Parmi les 3 pièces au programme, vous avez choisi d’étudier cette année celle de Nathalie Sarraute, Pour un oui ou pour un non : avec quelles motivations ?
La pièce de Nathalie Sarraute, d’abord écrite pour la radio, interroge notre rapport aux mots et à la parole et montre combien il est difficile de communiquer et de bien se faire entendre. J’espérais ainsi développer auprès des élèves la compréhension que la communication est multiple, qu’elle fait intervenir le corps, le regard, la respiration, les intonations, les accents, les silences. La pièce de Nathalie Sarraute porte une attention toute particulière à ce qu’elle a défini comme des « tropismes », c’est-à-dire tous ces « mouvements indéfinissables, qui glissent très rapidement aux limites de notre conscience[1] », qui viennent apporter du sens au propos de celui qui parle. Cette attention fine à la richesse des échanges me semblait d’autant plus importante de nos jours pour nos élèves, qui ont à leur disposition de nombreux moyens de communication virtuels, mais qui communiquent peut-être moins directement dans la réalité.
Pour accompagner la lecture de l’œuvre, vous avez créé un bot et un quiz : comment ?
Pour le Quiz, je suis passée par la plateforme myplato.ai. Là encore, l’usage est très simple et intuitif. La difficulté essentielle que j’ai rencontrée est le partage des données. L’IA produit un QR code qui permet d’accéder aux questions du Quiz, mais là encore, il faut s’identifier avec l’adresse mail du concepteur. L’ergonomie du site n’est pas encore très bonne, ce qui est décevant.
Quelles en ont été les modalités d’utilisation avec les élèves ?
Pour le bot, comme j’ai éprouvé des difficultés à partager les données qui passaient par ma boîte mail, j’ai donc expliqué la méthode de création aux élèves pour qu’ils testent l’outil par eux-mêmes. On a pu constater que le résultat était assez bluffant dans l’ensemble, même si le style de l’IA reste toujours plutôt lisse. En tout cas, cet outil permet de réviser les notions littéraires propres à Nathalie Sarraute de façon ludique et engagée.
Pour le Quiz, je n’ai pas beaucoup utilisé cet outil en classe, car l’étude du français ne consiste pas en la validation de connaissances, mais consiste plutôt à développer des compétences de lecture, de compréhension et de réflexion personnelles. Toutefois, ces outils ont été pratiques pour accompagner la lecture de l’œuvre de façon originale. Ils le seront aussi pour raviver la lecture de la pièce au moment des révisions, avant les épreuves du baccalauréat.
Avec quels plaisirs et quels profits ?
Les élèves ont beaucoup apprécié les outils numériques en cours de français. De mon point de vue, il était aussi important de travailler avec tout ce que l’IA met à notre disposition. La génération du bot nous a permis de réfléchir au fonctionnement de l’IA, qui se nourrit des ressources qu’on lui donne. Il fallait donc sélectionner des sources fiables, comme peuvent l’être des interviews de l’autrice sur le site de l’INA, par exemple. La création d’un bot a quelque chose de fascinant, puisqu’on se retrouve à échanger avec l’autrice, aujourd’hui disparue. Nous avons examiné la valeur des réponses données, dans le but d’évaluer la qualité de l’IA générative créée avec ces sources. Au cours de ces séances, j’ai trouvé que les élèves étaient particulièrement motivés par ces questions.
Vous avez aussi utilisé l’IA pour générer des images des personnages : quels outils avez-vous choisis ? pourquoi ceux-là ?
J’ai choisi la plateforme Illuminovel, qui propose des illustrations de personnages d’œuvres comme Harry Potter ou Guerre et Paix. Comme la pièce radiophonique de Nathalie Sarraute n’était pas répertoriée, j’ai indiqué aux élèves d’entraîner cette IA es pdf des textes que nous avions étudiés ensemble. Il en a été de même pour la mise en scène d’extraits de la pièce à partir de la plateforme hailuoai.video, que les élèves ont nourrie avec les pdf des extraits de la pièce analysés. Ces outils m’avaient été recommandés lors de la formation animée par Yaël Boublil et Claire Doz car ils sont efficaces, gratuits et disponibles. En effet, l’accessibilité aux outils de l’IA peut varier. Certains sites deviennent payants, par exemple.
La pièce de Nathalie Sarraute a pour particularité de confronter des personnages nommés seulement par la lettre H et par leur ordre de prise de parole. H1 et H2 échangent donc tout au long de la pièce, et il est difficile, lors d’une première lecture de les distinguer. Le recours à la représentation des personnages est donc essentiel à la compréhension de la pièce par les élèves. En leur demandant de représenter les personnages, ils s’approprient davantage leur lecture et jouent un rôle de metteur en scène. En leur demandant d’utiliser les outils de l’IA, pour générer des portraits de personnages et de courtes mises en scène, j’avais pour double objectif d’une part d’exercer les élèves à l’écriture d’une requête qui devait rendre compte de leur lecture de l’œuvre, et d’autre part d’exercer leur esprit critique en fonction des résultats obtenus.
En quoi cette activité vous a-t-elle semblé intéressante pour les élèves ?
Par cette activité, les élèves ont été amenés à comprendre la nécessité de la précision du langage dans la requête, mais surtout, ils ont pu critiquer les résultats obtenus et les confronter à la vision personnelle qu’ils s’étaient faite des personnages, en s’appuyant sur le texte. Cela a permis d’observer les textes plus en détail quant à la personnalité des personnages, de constater la difficulté de représenter les tropismes, et de prendre en compte les biais de représentation de l’IA. Cela a conduit à des échanges intéressants sur le fonctionnement de l’IA et sur l’attention critique à porter aux éléments générés.
« Dans une année de bachotage intense, je n’ai pas le temps de mener de telles activités numériques », objecteraient peut-être des collègues : que leur répondriez-vous ?
L’activité demande peu de temps de classe. En effet, on peut facilement demander aux élèves de générer les images chez eux ou au CDI et de les déposer ensuite sur les différentes plateformes de l’ENT[2] (cahier multimédia, collection Pearltrees dédiée…). La mise en commun des résultats ne prend qu’une heure de cours. Elle permet aux élèves de présenter les résultats obtenus à l’oral et de les commenter. Cela rend les élèves acteurs de leurs apprentissage. La compréhension des textes est renforcée, et le retour critique face aux propositions de l’IA est amorcé. Alors oui, ça vaut le coup !
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
Ressources et exemples sur Pearltrees
[1] Nathalie Sarraute, Tropismes, Éditions de Minuit, 1957.
[2] Consignes données aux élèves :
– Sur votre carnet de lecture et de culture, faire les portraits (moral et physique) de H1 et de H2. pour le portrait physique, demander à l’IA de Illuminovel https://illuminovel.com/ de générer les portraits des personnages. Vous les déposerez ensuite dans le cahier multimédia de la classe consacré à POPN : https://ent.iledefrance.fr/scrapbook#/view-scrapbook/bfbf87ee-191e-44c4-87a5-fdacbee1429d. Vous pouvez utiliser les pdf des extraits joints pour nourrir l’IA. Etes-vous satisfaits de ces portraits ? Justifiez votre position.
– Imaginer une mise en scène de POPN. Vous pouvez utiliser https://hailuoai.video/ en rédigeant la requête la plus proche possible de votre vision de POPN. Vous pourrez ensuite déposer votre vidéo sur le cahier multimédia consacré à POPN
