Lilian Thuram :
« Il faut cesser la compassion du « tous égaux » pour comprendre pourquoi on devient raciste«
Enfin arrivé en même temps que tous ceux qui n’ont pu avoir le train prévu, ou qui ont été plus ou moins bloqués dans l’un des nombreux mouvements sociaux qu’ils ont croisé sur leur parcours, Lilian Thuram suspend la salle à ses lèvres en deux phrases: « C’est parce qu’on m’appelait la vache noire, quand je suis arrivé en France, que j’ai commencé à comprendre l’importance des idées préconçues, des préjugés ancrés dans sa propre culture lorsqu’elle nous amène à des émotions étranges ». Encore à son apogée sportive, Il interroge des enfants milanais sur les qualités des « races » : « les noirs courent vite, les jaunes sont bons en mathématiques. Les Blancs ? « Ben , ça dépend des gens… » lui répondent-ils. « J’ai compris que dans leur imaginaire, les enfants construisaient des stéréotypes, et que l’éducation était un levier. J’ai compris que le racisme n’était pas un sujet sensible, mais un objet à prendre à bras le corps au quotidien. On ne nait pas raciste, on le devient. Quand les supporters font le cri du singe en voyant un joueur noir, j’ai plutôt de la compassion pour leur peu d’éducation que de la haine. Il faut cesser la compassion du « tous égaux » et comprendre pourquoi on devient raciste.
Si on l’explique aux enfants que la qualité d’une personne n’a pas de rapport avec sa couleur de peau, ils le comprennent. Le pire racisme est le racisme inconscient des préjugés et des imaginaires collectifs. On sait que 80% des français ont entendu parler pour la première fois des noirs par le biais de l’esclavage et les histoires qu’on leur a racontées. Penser que Christophe Colomb a découvert l’Amérique, c’est ne pas avoir pu se décentrer suffisamment de sa propre centralité. Apprendre à reconnaître l’autre en même temps qu’apprendre à se connaître, c’est pour moi le levier essentiel. La grande majorité des gens veulent vivre ensemble. Mais ce sont les Etats et les systèmes économiques qui mettent en place les séparations. Si chaque jour, la communication d’Etat vous met en tête qu’une loi justifie les inégalités, vous finissez par y croire. J’ai confiance dans l’Education pour que chaque génération, l’une après l’autre, fasse un peu mieux pour découvrir qu’il peut mieux se connaître en connaissant mieux l’autre. Le jour où il y aura sur les murs des écoles les noms et les photos des grands scientifiques et artistes qui ont fait l’humanité, sur les différents continents alors on pourra dépasser les raccourcis des « minorités visibles » et le misérabilisme social. »
La salle est toujours sous le charme. Dans la mallette de participants de Lalonde 2010, le DVD du programme éducatif de sa fondation, élaboré avec le concours de nouveaux scientifiques, de la CASDEN et la MGEN. Un bel outil.
A conseiller aussi pour Noël : « Les étoiles noires », édité par la fondation Thuram. Vous pouvez attendre un peu, il va sortir en poche.