La formation continue des enseignants est un incontournable du monde de l’éducation et pourtant elle pose problème. Qui se forme ? Quand se former ? Comment se former ? À quoi se former ? Où se former ? … La généralisation des moyens numériques a, dès ses premières évolutions, interrogé la formation continue (et initiale en partie) des enseignants. Les enquêtes auprès des enseignants ont confirmé l’importance de ce qu’ils qualifient comme de l’autoformation. La mise à disposition de ressources de toutes sortes, institutionnelles ou non, d’autres enseignants ou d’entreprises du secteur etc. a ouvert des possibles pour améliorer sa pratique, ses compétences, ses savoirs. Mais ce potentiel ne s’est pas forcément transformé en pratiques effectives, telles qu’on peut le concevoir classiquement. En effet, les enseignants sont d’abord accaparés par le quotidien du métier. Aussi leur disponibilité, au-delà de ces tâches, reste relativement limitée, c’est d’ailleurs l’un des problèmes vis-à-vis des formations en présence qui supposent souvent de ne pas effectuer son enseignement et de laisser les élèves de côté. Se former soi-même sur ses temps libres, le mercredi, le week-end ou en soirée, n’est pas aussi évident que cela.
S’autoformer ou se former pour faire face
Quand on parle d’autoformation au numérique de la part des enseignants, on parle surtout de la nécessité perçue par la personne de faire face à des situations nouvelles ou inattendues vécues en classe, auprès des élèves et auxquelles il faut s’adapter. Si une petite partie des enseignants est passionnée par les technologies numériques, elle est souvent mise en avant alors qu’elle n’en présente qu’une petite minorité. La très grande majorité des enseignants fait preuve de pragmatisme et d’adaptabilité. Dès lors le numérique devient un paramètre parmi d’autres au sein du contexte de vie. Ce contexte est si important, il doit être entendu comme une forme en constante évolution. Évolutions professionnelles : changement de programmes, nouveaux groupes d’élèves, changement de poste ou d’établissement…, évolutions matérielles : forme, taille et configuration de la salle de classe, informatique disponible pour l’enseignant et les élèves, mobiliers utilisables…, évolutions personnelles : vie privée, moyens numériques personnels, livres et autres supports disponibles, forme familiale, formation continue… La place prise par les moyens et activités numériques dans ces contextes est d’une part modeste en regard des priorités et d’autre part très liée à la culture personnelle de l’enseignant. C’est pourquoi l’autoformation doit être analysée au sein de ce que l’on peut nommer aussi les interstices de la vie quotidienne professionnelle et personnelle.
L’autoformation au numérique, une habitude
Rappelons ici les premiers pas de l’informatique dans les salles des enseignants dans les années 1980 – 2000. Dans le secondaire, c’est en particulier l’arrivée des logiciels de gestion des notes ainsi que des emplois du temps qui marque l’entrée dans l’autoformation et la co-formation. On a pu voir ces salles de saisie des notes (2 ou trois postes informatiques partagés) devant lesquels certains aguerris aidaient d’autres en difficulté, ou encore ceux qui attendaient d’être seuls dans la salle pour saisir laborieusement les notes pour ne pas être mal considérés, en particulier par ceux qui « savent ». L’entrée par les logiciels de gestion des notes a été beaucoup plus important pour le développement des compétences numériques que celle de la pédagogie qui, pourtant, faisait l’objet d’incitations et de médiatisations nombreuses. En effet, les pratiques pédagogiques étaient lourdes à mettre en oeuvre (réservation, fonctionnement aléatoire, installation logicielle inégale etc…) alors que la gestion des notes est un élément constitutif du métier d’enseignant. Le primaire, pour cela, a été beaucoup moins concerné à cause du cadre d’exercice de l’activité qui n’a évolué que récemment avec l’arrivée des ENT et les dotations informatiques parfois importantes mais aussi parfois inexistantes.
Du vidéoprojecteur de la salle de classe à l’ordinateur personnel du bureau de l’enseignant
Le deuxième accélérateur des compétences numériques des enseignants a été la multiplication des vidéoprojecteurs dans les salles de classe depuis le début des années 2000. TBI, TNI et autres configurations ont entraîné la diffusion des pratiques numériques des enseignants qui sont soucieux alors d’améliorer la lisibilité de leurs documents, d’animer la classe autour de ce « grand écran » que les jeunes aiment particulièrement. Mais l’usage de ces équipements supposait un travail en amont de la classe. Les enseignants ont été une des catégories socio-professionnelles équipées personnellement le plus tôt dans la population. Le bureau de l’enseignant à la maison est désormais progressivement centré autour de l’ordinateur. Pour préparer son enseignement et disposer de supports au quotidien, l’enseignant doit donc développer des usages et des compétences. Si la formation en stage traditionnel a donné des pistes de travail (mais pour seulement 25% des enseignants environ), c’est l’autoformation, l’entrainement personnel qui va véritablement ancrer les compétences et les connaissances numériques des enseignants.
Des coups d’accélérateur…
L’arrivée d’Internet a été aussi un accélérateur d’autoformation. Beaucoup d’enseignants ont été à la découverte de cet espace informationnel nouveau. D’abord pour s’acculturer progressivement, ensuite pour s’approprier les offres disponibles et accessibles, surtout gratuitement. Ce processus s’est surtout effectué en dehors de l’établissement scolaire et de l’activité en classe. Car l’un des éléments les plus étonnants du développement de l’informatique et du numérique dans l’enseignement, c’est la faible proportion d’enseignants faisant utiliser réellement et régulièrement les moyens numériques par les élèves dans leur activité quotidienne d’enseignement. Le manque d’équipement aisément accessible, la charge didactique et pédagogique des programmes et autres préconisations institutionnelles rendant moins prioritaire ce type d’activité pour la très grande majorité des enseignants. Le développement d’initiatives comme celle des Landes à partir du début des années 2000, puis d’autres initiatives comme le plan Hollande de 2015 (ou encore TNE en 2020) visent pourtant ce type de développement. Les observations effectuées dans les établissements montrent pourtant que les pratiques restent modestes et s’inscrivent surtout dans la durée nécessaire de familiarisation des enseignants et des élèves aux équipements et dispositifs mis en place de façon pérenne. La récente annonce du recul des politiques d’équipement des élèves par les collectivités montre bien la pression sociale autour du numérique et de ses atermoiements et hésitations. Ces oscillations politiques sont présentes dès le début des années 1980, traçant dans le temps des vagues successives d’enthousiasmes et de désillusions. C’est pour cela que les enseignants sont contraints de s’autoformer, tant les formations traditionnelles sont fragiles à de nombreux points de vue.
Se frayer un « chemin de connaissance » à l’ère du numérique
Écouter les enseignants les plus zélés dans l’usage du numérique dans l’enseignement met en évidence un écart important dans la maîtrise des moyens disponibles. Si les plus enthousiastes foncent tête baissée dans les nouveautés (regardons ce qui se passe en ce moment autour de l’intelligence artificielle – IA), la grande majorité tente de se frayer « un chemin de connaissance » et de trouver quelques points de repère face à ce tourbillon médiatique. La découverte de l’IA se fait ainsi de manière autonome, les formations proposées (journées, conférences, podcasts et autres) ne sont là que pour poser des points de repère qui ne seront efficaces que si les enseignants poursuivent par une autoformation leur permettant de faire face aux situations nouvelles qui se présentent à eux. L’observation de ce qui se passe depuis l’automne 2022 est suffisamment claire et lisible : l’inquiétude est plus importante qu’on ne le pense, mais la pratique reste pour l’instant assez marginale quoiqu’en évolution. Continuons donc d’observer ce qu’il va en être dans les temps à venir, d’autant plus que l’agitation actuelle continue de se propager et que la stabilisation des techniques et des possibles n’est pas encore suffisante pour assurer des pratiques et rassurer les pratiquants. S’autoformer, une nécessité imposée de l’extérieur, encore faut-il qu’elle soit accompagnée et aidée… ce n’est pas vraiment le cas, ce sont les enthousiastes qui sont le diapason des pratiques, et pas les « enseignants ordinaires ».
Bruno Devauchelle