Par Jeanne-Claire Fumet
Invité du Café de Pédagogie vivante au bar du Lucernaire, mercredi 24 novembre, Yves Reuter a présenté son Dictionnaire des concepts fondamentaux des didactiques aux lecteurs du Café venus le rencontrer. Genèse et organisation de l’ouvrage, redéfinition d’une discipline peu connue et parfois mal reçue, l’auteur a précisé le contexte de son travail et répondu aux nombreuses questions de son auditoire.
Une analyse des obstacles. Née dans les années 70 des premières interrogations sur l’échec scolaire, la recherche en didactiques a emprunté la voie étroite d’une analyse des obstacles aux apprentissages à partir des contenus des enseignements. Se détachant de la pédagogie générale comme des études disciplinaires spéciales, elle a porté de forts espoirs et quelques déconvenues « On s’est aperçu que les didactiques n’apportaient pas de solutions miracles, remarque Yves Reuter. Mais ce n’était peut-être pas leur vocation! »
Ni prescriptives, ni purement descriptives (elles indiquent des éléments de réflexion féconds pour les pratiques), les didactiques s’efforcent de faire émerger et de clarifier les implicites qui trament les situations d’enseignement, entraînant parfois des blocages insolubles pour l’élève comme pour l’enseignant.
Un inconscient scolaire. S’inspirant du modèle de didactique mathématique d’Yves Chevallard, Yves Reuter distingue trois degrés dans les savoirs requis pour la réussite de la situation d’enseignement : les savoirs disciplinaires, para-disciplinaires et proto-disciplinaires. Les premiers son explicitement établis, les seconds se transmettent par la pratique et l’exercice sans être cités et les derniers ne se manifestent que dans les situations de rupture : par exemple la reconnaissance des figures en mathématiques ou la lecture en français. Ceux-là constituent une sorte d’inconscient pédagogique : leur émergence est synonyme de crise, tant leur absence est inconcevable en situation ordinaire d’enseignement. En les dégageant, les didactiques permettent de les désigner et de les intégrer dans les pratiques d’enseignement où elles résident sous forme d’impensé.
L’intelligence des causes. Pour la didactique, l’essentiel est de rattacher les phénomènes d’enseignement à des causes la plupart du temps inaperçues : en ce sens, elles ne servent pas à résoudre sur-le-champ les difficultés concrètes, mais facilitent la compréhension adéquate de ce qui se produit d’inattendu ou d’intempestif, selon des relations logiques qui transforment l’échec subi en acte d’intelligence. Or, ces causes sont particulières aux disciplines et aux contextes d’enseignement. Elles ne se laissent pas généraliser en théories de didactique générale. L’enjeu des didactiques, comme ensemble disciplinaire, réside donc dans le repérage et la construction théorique d’invariants capables d’éclairer utilement les champs voisins sans se fondre dans d’autres disciplines d’analyse (psychologie, épistémologie, pédagogie).
Des repères transversaux. Le dictionnaire établi par Yves Reuter et son équipe répond ainsi à un besoin d’unité dans la présentation de concepts clés, susceptibles de fournir les repères transversaux aux didactiques spécialisées. « Il existait des dictionnaires spécialisés, en français langue étrangère, en didactique des sciences (coordonné par Jean-Pierre Astolfi), et quelques Que Sais-je? mais pas d’ouvrages généralistes de références pour l’ensemble des didactiques. Nous avons fait le choix d’un nombre limité de concepts, dont nous proposons une définition, le situant comme un outil fabriqué pour traiter une famille de problèmes ; des éléments de discussions viennent rappeler que le débat en didactiques est permanent, et une courte bibliographie, complétée à la fin par une bibliographie plus complète. »
Un contexte difficile. La diffusion et la pénétration des travaux de didactique est difficile. Le déficit de confiance envers l’institution scolaire, les conditions de travail tendues des enseignants, la suppression des formations initiale et continue, la diminution des postes de recherche et les fortes réticences idéologiques ne les favorisent pas. « Pour élaborer ce dictionnaire, nous avons travaillé en équipe, sur le terrain, à partir de nos cours (auxquels nous assistions mutuellement) et en soumettant notre travail à nos propres étudiants, précise Yves Reuter. C’était d’ailleurs très instructif. Nous l’avons conçu comme un outil évolutif qui intègre la possibilité des discussions et des changements. En tout cas, nous n’avons pas eu de retour négatifs sur cet ouvrage ; c’est un signe : si nous avions fait des erreurs, il est certain qu’on ne les aurait pas laissées passer ! »
L’ouvrage d’Yves Reuter (dir.)
Yves Reuter (dir), Dictionnaire des concepts fondamentaux des didactiques, de Boeck, 2010.
Le compte-rendu dans le Café
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