « il faut arrêter l’amateurisme » en matière de violence scolaire. Le rapport propose donc des réponses que le ministère transforme en actes. Il ne s’agit pas d’un plan mais d’un « programme » précise E Debarbieux qui souligne l’obligation d’agir dans la durée. La première réponse c’est la formation des enseignants. La formation à la gestion de conflits sera intégrée dans les ESPE qui ouvriront à la rentrée 2013. Par contre le programme ministériel est moins convaincant s’agissant de la formation continue, parente pauvre du système. Alors il y a la solution pauvre : des guides pour améliorer le climat scolaire dans le premier et le second degré seront disponibles d’ici l’automne. Le ministère annonce aussi la relance de la campagne Agir contre le harcèlement avec des dessins animés à destination du primaire. Des kits pédagogiques contre l’homophobie et el sexisme sont annoncés.
Plus déterminants, le ministère veut imposer des protocoles dans les établissements sur l’évaluation du climat scolaire ou la gestion des crises. Enfin il compte sur une plateforme institutionnelle et collaborative pour aider les personnels en difficulté. « Il faut mieux prendre en charge les victimes » souhaite E Debarbieux. « Les enseignants ont le sentiment d’être laissés seuls face à ces situations », dit V Peillon. Pour qu’il en soit autrement il faudra que le système change. Ca va être long.
François Jarraud
L’enquête dans L’Expresso du 30 janvier
La première enquête auprès des personnels du premier degré
La première enquête de victimation auprès des collégiens