Par François Jarraud
L’allongement de l’année scolaire en juin va bousculer profs, administratifs et candidats. Pour quels gains ?
Vous avez 18 ans, vous ne savez pas encore vraiment ce que vous allez faire après le bac et vous hésitez en vous disant que vous avez le second trimestre pour vous décider définitivement… En fait il vous reste environ une semaine pour savoir si vous ferez médecine ou biologie, anglais ou littérature. Une circulaire publiée aujourd’hui par le ministère chamboule l’année scolaire dans les lycées. « Au titre de la politique de reconquête du mois de juin … un nouveau calendrier pour l’orientation et l’affectation ainsi qu’un calendrier plus resserré… pour le baccalauréat ont été expérimentés avec succès en 2008… » écrit la note ministérielle. « L’objectif de reconquérir 3 semaines de temps scolaire sur le mois de juin apparaît réalisable ».
Une année scolaire prolongée. De la 6ème à la 2de les conseils de classe ne pourront avoir lieu avant le 15 juin, c’est-à-dire qu’ils sont repoussés d’environ 2 semaines. Les cours sont donc eux aussi prolongés d’autant. En première le conseil aura lieu à partir du 11 juin. En terminale les conseils se tiendront à partir du 8 juin. Le conseil de classe consacré à l’orientation est avancé : il ne pourra avoir lieu après le 7 février. Comme il faut avant le conseil recueillir les choix parentaux, il est clair que les élèves de terminale n’auront pas cette année beaucoup de temps pour travailler leur orientation.
Des examens légèrement repoussés. Le brevet aura lieu du 30 juin au 1er juillet. Les bacs généraux et technologiques commenceront le 18 juin et se termineront le 24 juin. Le bac professionnel aura lieu du 22 au 26 juin.
La vie des établissements affectée. Le déroulement des épreuves aura donc lieu alors que l’année scolaire ne sera pas terminée. Les professeurs corrigeront les copies tout en faisant cours. Il appartiendra aux chefs de centres d’examen de trouver des locaux et des surveillants tout en gardant les élèves.
Le calendrier des épreuves. Le ministère publie le détail des épreuves 2009. Le brevet aura lieu du 30 juin au 1er juillet. Les bacs généraux et technologiques du 18 juin au 24 juin. Les bacs professionnels du 22 au 26 juin.
Des examinateurs mieux rémunérés. Puisque « les enseignants concernés doivent désormais assurer la correction des copies en même temps que la poursuite de leurs activités d’enseignement » , la correction d’une copie passe de 1 euro à 5 euro.
L’organisation suivra-t-elle ? Stéphane Kessler dirige le SIEC, le service des examens d’Ile-de-France. Il lui revient d’assurer de bonnes conditions de travail à 200 000 candidats aux bacs généraux et technologiques et aux 25 000 candidats au bac professionnel. Interrogé par le Café, il voit dans la reconquête du mois de juin « un défi ambitieux ». « Nous allons le relever », nous di-il. « L’exercice est complexe mais je suis optimiste. La maquette n’a pas tellement changé par rapport à l’an dernier ». Interrogé sur la nécessité de louer de nouveaux locaux, il estime que « ce ne sera pas nécessaire. Les épreuves devraient trouver place dans les établissements ». « La circulaire n’est pas encore officiellement publiée et il nous faut encore un peu de temps traduire le calendrier ». Mais il est clair que les dernières semaines de juin seront difficiles pour les enseignants astreints à faire cours et à corriger les copies d’examen ainsi que pour les administratifs obligés d’organiser tout cela.
Quels gains ? Pour le ministre, « ce dispositif favorise la poursuite de l’année scolaire jusqu’à son terme, permettant ainsi aux professeurs d’achever leur programme sans difficultés et aux élèves de disposer du temps nécessaire aux apprentissages ». Et il est vrai qu’il la prolonge de 3 semaines permettant ainsi d’atteindre 36 semaines de cours, un objectif recherché par les rapports d’audit et demandé par la commission Pochard.
Le dossier du ministère
http://www.education.gouv.fr/cid23441/bac-2009-xavier-darcos-generalise-la-rec[…]
« Reconquête du mois de juin » ou réforme en douce ?
« L’année scolaire commence au début du mois de septembre et devrait se terminer à la fin du mois de juin. Or, dans les lycées et parfois même dans certaines cités scolaires où se déroulent des épreuves du baccalauréat, ce temps scolaire n’est pas respecté et les conseils de classe, qui scellent l’avenir des élèves, se tiennent bien souvent à la fin du mois de mai. Cette situation entraîne, pour les lycéens, la perte d’un mois de scolarité par an » écrivait déjà il y a plus d’un an, en octobre 2007, Xavier Darcos. En 2008 le ministère a expérimenté le « reconquête » dans 5 académies (Rouen, Amiens, Dijon, Besançon et le département du Vaucluse). Les expérimentations ont montré qu’on peut demander aux enseignants d’assurer les corrections d’examen et les cours. Et voilà l’expérience généralisée.
L’intention est louable et répond à la demande de parents qui voient l’année scolaire partir en quenouille bien avant sa fin officielle et qui ne savent pas toujours quoi faire de leurs enfants en juin. Mais elle complique sérieusement l’organisation du baccalauréat et peut nuire à la sérénité des épreuves de ces mêmes enfants. L’examen nécessite des locaux calmes, éclairés et ventilés, du mobilier scolaire, la présence d’un secrétariat efficace et bien installé, des surveillants expérimentés, une liaison Internet… Toutes choses délicates à se procurer si les épreuves ont lieu alors que les élèves occupent les lycées.
Une réforme en douce. Alors pourquoi prendre ce risque ? Cette réorganisation permet l’allongement des services jusqu’à 36 semaines de cours, une recommandation de l’audit sur le lycée et du « rapport sur les décharges statutaires des enseignants du second degré » reprise ensuite dans le rapport Pochard. L’enjeu des 36 semaines n’est d’ailleurs pas sans rapport avec l’annualisation du temps de travail, une autre mesure de « modernisation » souhaitée par les audits pour diminuer le coût de l’école…
Si l’on veut croire ces rapports et ces objectifs enterrés par le crise, au moins reconnaitra à la « reconquête » une réelle capacité à réformer en fait le lycée, à poser la question de son efficacité.
R. Descoings rendra un premier rapport en mai
Xavier Darcos publie la lettre de mission de Richard Descoings, chargé par le président de la République de prendre en charge la réforme du lycée. Outre un échéancier précis (rapport en mai, contribution finale en octibre), ce document cadre la démarche du directeur de Sciences Po.
Il lui est demandé d’organiser « sans tarder » une consultation des lycéens. Le projet de réforme devra s’appuyer sur 4 axes : renforcer l’accompagnement des élèves, donner place à leur engagement, rééquilibrer les filières et mieux préparer aux études supérieures.
La lettre ouverte de Philippe Meirieu à Xavier Darcos
« Nous tenons l’un et l’autre à sauvegarder l’héritage républicain de l’Éducation nationale. Et nous savons que, pour le sauvegarder, il faut le transformer. Mais pas le démanteler ! Or, aujourd’hui, vous ne pouvez pas ignorer qu’une très grande partie des enseignants considère que vous êtes le maître d’œuvre de ce démantèlement, dont le maître d’ouvrage est à l’Élysée. Il ne suffira pas de vous récrier pour les apaiser. Il faut vraiment et radicalement changer de politique… » Cet appel, Philippe Meirieu, l’appuie sur une analyse de la politique ministérielle qui sonne comme un bilan.
Plus que l’échec de la réforme du lycée, présentée comme le résultat des concessions faites aux conservateurs de ‘lEcole, le pédagogue souligne une remise en cause des principes de l’Ecole républicaine.
P. Meirieu dénonce une politique scolaire qui cherche à faire face aux difficultés en « externalisant le traitement des difficultés d’apprentissage vers une multitude de structures de soutien ou en les traitant de manière technocratique à l’aide de prothèses pharmaceutiques et paramédicales ». Pour lui, cette politique, qui satisfait sans doute une partie des enseignants, « vide inexorablement la classe de sa substance. Au lieu de travailler à mobiliser tous les élèves sur les savoirs, on se résigne petit à petit au darwinisme scolaire systématique : les déversoirs sont là pour récupérer les inadaptés ! «
A terme c’est l’identité professorale qui est atteinte. » Monsieur le Ministre, votre politique décourage les enseignants parce qu’elle met à mal leur identité de « professeurs ». Dans un système où le libéralisme et la technocratie s’associent de plus en plus pour permettre le développement des stratégies individuelles de « réussite », les enseignants sont réduits à des dépisteurs, à des orientateurs, voire à des douaniers… eux qui ont la vocation de « passeurs » chevillée au corps. Résultat : le moral des troupes est au plus bas partout et les enseignants du primaire sont, eux, « au fond du trou » ». Le résultat c’est la forte mobilisation des enseignants du primaire.
P. Meirieu invite le ministre à organiser des Etats généraux de l’éducation. « Plus encore que d’ « États généraux du lycée », c’est de véritables « États généraux de l’Éducation » dont nous avons besoin, afin de remettre à plat l’ensemble des projets éducatifs du gouvernement, de construire une véritable alternative républicaine cohérente…, clarifiant les responsabilités de chaque partenaire…, afin de dégager des principes d’actions sur lesquels s’adosser pour penser notre avenir. Il faut cesser de juxtaposer des réformes dictées par le seul souci de réduire l’importance de la fonction publique, de faire des économies à court terme ou de satisfaire tel ou tel lobby proche du pouvoir. Il faut se demander à quelles conditions nos enfants peuvent affronter sereinement le monde, en comprendre les problèmes et construire ensemble une société plus solidaire… Y êtes-vous prêt Monsieur le Ministre ? »
Lettre ouverte de P. Meirieu
http://www.meirieu.com/nouveautesblocnotes.htm