Par Nathalie Doudet
Voici un enseignant convaincu de l’intérêt des pratiques artistiques en cours de langue. Philippe Usseglio enseigne depuis 10 ans au Lycée Diderot de Marseille et la pratique artistique est devenue un « acte de foi incarnée de [sa] philosophie professorale ».
Il est bien conscient que notre matière est « un substrat de culture » et que « La richesse de la botte […] ne demande que des appels d’air sans cesse renouvelés d’expériences en classe, grâce aux intervenants extérieurs éclairés qui relaient une meilleure transmission du patrimoine transalpin.
De ces appétences, il reste toujours le stimulant, le positif, d’autres respirations. D’un point de vue professionnel, Philippe retient que « la dimension culturelle nous extrait le plus souvent de la routine. D’ abord parce que l’on apprend soi-même. […] Mais c’est aussi une histoire de rencontre avec d’autres milieux, d’autres lieux et manières d’appréhender le monde, être capable de prendre le pouls de conceptions différentes qui enrichiront à un moment ou à un autre la pédagogie. »
Depuis quand travailles-tu sur les pratiques artistiques ?
– « Je collabore depuis 5 ans avec les Projets d’Etablissement, sur le thème transversal des arts de la table grâce aux financements du Conseil Régional. Mon aventure a commencé avec une archéologue Dominique Peiris, spécialiste de la Voie Appia et de l’Antiquité romaine. J’ai organisé dans la classe de langue (détournant sciemment le lieu pour en faire un théâtre culinaire) des ateliers de cuisine romaine antique à partir des traces d’hier (mosaïques, livre d’Apicius, fouilles diverses…). L’insolite de la situation, la découverte de goûts surprenants, les anecdotes sur la vie sociale de nos aïeuls de Rome, le bonheur de retrousser les manches du « cuoco apprendista» sans considérations de sexes, d’âges, d’origines qui ont toujours donné des résultats étonnants, comme qui démasque le bonheur ! »
Et l’aventure a continué avec d’autres intervenants ?
– « Oui, dans la foulée, j’ai rencontré fortuitement Daniele de Michele, nom d’artiste DON PASTA, originaire du Salentino, aujourd’hui résident à Toulouse, lequel a imaginé créer un spectacle dans la mouvance du Slow Food. Factotum, gastro philosophe, DJ et cuisinier, écrivain et acteur, il combine tous (s)ces savoirs dans une aventure en scène. Avec lui, on voyage dans l’arc méditerranéen, on y raconte les petites histoires des gens qui font l’histoire, des femmes libres, la chaleur et l’abandon, des albanais immigrés qui débarquent sur les plages du sud de l’Italie, accueillis par les autochtones leur préparant la pasta, l’émotion d’un petit déjeuner le jour de l’élection d’Obama à la présidence, des balades « serale » dans une Palerme surchauffée par l’été à la recherche d’une recette mystérieuse de pâtes aux sardines. Dans ses interventions scéniques et pour accompagner ses récits littéraires, Daniele présente dans « Sound Found System » un mélange de vidéo (on le voit cuisiner du sugo di pomodori alla parmigiana d’aubergine) et de musique (du jazz à la tarentelle). Il est toujours accompagné de musiciens aux bases solides. Ce soir-là, le cuisinier de la compagnie Don PASTA Selecter avait préparé des plats aux consonances méditerranéennes (carpaccio de bœuf et de thon, Pâtes aux sardines tout cela d’une grande qualité gustative). Ce savant équilibre de mots, de notes, de saveurs insuffle un climat de fraternité et de solidarité qui sied particulièrement au public lycéen des Quartiers nord de Marseille.
Le spectacle est le clou de la soirée, mais comment s’articule le travail entrepris en amont ?
– « Les élèves écrivent en italien des textes illustrés (photos, dessins, vidéos) qui évoquent les origines, la nourriture de l’enfance, leur rapport aux pâtes ou au pain (foccacce, bruschette), des interviews d’anciens sur le thème du « cibo » afin de se faire raconter la nudité de se nourrir d’autrefois ou alors traduisent des recettes en italien. L’aspect littéraire des rencontres met en exergue les valeurs partagées, les racines. Dans ce lycée de banlieue, Daniele « cerca una lingua sola ». Une quinzaine d’élèves ont participé à l’écriture de textes pour le Soul food à Roma en 2008. »
Comment se structure la rencontre avec Daniele de Michele ?
– « Le travail est mis en commun, une causerie est organisée et l’artiste lit les meilleurs textes. Les discours et les échanges s’alternent, les réflexions s’engagent sur l’acte de se nourrir en terme de besoin, de valeurs, de transmission, de respect environnemental visant à faire réagir : qu’est-ce que signifie la production, l’économie durable. L’axiome pédagogie/ alimentation est développé à travers la lutte contre la perte de l’identité gastronomique dans les grandes villes, l’homogénéisation des habitudes alimentaires. Daniele insiste sur la sagesse à transmettre, sur le besoin d’héritage, le patrimoine et les traditions paysannes pour un mieux-vivre. »
La rencontre continue avec des ateliers pratiques ?
– « Oui, mais auparavant, nous organisons une partie de football pour créer un lien avec les lycéens : Daniele est italien ! Ensuite nous préparons des plats éthiques à présenter autour d’un banquet d’après-spectacle : les élèves sont invités à préparer à la maison un plat ayant un rapport avec leurs origines et à le faire goûter à la communauté.
Des ateliers cuisines sont organisés dans le réfectoire : la pasta, il pane, le foccacce, le bruschette (les thèmes sont renouvelés chaque année). Par groupe de 20 à 30 élèves, à la cantine, se constituent des équipes de 3 ou 4 apprentis-cuisiniers. Un volcan de farine sur la table, un peu d’huile d’eau, deux œufs et c’est parti pour l’impastare et la magie de cuisiner ensemble ! »
Quel est ton ressenti d’enseignant face à ces expériences ?
– « La magie opère à chaque fois. D’abord, parce que toutes les frontières disparaissent. Dans la relation artiste pédagogue/ apprenant curieux s’ajoute la partie triangulaire à savoir l’aliment à modifier et qui se modifie sous les yeux des acteurs/ convives. Toutes formes de machisme sont bannies, tout le monde met « la main à la pasta »
Le spectacle qui suit donne une ampleur significative au travail d’écriture et aux ateliers. Le concept du spectacle allie gastronomie et récits philosophiques. Le talent des musiciens est séduisant car il coordonne, dans un même élan les figures artistiques différentes mais ô combien complémentaires à savoir la perception théâtrale et cinéphile (avec vidéo projetée), la littérature et la cuisine comme lien d’une histoire qui s’écrit.
Quels sont les intérêts du projet du point de vue du vivre ensemble ?
– « Le spectacle appelé « Sound Food System », pose les bases du vivre-ensemble, le respect des cultures. Il y a l’idée de dignité humaine dans la démarche. La cuisine est synonyme de parcours et d’échanges, d’idéal du partage… .Le public très hétéroclite, souvent d’origine méditerranéenne, est en quête d’une identité à créer. L’éducation aux goûts est à valoriser pour toutes ces arguties. Les élèves de la seconde à la terminale ont pu enrichir leurs connaissances culinaires, musicales, scéniques … La première des réussites à chaque fois, c’est sans doute leur comportement exemplaire à bien des égards (respect des acteurs, participation active au buffet avec leur recette, curiosité envers le travail de Don Pasta et une écoute toute particulière pour les musiques : le jazz ou/et la musique traditionnelle italienne dispensées par le groupe). Ces interventions mêlent sérieux et ludique et on peut en espérer des résultats sur le moyen et long terme, un réel enrichissement culturel, combiné à des connaissances linguistiques, historiques et des savoirs- faire nouveaux et ancestraux. Enfin, les artistes ont visiblement apprécié cette aventure en milieu scolaire et espèrent renouveler l’expérience année après année jusque-là ! »
Combien d’élèves sont impliqués dans le projet ?
– « Je fais en sorte de faire participer toutes les classes du lycée. Selon les années de 35 à 60 élèves sont actifs sur les projets et une cinquantaine est amenée à assister aux différents spectacles »
Le projet est-il intégré dans les classes à examen ?
– « Oui, les élèves TES et STI ont présenté sur leur liste de Bac, un dossier « Don Pasta » avec un extrait du livre de Daniele, une recette, une iconographie et compte-rendu personnel de la journée. »
As-tu des échos sur les interrogations au Bac ? Ce projet éveille-t-il la curiosité des collègues qui interrogent ?
– « J’ai rarement d’échos, en général les élèves ont de bonnes notes. Malheureusement les collègues -et c’est souvent- ne prennent pas de risques et interrogent quasi exclusivement sur les textes qu’ils connaissent parfaitement. Et cette non-prise de risque mais aussi ce refus de mise à niveau avec l’élève me hérissent le poil! »
Quelles difficultés rencontres-tu dans la mise en place de ce projet ?
– « Le parcours est semé d’embûches bien évidemment. Monter le projet, décocher les mots précis pour obtenir le financement du Conseil Régional, trouver des dates adéquates pour les uns et les autres, séduire les partenaires ( de la cuisine à l’intendance), afficher les bons créneaux, réserver les salles, savoir se mettre au service des artistes, convaincre les élèves de la beauté de l’aventure, les textes rendus trop tard pour correction, la gestion de l’informatique et de la sono, la colère de certains collègues qui regrettent l’absence des élèves péninsulaires à leur cours et j’en passe… mais rien de tout cela ne saurait me décourager. Je crois dur comme fer à ces pratiques qui décentrent les apprentissages pour mieux en retrouver l’essence. J’entends poursuivre ces belles aventures, en provoquer d’autres dans tous les domaines de l’art, sans savoir précisément où cela mènera, même si les objectifs sont au départ flous, si tout est à faire à construire, à imaginer, à cela justifie tous les engagements et la sueur que demande le mariage arts/ enseignement. »
Philippe mène à bien ses projets depuis 2006 ; cette année son projet a mis en scène la cuisine et la chanson ligure et déjà le thème du projet 2011-2012 pointe son nez : la nourriture dans les tableaux de la Renaissance.
Voici quelques sites qui vous permettront de mieux connaître le projet
Le site de Don Pasta
http://www.myspace.com/donpasta
La vidéo de promotion du spectacle Food Sound System
http://www.youtube.com/watch?v=qTm3y25QHoo
Une critique du spectacle dans Le clou dans la planche :
http://www.lecloudanslaplanche.com/Reserve_pages/Don_Pasta.html
Présentation du projet :
http://www.lyc-diderot.ac-aix-marseille.fr/spip/spip.php[…]
http://www.lyc-diderot.ac-aix-marseille.fr/spip/spip.php[…]
http://www.lyc-diderot.ac-aix-marseille.fr/spip/spip.ph[…]
Projet sur la cuisine romaine (photos, comptes rendus, QCM):
Vachère 2009 Le reportage est en 6 parties
CUCINA ROMANA gennaio 2007/2008
http://www.lyc-diderot.ac-aix-marseille.fr/spip/spip.php?article561
Atelier bruschette 2006 :
http://www.lyc-diderot.ac-aix-marseille.fr/spip/UserFile[…]
Traité de « viaggiologia » (c’est l’appellation de Philippe): évasions ligures
http://www.lyc-diderot.ac-aix-marseille.fr/spip/spip.php?article1700
Réaction à: philippe.usseglio_at_laposte.net
Sur le site du Café
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