Passer la porte d’une galerie d’art contemporain, cela demande un engagement personnel pour accepter d’être questionné par une oeuvre, la démarche d’un artiste ou sa vision du monde. Se lancer dans cette aventure avec des élèves d’un collège classé en Réseau de Réussite scolaire, cela demande encore plus d’investissement à la personne de l’enseignant. Alors pourquoi le fait-il, selon quelles valeurs ? avec quelles convictions ?
Le Café est allé voir comment çà se passait dans une endroit où de longues habitudes sont prises de diffuser l’art contemporain, sans tambour ni trompettes, sans évènement médiatiquement fort (même la visite régulière de Claude Lévêque venu soutenir les jeunes artistes et les opérateurs de ces actions reste discrète). Depuis plus de 10 ans, un vrai travail de fond est engagé par 3 structures, en dehors des modes culturelles ou des instructions officielles.
Le centre d’art contemporain départemental situé dans une ancienne petite ville thermale un peu isolée, fait le choix d’avoir une forte programmation hors-les-murs, d’aller au devant des publics, là ou ils se trouvent, dans les quartiers, les musées, les établissements scolaires…
Un collège en éducation prioritaire a mis au coeur de son projet d’établissement l’accès à la culture et le contact avec la création contemporaine pour tous les élèves. Une salle de cours est spécialement dédiée à l’art contemporain, c’est la galerie S02, ouverte les soirs de vernissage, quand les élèves accueillent leurs parents et les invités pour leur expliquer le travail réalisé avec le prof ou les artistes en résidence…
Une galerie associative située à une entrée de ville, au pied du quartier historique, se préoccupe de questions sur la place de l’art dans l’espace public ou l’édition, l’oeuvre multiple… avec une place à part dans le paysage culturel local promouvant les jeunes artistes, les petites formes, l’inscription des projets dans son lieu, permettant plus de souplesse et de réactivité qu’une structure plus importante. Elle a le souci de proposer des médiations pour que les publics aient des points de repère.
Les ingrédients : d’abord le désir puis la volonté…
Ces trois-là ne partagent pas forcément les mêmes idées sur tous les sujets, mais en tout cas la même visée de développement humain. Etre au clair avec les intentions de chacun des acteurs est primordial pour que le partenariat se développe sur des bases saines. Seulement, il ne suffit pas de le décréter pour qu’il fonctionne. Le désir de faire des choses ensemble et les relations interpersonnelles jouent un rôle important ; il faut bien se connaître, savoir ce que l’on peut attendre de l’autre, apprécier sa valeur, respecter ses spécificités. Ensuite il faut vouloir, oser essayer… Travailler en co-intervention n’est pas si facile… Et le travail collaboratif s’inscrit au fil du temps dans les projets des structures et quels que soient les individus, il devient incontournable.
Ce partenariat-là s’est construit au fil du temps : le centre d’art et le collège contractualisent une coopération ; le professeur d’arts plastiques du collège vient à la galerie avec une classe une fois, plusieurs fois ; le centre d’art et la galerie organisent une première opération en co-production. Et d’année en année, les choses se pérennisent, s’étendent, s’étoffent…
Une proposition artistique
Le café a rencontré récemment les acteurs de cette histoire à l’occasion d’une exposition proposée par la galerie, intitulée VillaOffdeutschland
, conçue par 3 jeunes artistes allemands, Marcel Hiller, Markus Hahn et Sebastian Walter. La proposition consiste en la production d’une structure spécifique englobant et envahissant la galerie.
Les artistes ont passé dix jours non-stop pour réaliser cette installation qui s’étend de la façade de la galerie aux anciens bureaux et qui propose de nouveaux espaces à l’intérieur même de la galerie. Il en résulte beaucoup de justesse dans l’appréhension de l’architecture du lieu et de son histoire.
C’est une exposition qui joue sur les sensations physiques en proposant des espaces tour à tour sombres, inaccessibles, infiniment étroits ou presque lunaires. Un jeu est également mené sur la diversité de point de vue, les ouvertures sur l’extérieur et la capacité des objets à introduire des histoires dans l’espace.
La rencontre sensible des élèves avec l’oeuvre
Un matin, un groupe de 14 élèves de 6ème est entré dans l’installation, au sens propre du terme, puisqu’elle occupe tout l’espace de la galerie.
Un cheminement avait été conçu par le professeur et la commissaire-médiatrice en complémentarité (à chacun son métier ! L’un connaît bien sa discipline et ses élèves quand l’autre connait bien le projet de son artiste).
Que s’est-il passé pendant les 3 heures consacrées à cette « visite » ?
Les élèves ont commencé par se familiariser avec le lieu, mettre au clair le mot « galerie », interroger la commissaire et comprendre le travail de conception d’une exposition.
Les élèves ont été mis en situation de confrontation « physique » et « sensible » avec l’oeuvre, et ainsi mieux appréhender les concepts de sculpture et d’architecture.
Un travail de description visuelle de l’oeuvre et le partage de ce qu’ils ont ressenti en étant au milieu de l’installation fait formaliser les choses avec des mots. Cette lecture de l’espace vu à travers l’oeil décalé des artistes, aménagé par eux, leur permet de déplacer leur propre regard.
Ils ont pu ensuite représenter leur approche de cet espace, le dessiner. L’atelier de pratiques est indissociable de la rencontre avec l’oeuvre.
De retour au collège, des liens ont été faits avec l’histoire de l’art, avec d’autres artistes contemporains ou d’autres oeuvres pour mettre les choses en sens. Les élèves ont produit des textes et des dessins qui ont fait l’objet d’une édition.
Entretien avec PLD
Qu’est-ce qui pousse un professeur à sortir de sa classe et emmener ses élèves dans des lieux difficiles d’accès ?
L’art est un secteur très, très important de la vie. Il permet des possibles, des imaginaires, ce qui fait qu’un être humain peut se développer et devenir plus libre.
Pour moi, c’est une envie de faire découvrir des choses aux élèves, de leur apporter un éclairage particulier sur le monde.
On leur permet de faire un pas de côté, çà produit forcément un écart entre les 2 positions. Et qui dit écart dit réflexion, questionnement, doute…
On pourrait se contenter d’images ou de reproductions. Le déplacement est coûteux en énergie, qu’apporte de plus cette rencontre avec les oeuvres, ce travail avec les artistes ?
Il faut montrer ces choses-là aux élèves. C’est bien que dans le monde saturé d’images où nous vivons, ils puissent voir des vraies oeuvres, non pas des représentations.
Expérimenter physiquement une installation, c’est autre chose que de commenter une photo… Les reproductions ne mettront jamais en jeu une participation des regardeurs, surtout dans l’art contemporain. Une installation, çà se « traverse » …
De plus, comme le centre d’art accueille des résidence d’artistes, les élèves peuvent bénéficier du suivi d’une oeuvre en train de se faire et ne pas voir seulement le résultat. C’est un rapport au temps qui n’est pas du tout le même
Quel rôle l’Ecole a à jouer ?
Pour moi, c’est une question de devoir… L’Ecole a ce devoir-là, de donner des outils pour réfléchir, analyser, ressentir… On permet à des personnalités de s’épanouir.
L’art et la culture ne sont pas totalement partagés. Alors l’Ecole se doit d’outiller les élèves conceptuellement pour saisir le monde et ses représentations, pour penser le monde, avoir les moyens d’être à la fois acteurs de leur propre regard et actifs par rapport au monde.
L’art est aussi une source de plaisir esthétique et de découverte ; on se laisse surprendre, étonner et il faut le faire partager aux élèves.
Comment travaillez-vous avec les commissaires d’expositions du centre d’art et de la galerie ?
La manière de travailler pour monter des projets passe par des discussions, des envies de faire découvrir ceci ou cela. On voit comment c’est possible.
C’est un vrai partenariat, chacun fait son travail avec ses propres contraintes et les objets de son champ professionnel. L’enseignant valide le travail du point de vue pédagogique et le médiateur fait en sorte qu’un plus large public accède à sa programmation. L’enseignant va se demander : « comment je vais faire pour faire découvrir ces oeuvres ? » Le médiateur de la structure culturelle va, lui, se demander : « quels moyens je mets en place pour accueillir ce public dans les meilleures conditions ? »
Il peut y avoir des écueils : que l’un ou l’autre instrumentalise une oeuvre pour n’en faire qu’un outil pédagogique, alors que c’est un objet en tant que tel, à considérer avec un regard pédagogique.
Dans le rapport aux oeuvres, il y a des difficultés conceptuelles et c’est à l’enseignant de les prendre en compte pour adapter le propos, le vocabulaire aux potentialités de ses élèves, sans faire de contresens ni de simplification abusive. Le boulot de l’enseignat, mais c’est valable pour tout enseignant, c’est de réfléchir à des stratégies pour faire passer des choses complexes.
Qu’est-ce que ça vous demande ?
Cà demande du temps, des moyens ,de l’énergie ; çà réclame un vrai travail d’investissement personnel, très peu de monde n’est prêt à le faire… Comme en plus l’art contemporain est un secteur méconnu.
Surtout il faut croire que c’est important !
Pour continuer la réflexion…
Une réponse de Bernard Lamarche-Vadel* à un auditeur lui demandant si l’art contemporain n’était pas « élististe » : « Mais vous avez parfaitement raison, l’art contemporain est fait pour une élite. A ceci près que, cette élite, rien ni personne ne vous empêche d’en faire partie ».
* « Lamarche-Vadel – professeur, directeur de la revue Artistes (1979-1982), commissaire d’expositions, conseiller éclairé de galeristes, conférencier un tantinet poseur, écrivain dandy, misanthrope – marchait en dehors des clous, boudait d’une belle manière aristocratique la bêtise. Ses écrits inclassables, sa personnalité flamboyante et son engagement auprès des artistes ont marqué le monde de l’art des années 1970 à aujourd’hui. Suffisamment loin du jargon universitaire pour être lisible, sa liberté de ton planait au-dessus de la pesanteur de l’époque. Il fit de son culot une grenade, dont on apprécie encore aujourd’hui les éclats.