Pour le Café pédagogique, et à l’occasion du Salon du livre de Montreuil, l’écrivaine Marie Desplechin revient sur un atelier d’écriture consacré à l’amour. A l’initiative de la coordinatrice d’un réseau d’éducation prioritaire, elle a mené ce projet avec des élèves de CM2 et de 6ème. L’écrivaine nous parle de sa démarche avec l’équipe pédagogique et avec les élèves qu’elle veut mener vers le processus libérateur de l’écriture.
Marie Desplechin décrit le travail sur les émotions qui relie les mondes des élèves et des adultes. En effet, pour elle, la littérature enseigne « l’universalité de l’expérience humaine ». Écrire est « un lâcher-prise, un retour à soi, une inquiétude et un don » nous dit-elle en formulant le vœu que chaque enfant « découvre ainsi à quel point il est singulier, et possède à sa manière singulière le pouvoir d’émouvoir. »
Quand Céline Vallée [la coordonnatrice d’un REP+ à Paris] m’a proposé d’animer un atelier d’écriture avec trois classes de CM2 (dont un CM1-CM2) et une sixième de son secteur, j’ai proposé le thème que j’avais adoré travailler avec des troisièmes de Stains-Pierrefitte, « Faites le portrait de quelqu’un que vous aimez ». Les enseignant.e.s ont adopté l’idée, et notre fil WhatsApp a été baptisé « Love ». C’est un détail qui dit beaucoup de notre implication d’adultes, car s’il est un domaine que nous n’avons jamais fini de découvrir et d’explorer, c’est celui-là, l’amour. Choisir d’impliquer des enfants dans une écriture de l’intime nous met à égalité avec eux. Nous espérons être surpris et émus, et nous savons que nous le serons. Il me semble que nous échappons alors à une sorte de malentendu pédagogique, au profit d’une attente artistique de révélation et de partage.
Chaque fois qu’il m’a été demandé d’animer un atelier, j’ai proposé d’écrire à partir d’une émotion (j’avais ainsi demandé à des quatrièmes de Pantin de raconter leur expérience de la violence, et c’était passionnant). Chercher et traduire l’émotion est la seule consigne que je nous impose. Je ne veux pas donner d’indication de longueur, de ton, ni (horreur) de mots à placer et autres « jeux » qui nous éloigneraient de l’expérience radicalement individuelle et libre de l’écriture.
Écrire, dans une démarche littéraire, n’est pas d’abord une affaire de technique. La technique vient en plus. C’est un lâcher-prise, un retour à soi, une inquiétude et un don. Je voudrais que chaque enfant en fasse l’expérience, et découvre ainsi à quel point il est singulier, et possède à sa manière singulière le pouvoir d’émouvoir.
Pour faciliter le travail, et lui rendre justice, je tape les textes après l’atelier, en leur restituant une orthographe, une ponctuation et parfois même une syntaxe qui les rendent lisibles. J’espère ainsi rendre concrète la nécessité du « bon usage » : Voyez maintenant comme votre texte est accessible ! Nous travaillons ensuite sur les textes imprimés, que je corrige après chaque séance.
Ne pas imposer de consignes formelles permet aux plus rétifs, aux moins confiants, d’entrer dans la proposition. À celui qui m’oppose qu’il ne peut pas écrire parce que « Je suis nul », je demande de commencer son texte par : « Je suis nul ». Et je lui dis, à raison, qu’il s’agit là d’un formidable début. Je pourrais multiplier les exemples, le texte suit toujours. Il a été « libéré », libérant dans le même temps l’enfant de sa honte et de sa crainte.
Il arrive, quand l’écriture est difficile au point d’en devenir impossible, que je demande qu’on me parle, et j’écris les premiers mots, les premières phrases qui me sont données. Je tente de prouver à l’enfant qu’il ou elle est légitime dans cet exercice. Nous nous arrangerons des obstacles techniques pour accéder à sa voix. C’est là que je vois ma place. D’abord apaiser, pour qu’il devienne possible d’accéder. Et ensuite reconnaître. Une écriture spontanée a ses bonheurs, et ils sont bien plus fréquents chez des enfants que chez les adultes, plus restreints, plus empesés. Je lis les textes avec une sensibilité exclusivement littéraire, et ils sont remplis de trésors. L’usage décalé d’un mot, la torsion d’une expression, l’élégante sincérité d’une phrase, tout cela relève peut-être d’une forme d’art brut mais n’en est pas moins très « réussi ».
Nous pouvons ensuite nous réjouir ensemble, grâce à une lecture à voix haute, de cette réussite, que j’explique, techniquement cette fois.
Bien sûr, puisque qu’il s’agit de parler de soi, et d’amour ce qui est pire, la pudeur vient entraver moins l’écriture que le partage de la lecture. Mon rôle consiste alors à donner la preuve que les émotions les plus profondes sont aussi paradoxalement les plus partagées. C’est aussi une leçon de littérature, j’imagine, qu’elle enseigne d’abord l’universalité de l’expérience humaine. Mais afin de lever les inhibitions, je finis généralement par suggérer qu’on se serve de pseudonymes pour la publication.
Tout au long de l’atelier, nous travaillons ensemble avec les enseignant.e.s, qui assistent les enfants dans un esprit d’écoute. Nous partageons la récompense de voir se révéler des personnalités, et des histoires parfois dissimulées sous le masque de « l’élève ». Il est arrivé plus d’une fois que des textes nous amènent au bord des larmes, et curieusement c’est toujours la source d’un grand bonheur.
J’espère qu’un atelier comme celui que nous avons vécu apprend aux enfants que cet exercice rébarbatif et stigmatisant que peut être l’écriture « scolaire » se révèle aussi une source d’apaisement et de fierté, et qu’elle mérite à ce titre qu’on s’y intéresse et qu’on y revienne. C’est en tout cas pour moi une expérience inoubliable, qui me laisse émerveillée et reconnaissante.
Marie Desplechin
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