M. Darcos, maître en
déclinologie
Par André Ouzoulias
Professeur à
l’IUFM de Versailles, Université de Cergy-Pontoise,
Département
PEPSSE (Philosophie, épistémologie, psychologie,
sociologie et sciences de l’éducation)
Dans toutes ses interventions, le ministre de
l’éducation
nationale utilise le même argument pour justifier son projet
de
nouveau programme pour l’école primaire : la
baisse des
performances des élèves français dans
les
évaluations internationales. Selon Xavier Darcos, elle doit
nous
conduire à réviser entièrement les
programmes de
l’école primaire, principaux responsables de ce
désastreux bilan. Concernant plus
précisément les
performances des élèves français, dans
un 7-10 de France-Inter
à la mi-avril, il a ainsi affirmé sans
être
contredit, que nous nous trouvions dans le « tout bas du
classement », tandis que, sur d’autres
médias, il a
indiqué que les résultats de nos
élèves
« se sont effondrés dans les dernières
années ». Dans le magazine
télévisé Ripostes du 20
avril dernier sur France
5,
il a évoqué sans être vraiment
contredit, là
non plus, « la chute continuelle depuis 2002 du niveau de
performances en compréhension écrite et orale des
élèves français ». Et lors
de la
présentation de la mouture prétendument nouvelle
du
projet de programme, le 29 avril, il a
répété que
son projet s’imposait face au « recul de notre
système éducatif dans les classements
internationaux,
notamment dans l’enquête PIRLS qui évalue les
compétences en lecture des élèves
âgés de 10 ans », ajoutant que
« la France ne
se situe, parmi les pays de l’Union européenne, qu’en fin de
classement, devant la Slovénie, la Pologne, l’Espagne, la
Belgique francophone et la Roumanie. »
Visiblement, cette
argumentation a
été concertée au plus haut niveau.
C’est ce
que suggèrent les propos du chef de
l’État lors de
son entretien télévisé du 24 avril
dernier, dans
lesquels il a repris presque mot pour mot ceux de Xavier Darcos,
jugeant aussi que celui-ci est « un excellent ministre
».
On attend du
Président de la
République et de tout ministre, tout
particulièrement du
ministre de l’éducation nationale, une
argumentation au
plus près des faits. Or, à moins que M. Sarkozy
et le
gouvernement ne disposent d’informations qu’eux
seuls
auraient en leur possession, on se demande quelles études ou
données objectives fondent ces appréciations
très
négatives portées sur
l’école
française. On nous dit que ce bilan est celui que peignent
les
évaluations internationales. Commençons donc par
examiner
les résultats de ces enquêtes1.
Les évaluations
internationales en lecture
Concernant la lecture, on
dispose des
résultats publics de plusieurs enquêtes
internationales,
dont certaines sont assez récentes. Liliane
Sprenger-Charolles,
directeur de recherche au CNRS, Université René
Descartes
(Paris), en a fait une analyse détaillée lors
d’un
séminaire à l’Institut National de la
Recherche
Pédagogique2
. Cette analyse donne une vision très différente
des
résultats des élèves
français et de leur
évolution au cours de ces 15 dernières
années.
Liliane Sprenger-Charolles
explore les
résultats d’enquêtes
réalisées en
1992, 2000, 2003 et 2006 qui donnent un recul d’une quinzaine
d’années, suffisant pour dégager une
tendance. Il
s’agit en fait de deux séries
d’enquêtes a
priori difficilement comparables, d’une part les
enquêtes
PISA réalisées par l’OCDE en 2000 puis
en 2003
auprès d’élèves de 15 ans
(scolarisés
en 2nde), d’autre part les enquêtes PIRLS
réalisées par l’IEA en 1992
auprès
d’élèves de 9-10 ans et de 14-15 ans,
puis en 2006
auprès d’élèves de 10-11
ans. Toutefois,
même ainsi, les résultats permettent de
répondre
aux deux questions principales : quelle est
l’efficacité
de l’école française en lecture et
comment a-t-elle
évolué ? De son analyse, ressortent les points
suivants.
a)
Si les
résultats français à PISA ont
très
légèrement baissé entre 2000 et 2003,
comme aussi
ceux des élèves finlandais, notons-le, cette
baisse
n’est pas statistiquement significative (quelques points sur
un
score total voisin de 500). Rien à voir avec un «
effondrement».
b)
En 2003, s’il
n’y a pas de quoi fanfaronner, les
élèves
français de 15 ans se situent dans la moyenne OCDE, aux
côtés de pays comme l’Allemagne,
l’Autriche,
la Norvège, la Suisse, les USA… bien au-dessus
donc du
« tout bas du classement ».
c)
Si l’on ne
prend pas en compte les élèves redoublants
(rappelons que
le taux d’élèves en retard
d’un an ou deux en
France au collège se situe autour de 12 %), qui ont
été inclus dans les enquêtes PISA 2000
et 2003 et
PIRLS 2006 (mais non dans PIRLS 1992), le score moyen des
élèves français est très
élevé. Par exemple, d’après
les
résultats de PISA (2000), la moitié de nos
élèves ont des scores égaux ou
supérieurs
à 560 points, soit 60 points au-dessus de la moyenne
internationale (= 500), ce qui les situe à peu
près au
même niveau que les élèves finlandais,
considérés comme les « champions
». De plus,
75 % des élèves « à
l’heure »
ont des scores supérieurs ou égaux à
520, la
proportion de ces élèves ayant des scores
inférieurs à la moyenne internationale
étant
très faible.
d)
Concernant la
dernière enquête PIRLS (2006), il existe divers
biais qui
perturbent sérieusement les comparaisons entre pays. Ainsi,
l’échantillon
d’élèves n’a pas
été construit partout de la même
façon : les
élèves français avaient huit mois de
moins que
ceux du Luxembourg, de Suède, du Danemark, de la Bulgarie et
des
USA, pays classés devant la France. Ce même biais
affecte
aussi la position relative des élèves
d’autres pays
comme l’Espagne, la Norvège, Israël et la
Belgique
(francophone).
De plus, 2/3 des
élèves
français ne parlent à la maison que le
français,
ce qui signifie qu’un tiers parle plus ou moins
systématiquement une autre langue et laisse donc penser que
près d’un tiers des élèves
de
l’échantillon français est
d’origine
étrangère. Or, pour plusieurs pays dont les
résultats sont situés au-dessus des
résultats
français (Belgique néerlandophone, Pays-Bas,
Danemark,
Angleterre…), il y a plus des 3/4 des enfants qui sont dans
cette situation (usage exclusif de la langue du test en famille).
Certes, le fait d’être bilingue n’est pas
en soi un
handicap, au contraire. Mais comme, en France, les enfants
d’origine étrangère appartiennent le
plus souvent
à des CSP dites défavorisées ou
très
défavorisées, on peut avoir de sérieux
doutes sur
la comparabilité des échantillons quant
à leur
composition sociale. Il faut noter aussi que, de PIRLS 1992
à
PIRLS 2006, le taux d’élèves de
l’échantillon français qui ne parlent
que le
français à la maison est étrangement
passé
de 91 % (proportion assez proche de la réalité)
à
66 % !
Enfin, dans PIRLS 2006, plus
de 6 % des
élèves ont été exclus des
évaluations dans divers pays classés devant la
France,
comme la Bulgarie, la Belgique néerlandophone, les Pays-Bas
et
le Danemark, contre moins de 4 % pour la France (on retire toujours des
sujets dont les caractéristiques « brouillent
» les
comparaisons, comme une longue maladie dans
l’année, une
arrivée récente de
l’étranger, une
déficience, etc.).
Au total, ces trois biais
dans la
construction de l’échantillon (âge,
langue
maternelle, taux d’exclus) se cumulent pour
pénaliser le
score des élèves français. Dans ses
analyses,
Liliane Sprenger-Charolles ne va pas jusque-là, mais il ne
serait pas absurde de penser que, dans ces conditions, la valeur
réelle exprimée par les résultats des
élèves français à PIRLS
2006 les met
plusieurs rangs plus haut dans le classement international et en
progrès sensible sur PIRLS 1992.
Un curieux support
d’évaluation…
Liliane Sprenger-Charolles a
également pris soin de donner
l’intégralité
d’un des textes qui ont servi de support à
l’enquête PIRLS 2006 (voir annexe
1).
Pour l’observateur avisé, il est frappant de
constater que
ce texte est un hybride de narration et d’écrit
documentaire. Or, il se trouve qu’en France, l’un
des axes
forts de la pédagogie de la lecture se marque
plutôt dans
une exposition à deux types d’écrits de
plus en
plus explicitement distingués tout au long de
l’école primaire : les récits et les
écrits
scientifiques (lesquels peuvent, localement, comporter un
récit). En revanche, qui connaît bien la
pédagogie
de la lecture dans les divers pays comparés dans cette
enquête, sait aussi que le type de texte qui a servi pour
cette
évaluation est habituellement utilisé
à
l’école dans les pays scandinaves et anglo-saxons,
qu’il s’inscrit dans leur tradition
pédagogique.
De plus, l’univers
de
référence de ce texte est familier à
de nombreux
élèves des pays du Nord de l’Europe.
Pour
apprécier l’intérêt de la
comparaison
effectuée par les enquêteurs de PIRLS 2006, il
faut savoir
qu’un élève ordinaire de 10-11 ans des
pays
scandinaves, des pays riverains de la Baltique,
d’Écosse,
d’Irlande ou d’Islande ne découvre pas
ici les
macareux. C’est un oiseau qu’il a
déjà vu
plusieurs fois dans des reportages
télévisés, dans
les pages de magazines pour la jeunesse, sur son manuel de SVT ou dans
des vidéos projetées en classe, voire au cours de
promenades le long de la côte. De plus, de nombreux
élèves de ces pays, avant de lire le texte,
connaissaient
déjà son thème principal (le premier
envol des
jeunes et ses risques), si bien que, pour plusieurs questions
posées à la suite du texte, il leur suffisait de
mobiliser leurs connaissances et leurs souvenirs sans même avoir
à lire le texte.
Il aurait
été normal que
l’on choisisse un univers de référence
plus neutre.
Que dirait-on si, pour une prochaine enquête, les
organisateurs
utilisaient par exemple un texte portant sur la culture de
l’olivier et la fabrication de l’huile
d’olive et si,
au bout du compte, on s’apercevait que les
élèves
espagnols, italiens et grecs de 10-11 ans ont des résultats
bien
supérieurs à ceux de tous les autres pays ?
Enfin, pour les
élèves
francophones de 10-11 ans, l’emploi de certains termes
utilisés dans la traduction française (scrute,
désorienté, aux aguets, ressac…)
pouvait rendre la lecture du texte difficile ici ou là,
alors
que ses versions dans plusieurs autres langues utilisent
peut-être un vocabulaire plus accessible. Mais, surtout, il y
a
de quoi être intrigué par diverses
particularités
de construction du texte :
• Le premier mot du
récit (après le chapeau) est Halla.
Il peut créer un trouble chez certains
élèves
français qui pourraient le rapprocher du nom du dieu des
musulmans…
• Halla murmure le
mot lundi,
qui veut dire macareux en islandais. Et mardi, se demandent
peut-être nos élèves,
qu’est-ce que cela veut
dire en islandais ? Ils auraient sans doute été
moins
perplexes s’ils avaient lu que Halla murmure le mot loundi, ce qui, en
outre, aurait constitué une transcription plus pertinente de
la prononciation islandaise.
• Pour comprendre le
troisième
paragraphe, les lecteurs doivent inférer que deux individus
se
sont d’abord accouplés, que la femelle a pondu un
œuf et que le couple a couvé cet œuf un
certain
temps (le mot couver
n’est d’ailleurs pas
utilisé)… Mais cet œuf
sert ensuite de point de départ à une superbe
série de substituts, presque idéale pour une
séquence d’enseignement sur les
problèmes de
compréhension en lecture : les petits des macareux
s’appellent d’abord des poussins (que les
élèves francophones considèrent
habituellement comme les petits de la poule), puis des oisillons, des jeunes, des petits, des oiseaux…
Vers la fin, le texte parle aussi des protégés
d’Halla.
• Le texte dit, dans
le 3e
paragraphe, que « les parents rapporteront du poisson au nid
pour
nourrir les oisillons », mais les traducteurs ont aussi
laissé dans l’implicite qu’il
s’agit des parents
des oisillons alors que ce terme parents,
sans complément, est le plus souvent
interprété
autrement par les élèves de CM
français. Quelques
uns auront peut-être hésité :
s’agit-il des
parents d’Halla et de ses amis ? Il faut attendre la phrase :
« Pendant tout l’été, les
macareux adultes
vont à la pêche … »3,
qui vient un peu plus loin, pour inférer ce que savent
dès le départ la plupart des enfants de
l’Europe du
Nord : les macareux sont des oiseaux pêcheurs. En fait, ils
plongent assez profondément dans la mer et, un peu comme les
manchots, chassent en nageant en groupe, parvenant ainsi à
attraper une grande quantité de petits poissons, avec
lesquels
ils nourrissent leurs petits.
• Le nid dans lequel
se développent les macareux s’appelle
d’abord un terrier
(plutôt utilisé d’ordinaire pour
désigner
l’habitat d’animaux terrestres comme les renards),
puis un nid,
un abri,
etc. On peut faire ici, à propos de cette autre
chaîne de substituts, la même remarque que
ci-dessus.
On le voit, surtout dans son
début,
ce récit est parsemé de chausse-trappes pour
élèves francophones, pas si faciles à
repérer pour les moins assurés d’entre
eux dans la
compréhension en lecture. Or, le début
d’un texte
est crucial pour sa compréhension.
En somme, qu’il
s’agisse de
l’échantillon
d’élèves, du type de
texte, de son univers de référence ou de sa
construction,
rien ne pouvait favoriser un bon score des enfants français.
Et
pourtant, les résultats ne s’effondrent
pas… Et
pourtant, les élèves français ne sont
pas «
dans le tout bas du classement ». Et pourtant, ils lisent !
Qu’ils obtiennent dans de telles conditions les
résultats
que PIRLS 2006 leur attribue, il n’y a pas de quoi se couvrir
de
cendres…
Il ne serait pas difficile,
hélas,
de montrer que, trop souvent, les supports franco-français
pour
les évaluations en lecture souffrent
d’imperfections
similaires. Ainsi, pour l’évaluation des
élèves de CE1 en septembre 2007, les livrets
fournis par
le ministère proposent une épreuve
présentée comme discriminante : sur une page
comportant
une vingtaine de mots illustrés (voir annexe 2), on demande
aux
enfants de barrer « les mots qui sont mal écrits
».
Ce cas est exemplifié avec le mot douche
associé à l’image d’une
bouche. Admettons que
les auteurs auraient pu, plus judicieusement, proposer un exemple tel
que pouche,
vouche ou bonche
pour faire comprendre ce qu’est « un mot mal
écrit
». De plus, parmi les items proposés, il y a le
mot cassette,
que de nombreux enfants ont barré parce qu’ils ne
le
connaissaient pas. Beaucoup ont également barré
le mot voilier,
expliquant ensuite : « parce que ce n’est pas
écrit
bateau ». De même, beaucoup ont barré,
à
tort, le mot fruit,
« parce que c’est du raisin » et le mot lampe
« parce que c’est une pile ». Pour une
grande part,
on a donc évalué ici le lexique des
élèves
et non leur capacité à lire des mots
isolés. On se
demande comment ce qui semble évident aux enseignants de CP
et
de CE1 n’a pas été perçu par
les auteurs de
ces supports, ni par les cadres du ministère qui les ont
validés avant leur impression à 850 000
exemplaires…
Si les protocoles
d’évaluation des traitements médicaux
étaient réalisés aussi peu
scrupuleusement que les
évaluations nationales ou internationales de la lecture,
chacun
sait bien que cela pourrait avoir des conséquences graves
sur la
santé. Mais en matière
d’évaluation de la
lecture, il semble qu’on puisse se permettre des
légèretés qui frisent
l’amateurisme.
En maths et en sciences, est-ce
« l’effondrement » ?
Dans ces deux domaines, des
comparaisons
internationales ont été
réalisées à
travers les enquêtes PISA en 2000, 2003 et 2006 avec des
élèves de 15 ans, mais avec des
épreuves de
conception très différentes dans ces trois
vagues, qui
rendent difficiles les comparaisons d’une vague à
l’autre. Les résultats de PISA 2006 sont
présentés dans la Note d’information
de la Direction de l’évaluation, de la prospective
et de
la performance du ministère de
l’éducation
nationale (DEPP), en date du 8 janvier 2008. La DEPP montre que les
résultats français ont un peu fléchi,
comme ceux
de pays aussi différents sur le plan pédagogique
que les
USA, les Pays-Bas, la Slovaquie, la République
Tchèque,
la Suède ou l’Espagne (les scores moyens de la
plupart des
autres pays se tassent aussi, quoique de façon moins
marquée). Mais ces résultats continuent
à situer
les performances de l’école française
dans la
moyenne de l’OCDE, autour de laquelle se concentrent les deux
tiers des pays. Il faut noter aussi que le fléchissement
moyen
des résultats français n’est pas
principalement
dû à une baisse générale des
performances,
mais à une augmentation sensible et préoccupante
du
pourcentage des élèves les plus faibles. Cet
aspect des
résultats a été notamment
souligné par
Bruno Suchaut, directeur de l’IRÉDU (Institut de
Recherche
en Économie de l’Éducation).
Toutefois, rien
n’est
précisé sur la façon dont les
échantillons
ont été formés et la note de la DEPP
ne fournit
pas les supports d’évaluation. Or, comme nous
venons de le
voir avec les évaluations PIRLS et les analyses de Liliane
Sprenger-Charolles, « le diable gît dans les
détails
». Ainsi, il y a de quoi s’interroger sur les
brutaux
changements de position de divers pays qui, de 2003 à 2006,
gagnent ou perdent un grand nombre de places en gagnant ou en
perdant… une vingtaine de points (pour un score total voisin
de
500).
En tout cas, là
non plus,
s’il n’y a pas de quoi fanfaronner, on ne peut pas
parler
de « tout bas du classement », là non
plus on ne
peut pas parler de « chute continuelle depuis 2002
»,
encore moins « d’effondrement
». Et quoi
qu’il en soit, si on veut expliquer l’augmentation,
entre
2000 et 2006, de la proportion des élèves les
plus
faibles dans les domaines de la culture scientifique et
mathématique dans ces évaluations PISA, on ne
peut pas
incriminer les programmes de 2002 de l’école
primaire.
Comme le rappelle Philippe Joutard, le recteur qui a
présidé à la rédaction des
programmes de
2002, les élèves de PISA 2006, qui avaient 15 ans
au
moment de l’enquête, ont fait toute leur
scolarité
primaire avec les programmes antérieurs.
Il faut relativiser les
performances finlandaises
Toujours en
prétendant
s’appuyer sur les évaluations internationales, M.
Darcos
compare souvent la Finlande et la France, notamment pour dire que nous
pourrions aisément diminuer le nombre d’heures
d’enseignement sans grand dommage, puisque les
élèves finlandais ont de bien meilleurs
résultats
avec moins d’heures d’école. On sait en
effet que,
dans les évaluations internationales, depuis une quinzaine
d’années, les élèves
finlandais sont
constamment situés « dans le haut du tableau
», tant
en lecture qu’en mathématiques. Mais peu de
commentateurs
soulignent certaines spécificités qui expliquent
une
grande part de ces résultats. Concernant la lecture, une
spécificité bien connue des linguistes est la
régularité du système
d’écriture du
finnois : il y a 26 phonèmes dans cette langue, dont 8
voyelles
(contre 37 phonèmes dont 16 voyelles en français)
; il y
a 26 lettres dans l’alphabet finnois courant ; chaque
phonème est toujours représenté par
une même
lettre et une seule4.
Si on écrivait le français sur ce
modèle, les mots auraient cette allure : bato (et non bateau), méri (et
non mairie),
kok (et non
coque ou coq), jigo (et non gigot),
etc. Pour ainsi dire, le finnois ne connaît donc pas
d’autre orthographe que la graphophonologie. On ne peut
guère rencontrer système
d’écriture plus
transparent. Et pratiquement, il suffit aux enfants de
connaître
les lettres de l’alphabet pour savoir déchiffrer.
C’est si vrai que 75 % des élèves
savent
déchiffrer avant d’entrer à
l’école
élémentaire (ils y entrent à 7 ans et
non à
6 ans comme en France). La plupart des autres y parviennent lors du
premier mois d’école, à travers un
module
adapté. Très vite, dès le
début de la
scolarité élémentaire,
l’enseignant peut
donc se concentrer sur la compréhension des textes5.
En outre, deux disciplines
sont inconnues
à l’école primaire finlandaise :
l’orthographe (on vient de voir pourquoi) et la grammaire (la
langue marque dès l’oral les cas, les genres et
les
nombres) et l’on peut donc économiser le temps que
l’on emploie à étudier ces aspects de
la langue
écrite dans des écritures plus
morphémiques comme
le français (133 graphèmes + une morphosyntaxe
purement
visuelle) ou l’anglais (plus de 1 000 graphèmes !).
Mais ce n’est pas
tout. Les
élèves finlandais sont aussi avantagés
par la
façon dont se disent les nombres dans leur langue. Si on
traduisait littéralement en français la suite des
mots-nombres finnois de 11 à 19, on dirait «
dix-un,
dix-deux, dix-trois… »
jusqu’à «
dix-neuf » (en français cette
régularité ne
commence qu’à « dix-sept »).
Et si on
traduisait littéralement la série des
mots-nombres qui
disent 20, 30, 40 … 90, on dirait « deux dix,
trois dix,
quatre dix … neuf dix ». Traduisons maintenant de
façon littérale le nombre finnois qui dit 35 :
«
trois dix cinq » ; … celui qui dit 71 :
« sept dix
un » ; … celui qui dit 80 : « huit dix
». Il
n’est guère étonnant, dès
lors, que les
enfants finlandais entrent à l’école
élémentaire en sachant pour la plupart compter,
lire et
écrire les nombres jusqu’à 99 : la
régularité de la comptine la rend facile
à
engendrer et le couplage entre numération orale et
écriture chiffrée est quasi immédiat.
Des études
interculturelles ont
montré que les enfants des pays d’Asie (Japon,
Corée, Chine, etc.), où l’on dit les
nombres de
cette façon très régulière,
voyaient leurs
apprentissages considérablement facilités dans
trois
domaines essentiels : la compréhension de la
numération
décimale de position, le calcul mental de
l’addition et de
la soustraction sur les petits nombres, le calcul mental de
l’addition sur les nombres à deux chiffres.
L’avance
que procure cette transparence aux enfants de ces pays, par comparaison
avec les enfants états-uniens anglophones, a même
été estimée assez
précisément : si
on prend pour référence le niveau de performance
que les
enfants des pays d’Asie atteignent dans ces domaines en fin
de
CP, les enfants états-uniens n’y
accèdent
qu’entre la fin du CE2 et le milieu du CM16
! Il apparaît aussi que cette facilité dans
l’apprentissage du calcul mental donne un avantage important
dans
la résolution de problèmes numériques.
Il
n’y a aucune raison de penser que ce
phénomène
n’existe pas dans les autres pays comme la Finlande,
où
les enfants peuvent s’appuyer sur une même
régularité et une même transparence.
À niveaux de
développement
économique et de scolarisation équivalents, ces
facteurs
(transparence de la langue écrite,
régularité de
la numération orale) sont probablement plus importants que
d’autres habituellement invoqués
(homogénéité sociale, taille des
groupes,
conception de l’enfant en développement, relation
maîtres-élèves, équipement
matériel,
etc.), pour rendre compte des meilleurs résultats en lecture
ou
en arithmétique élémentaire.
C’est bien ce
que semble montrer la forte stabilité des classements
internationaux en lecture et en mathématiques pour
« le
haut du tableau » où l’on retrouve
régulièrement des pays aussi
différents sur le plan des traditions pédagogiques
: la Finlande, le Japon, la Corée, la Hongrie, …
N’en
déduisons pas que
l’homogénéité sociale, la
taille des
groupes, la conception de l’enfant, la relation
maîtres-élèves,
l’équipement
matériel ou d’autres facteurs plus
spécifiques
soient sans importance. Nathalie Mons, maître de
conférences en sciences de l’éducation
à
l’Université de Grenoble II a pu montrer7
par exemple, que, toutes choses égales par ailleurs, les
pays
dans lesquels les choix majeurs sont guidés par
l’idéal d’une éducation
démocratique
et d’un service public de qualité
(plutôt que par le
pari sur la concurrence et la mise en place précoce de
filières) ont des meilleurs résultats et que cela
bénéficie non seulement aux
élèves les plus
faibles mais également aux élèves les
plus
avancés : les élites aussi ont
intérêt au
collège unique.
Que disent les
évaluations nationales ?
On peut
également aborder la
question de l’évolution des résultats
obtenus par
les élèves français à
partir des
enquêtes nationales. Dans ce domaine, la comparaison entre
élèves de même niveau
d’enseignement, pour la
même tâche exactement, à plusieurs
années de
distance, est d’évidence une méthode
tout à
fait fiable. C’est ainsi qu’en 2007, deux
spécialistes de l’orthographe, Danièle
Manesse et
Danièle Cogis, ont publié un ouvrage sur les
performances
des élèves du collège8.
Elles montrent que les résultats obtenus à une
même
dictée, qui n’avaient pratiquement pas
bougé entre
1873 et 1987, ont baissé de
l’équivalent de deux
niveaux d’enseignement entre 1987 et 2005 : les
élèves de 5ème font en 2005 le
même nombre
d’erreurs que ceux de CM2 en 1987. Toutefois ce recul affecte
principalement l’orthographe grammaticale (accords en S et
ENT
pour le pluriel, terminaison des verbes en ER ou en É,
etc.),
bien moins l’orthographe lexicale (qui, par exemple, permet
de
distinguer seau, saut, sceau et sot). Tout récemment, une
« note d’alerte » de la DEPP
débouchait sur
les mêmes conclusions (voir l’article de Luc
Cédelle
dans Le Monde
du 29 mars
2008). Il y a donc ici un vrai affaissement des performances, qui
s’est produit dans les vingt dernières
années.
Lors de la
présentation de la
deuxième mouture de son projet, le ministre a
évoqué cette étude. Pourtant, comme le
recul
concerne surtout l’orthographe grammaticale, ce
phénomène peut apparaître
très secondaire si
l’on considère que l’essentiel est la
compréhension et l’autonomie en lecture ainsi que
la
capacité à produire des textes. Certains
didacticiens ou
linguistes soutiennent aussi qu’un
désinvestissement de
l’orthographe à l’école
était le prix
à payer pour développer des connaissances plus
décisives dans le domaine de la compréhension en
lecture,
dans l’appropriation de la littérature, dans
l’écriture des textes scientifiques. Le temps
passé
dans ces domaines a été pris sur
l’orthographe,
mais la hiérarchisation des priorités
était juste.
Ce point de vue peut paraître pertinent au regard des
évolutions de ces vingt dernières
années :
l’orthographe est de plus en plus
considérée comme
un savoir-faire superficiel, exprimant de moins en moins une norme
sociale partagée, comme le montre
l’écriture des
SMS, minoré par la puissance et l’ergonomie des
correcteurs orthographiques associés aux outils
d’écriture informatisés.
Faiblesse en orthographe : risque
pour… la lecture
D’autres, dont je suis,
considèrent que cette baisse des performances en orthographe
doit alerter les enseignants du primaire, car non
seulement elle est
mesurée par des études irréprochables,
mais elle
est très significative et elle commence à
atteindre
l’orthographe lexicale. Or, l’orthographe est
déterminante… en lecture ! Si on ne fait pas la
différence entre on
et ont,
entre sept
et cette,
entre toi
et toit,
etc. (orthographe lexicale), et si on ne distingue pas entre elle chante et elles chantent (orthographe
grammaticale), c’est le sens qui est atteint. En fait, les
débats sur l’orthographe sont
généralement
biaisés car la question y est abordée, presque
toujours,
sous le seul angle de l’écriture. Or, le
développement des connaissances orthographiques est ce qui
rend
compte le mieux du développement des habiletés
dans le
traitement des marques écrites. La « voie directe
»
dans la reconnaissance des mots, en effet, c’est la
«
lecture orthographique », car c’est le
même «
dictionnaire mental », la même mémoire
orthographique, qui sert à
la fois à produire l’orthographe des mots en
écriture et à lire par la voie directe.
Dès lors, un enfant de CE2 qui écrit : Mintenent je vé a ma
mézon, risque, en lecture, de ne pas
reconnaître immédiatement les mots maintenant, vais, maison,
pourtant très fréquents, et de devoir les
déchiffrer, avant de pouvoir en retrouver la signification
en
écoutant le fragment sonore ainsi produit. Et si, de
surcroît, sur les mots maintenant ou maison, il commence par
se
dire [ma] (ou [va] sur vais)
en fusionnant les phonèmes représentés
par les
deux premières lettres… il risque même
de ne pas
pouvoir réussir ce déchiffrage.
«
Apprendre à orthographier, c’est-à-dire
apprendre à lire… »,
dit très justement Laurence Rieben, professeur honoraire
à l’Université de Genève.
Les enseignants le
savent : les élèves qui ont une bonne orthographe
en
production sont rarement faibles en compréhension en
lecture.
C’est bien ce que semble établir, avec une
méthodologie originale pour ce domaine, une
récente
étude de Bruno Suchaut et Sophie Morlaix9,
faisant état d’une forte corrélation
entre
connaissances orthographiques en production à
l’entrée au CE2 et performances en
compréhension en
lecture à l’entrée en 6ème.
Toutefois, il n’est
pas certain que
la baisse des performances constatée en orthographe soit
seulement l’effet d’une réduction du
temps
d’enseignement, comme l’avancent Danièle
Manesse et
Danièle Cogis. Il se pourrait aussi qu’un
enseignement
plus précoce et plus systématique des
correspondances
graphèmes-phonèmes au CP depuis plusieurs
années,
ainsi que l’encouragement officiel à
écrire «
avec les oreilles » tout au long du cycle 210
ait
entravé l’acquisition de l’orthographe.
Quand de
nombreux enfants se convainquent, lors des apprentissages de base,
qu’en lecture il faut décoder et qu’en
écriture il faut encoder, on les amène
à penser
que l’orthographe est une norme arbitraire,
extérieure
à la signification des mots. Faut-il
s’étonner si
le niveau baisse dans ce domaine ? Et faut-il
s’étonner
si, en même temps, dans la compréhension en
lecture,
l’étude de la DEPP marque « une baisse
significative
du score moyen entre 1997 et 2007 », plus marquée
pour les
élèves les plus faibles (cf. l’article
du Monde,
déjà cité) ?
Le projet de programme
permettrait-il
alors de remédier à la baisse de
l’efficacité de l’école
primaire dans le
domaine de l’orthographe ? On peut
sérieusement en douter
quand on voit qu’un accent encore plus fort y est mis sur les
relations graphèmes-phonèmes et que les
enseignants sont
fortement incités à suivre les étapes
d’enseignement des méthodes
synthétiques pures : on
introduit les graphèmes non selon leur fréquence,
ni en
partant de leur accessibilité phonologique (en
commençant
par exemple par les consonnes fricatives telles que r, z, j, v, ch, s,
f plutôt que par les occlusives p, t, k, b, d, g), encore
moins
en partant des remarques des élèves, mais en
commençant par les graphèmes d’une
lettre, avant
d’introduire les bigrammes (ou, on, an, in, oi,
…), puis
les trigrammes (ain, ein, ill, oin, ion, ien, …). Dans toute
la
1re phase d’apprentissage (jusqu’en janvier au CP),
les
élèves sont ainsi plongés dans un
univers
artificiel : ils lisent et écrivent papa ou tata, mais pas maman
à cause du an
; lama,
mais pas lapin
à cause du in
;
moto, mais
pas voiture
à cause du oi
; je, tu et il, mais
surtout pas nous,
vous et ils à
cause du ou
et du s qui
ne se
prononce pas… C’est une écriture sans
véritable orthographe, qui leur laisse penser que le
système du français est transparent, sur le
modèle
du finnois (un phonème → une lettre ; une lettre
→ un
phonème).
Pour conclure sur la question
de
l’orthographe et de la compréhension en lecture,
les
résultats des enquêtes françaises ne
montrent pas
un « effondrement des performances » en
orthographe
lexicale ni en compréhension en lecture.
Néanmoins, la
chute effective en orthographe grammaticale et l’amorce
d’une baisse en orthographe lexicale auraient
justifié de
clarifier les recommandations faites en 2002 aux enseignants quant
à l’étude de la langue, au moins pour
préciser quelles compétences sont attendues en
fin de
cycle 2 concernant l’orthographe lexicale, en
cohérence
avec la lecture « directe » des mots les plus
fréquents, et quelles compétences, attendues en
fin de
cycle 3, nécessitent des activités de
systématisations, notamment dans l’analyse de
phrase et
l’orthographe grammaticale. Mais tel n’est pas le
ressort
du projet de programmes présenté le 20
février.
S’il est promulgué tel quel dans le domaine de
l’enseignement de la lecture, il conduira à une
aggravation des difficultés des élèves
les plus
faibles et à une nouvelle baisse
générale du
niveau des performances en orthographe lexicale et,
conséquemment, en lecture.
Et le calcul ?
Dans le domaine du calcul,
l’étude de la DEPP de 2007 indique, selon Luc
Cédelle,
« une baisse importante des performances moyennes
entre 1987 et 1999, suivie d’une baisse
légère et
peu significative jusqu’en 2007 ».
Comme la diminution de
l’efficacité de l’école dans
ce domaine
s’est produite avant la promulgation des programmes de 2002,
on
ne voit pas ce qui motive le bouleversement complet que le ministre
veut introduire. Du reste, le journaliste du Monde conclut son
papier
en indiquant que «
le détail des résultats ne
semble pas mettre en cause les programmes du primaire de 2002
».
Il faut rappeler toutefois
que peu de
responsables au fait de ces sujets ne contestaient
l’idée
que les programmes de 2002 et leurs documents d’application
étaient perfectibles dans le domaine des
mathématiques.
Qu’il faille en réexaminer plusieurs dispositions,
qu’il faille mieux cerner les articulations entre
apprentissage
du calcul et réussite dans la résolution de
problèmes numériques, plusieurs chercheurs
l’avaient déjà affirmé lors
des
débats de 2006-2007 sur le calcul à
l’école
(voir par exemple les prises de position d’un psychologue
comme
Rémi Brissiaud11
ou d’un didacticien comme Alain
Mercier12
).
Là encore,
s’il n’y a
pas de quoi fanfaronner quant aux résultats de notre
école, rien ne permet d’affirmer que les
programmes de
2002 sont responsables d’un désastre et rien ne
justifie
la « révolution culturelle »
annoncée par le
ministre (discours de Périgueux, le 20 février
2008). Le
projet de programmes que le ministre défend, loin de
s’inscrire dans cette voie d’une
réévaluation
de certains choix de 2002, fait table rase des connaissances
construites par les praticiens et les chercheurs en didactique et en
psychologie des apprentissages mathématiques depuis des
dizaines
d’années. Rémi Brissiaud, ici
même, va
jusqu’à dénoncer « un
véritable
cataclysme qui s’abat sur la communauté scolaire
française » .
Combien
d’élèves en grande
difficulté ?
Un autre argument,
très souvent
avancé par M. Darcos, est l’importance
numérique
des élèves en grande difficulté
scolaire en
France. Ainsi, lors de l’émission de France-Inter
déjà citée, il a affirmé
que « 150
000 jeunes sortent chaque année du système
scolaire sans
qualification ». Il reprend là les
chiffres
calculés «
sur la base de la classification internationale
des types de l’éducation (CITE), selon laquelle un
élève est réputé
qualifié s’il
a achevé avec succès le cycle de formation : en
référence à cette classification
(…), ce
sont 150 000 à 160 000 jeunes par an qui sortent sans
qualification : tous ceux qui n’ont ni CAP ni BEP ni
baccalauréat (qu’ils aient interrompu en
4ème ou
poursuivi leurs études jusqu’à la fin
d’une
classe terminale)14
».
Notons d’abord que ces chiffres
français se situent — encore une fois —
dans la
moyenne internationale. C’est par exemple ce que
précise
le rapport officiel cité ci-dessus. Mais les
critères
utilisés font par exemple qu’un lycéen
qui a le DNB
(Diplôme national du brevet, anciennement Brevet des
collèges), a été admis en terminale
scientifique
mais a échoué au baccalauréat, fait
partie de ces
150 000 jeunes « sans qualification ».
Or, si l’on adopte
les
critères que le ministère lui-même
utilise
habituellement en distinguant qualification et diplôme,
«
le chiffre total des jeunes sortant sans qualification, avec ou sans le
DNB, est ainsi évalué (…) à
60 000 (47 000
sans diplôme et sans qualification et 13 000 sans
qualification
mais avec le DNB)15».
De plus, si l’on
étudie
l’évolution des données dans le temps, le
phénomène marquant est la diminution progressive
et
sensible de la proportion de sortants non qualifiés.
Dans une
note d’information officielle du Ministère, datant
du 5
janvier dernier (voir annexe 3),
les auteurs écrivent :
« Au milieu des années 70, parmi les 760 000
jeunes
sortant de formation initiale, 170 000 jeunes quittent le
système éducatif sans un niveau de qualification
reconnue
par la loi, c’est-à-dire avant d’avoir
atteint
l’année terminale de CAP ou de BEP, ou la classe
de
seconde générale ou technologique : ce sont des
sortants
« sans qualification ». En juin 2005, trente ans plus
tard,
on recense 42 000 jeunes métropolitains dans cette
situation,
soit une baisse considérable de 75 %. La
baisse est très
rapide jusqu’en 1990, elle ralentit ensuite tout en restant
soutenue (…). Au sein d’une
génération, la
part des élèves
déscolarisés de
manière précoce diminue aussi fortement entre
1975 et
2005 : elle passe de 25 % à 6 %. » On
peut faire mieux et
il le faut, indéniablement. Mais pourquoi le ministre
peint-il
un tableau si éloigné de la
réalité ?
Dans le même
registre noir
foncé, dans Libération du 17 avril, Alain
Bentolila,
écrit : «
Vingt pour cent des élèves
quittent notre système scolaire sans le moindre
diplôme ;
vingt autres pour cent en sortent avec un CAP (certificat
d’aptitude professionnelle) ou un BEP (brevet
d’enseignement professionnel) qu’ils auront
décrochés par défaut. En bref,
quarante pour cent
de nos élèves sont en échec total ou
partiel
après douze années d’études
».
On se demande comment, dans
ces
conditions, le ministère peut dénombrer plus de
60 % de
bacheliers dans la classe d’âge et plus de 70 % de
cette
classe d’âge au « niveau bac »
(rappelons que
l’objectif de la Loi d’Orientation de 1989,
considéré encore aujourd’hui comme trop
ambitieux
par les soutiens du ministre, était de « 80 % de
la classe
d’âge au niveau bac », que cet objectif
est
déjà atteint dans certaines académies
et, au plan
national, est largement dépassé pour les enfants
des
classes supérieures).
On se demande aussi comment
l’auteur
de cette tribune peut s’accorder avec le même Alain
Bentolila qui, en 1996, présentait dans un
livre les
résultats des évaluations en lecture
conçues sous
sa responsabilité et réalisées
auprès des
conscrits par le ministère des armées . On lit,
page 20
de ce livre (voir
l’annexe 4) : «
Depuis 1990, les chiffres
que nous avons obtenus chaque année n’ont
varié que
dans des proportions insignifiantes. De façon constante, on
peut
ainsi affirmer que 8 % des jeunes adultes français, quel que
soit leur niveau de scolarité et de diplômes, sont
incapables d’affronter la lecture d’un texte simple
et
court. » Dans le même passage, il est dit que 80 %
des
jeunes de 18 ans « ont la capacité de lire un
texte de
façon approfondie ». Où se trouvaient alors
les
« 40 % des élèves en échec
total ou partiel
» ? La proportion « des
élèves en
échec total ou partiel » aurait-elle
gonflé de 20 %
à 40 % depuis la disparition du service militaire ? Est-ce
là « l’effondrement » dont
nous parle M.
Darcos ?
Qu’il faille
accorder une attention
prioritaire aux élèves les plus en
difficulté,
tout le monde en convient. Mais
pourquoi exagérer soudain ces
difficultés, si l’on souhaite vraiment aider
l’école à les prévenir ? Avant
de sonner le
tocsin, il faudrait s’accorder sur la
réalité du
phénomène, sa nature et son étendue
effective.
De ce point de vue, on peut
s’étonner du peu de cas qui est fait des
données
très fiables produites par le Ministère des
Armées, avec les évaluations des
JAPD (Journées
d’appel de préparation à la
défense),
conçues en collaboration avec la DEPP et sous le
contrôle
scientifique d’universitaires comme Jean-Émile
Gombert.
Ainsi, dans une note d’information du 25 mai 2007, les
auteurs indiquent qu’à l’issue
des
évaluations réalisées en 2006, 78,7 %
des jeunes
se révèlent être des «
lecteurs efficaces ou
très efficaces » ; ils donnent des informations
très précises sur la nature des
difficultés des
9,6 % de « lecteurs médiocres », sur
celles des 6,9
% de jeunes qui ont de « très faibles
capacités de
lecture » et des 4,8 % qui ont des «
difficultés
sévères ». Ils attirent aussi notre
attention sur
un dimorphisme sexuel : « le pourcentage de jeunes en grande
difficulté est très différent selon le
sexe : 14,8
% des garçons contre 8,5% des filles » (et
pourtant,
filles et garçons ont appris à lire dans la
même
école, avec les mêmes programmes et les
mêmes
méthodes) .
Le ministre pourrait aussi se
servir des
enquêtes IVQ (Information et vie quotidienne) conduites par
l’INSEE en 2002 et 2004, qui donnent des chiffres
très
voisins . Pourquoi le ministre n’utilise-t-il pas de telles
informations ? Cela permettrait pourtant de regarder les programmes,
les pratiques, la recherche et la formation des maîtres avec
un
œil critique plus fécond. Cela aiderait vraiment
les
maîtres à mettre en œuvre des
modalités
d’enseignement visant à prévenir ces
difficultés tout au long de la scolarité.
Le coût de
l’école
Par ailleurs, contrairement
aux
affirmations réitérées de M. Darcos , il
n’est pas exact que le coût de
l’école
française soit « l’un des plus
élevés
d’Europe » ni que « les
dépenses se sont
envolées ces dernières années
».
Comme l’indiquait
ici même
Antoine Fetet , la
France se situe dans la moyenne internationale pour
le coût par élève. Il
s’appuyait sur les
chiffres publiés par le ministère dans une
étude
de la DPD , qui compare 17 pays développés. On y
observe
ainsi que, pour le
« préprimaire », la
dépense par élève de la France est
exactement dans
la moyenne et en neuvième position, pratiquement ex aequo
avec
la Finlande et les Pays-Bas. Pour le primaire, la dépense
française est, là aussi, exactement dans la
moyenne,
comme les Pays-Bas et la Finlande, ce qui nous situe au
douzième
rang. Pour l’enseignement supérieur, la France est
au
quinzième rang, juste devant l’Italie et
l’Espagne,
avec une dépense inférieure de 15 % à
la moyenne
de l’OCDE.
C’est seulement
pour
l’enseignement secondaire que le niveau de dépense
de la
France est plus élevé (de 20 %) que la moyenne de
l’OCDE, la classant au sixième rang sur les 17
pays
étudiés. Mais d’une part, la
durée normale
des études secondaires en France est supérieure
d’une année à celle de la moyenne des
pays de
l’OCDE et, d’autre part, c’est aussi un
prix que la
nation a voulu payer jusqu’ici pour maintenir des
collèges
de petite taille en zone rurale, pour développer un
enseignement
technologique et professionnel de qualité et pour maintenir
vivantes des options « stratégiques » :
langues
anciennes, langues étrangères autres que le
triptyque
anglais/espagnol/allemand, pratiques artistiques, filières
sport-études, filières musique-études,
lycées internationaux, etc. Le ministre souhaite-t-il
revenir
sur cette spécificité ? Qu’en dit M.
Darcos, le
professeur de latin et de grec ?
Quant à la hausse
de ces
coûts dans les dernières années, si
elle est
réelle, « dans l’ensemble, depuis 1995,
les
dépenses de la France ont augmenté moins que
celles de
l’OCDE et moins que celle des pays européens
» . Les
dépenses ne se sont pas envolées, au contraire.
Pour un débat
respectueux des faits
Au total, les connaissances
disponibles
quant à l’efficacité de
l’école
française et à son évolution depuis
les vingt
dernières années, tant à travers les
évaluations internationales qu’à
travers les
évaluations nationales, ne montrent pas « un
effondrement
des performances des élèves ». Elles
convergent
pour dire que 80 % des élèves français
obtiennent
des résultats plutôt satisfaisants (cf.
l’enquête PIRLS 2006). Elles convergent aussi pour
souligner le problème majeur de notre école : de
15
à 20 % d’élèves ne
bénéficient
pas suffisamment de l’enseignement dispensé, dans
le
domaine de la langue orale, dans les apprentissages de base de la
lecture, dans l’accès à la culture
mathématique et scientifique. Elles nous indiquent aussi dans
quels domaines sensibles nous avons des fragilités
(orthographe,
calcul mental) et dans lesquels il serait donc urgent de progresser.
S’agissant des
dépenses
d’éducation, les données connues
autorisent aussi
à dire qu’au regard des critères
internationaux,
elles ne sont pas excessives (elles sont plutôt dans la
moyenne)
et que loin d’avoir grossi sans contrôle, dans les
dix
dernières années, elles ont plutôt
moins
progressé que chez nos partenaires. Personne, toutefois, ne nie
que l’on ne puisse gagner en efficience. Des
publications
récentes d’économistes montrent que
certains
investissements éducatifs pourraient engendrer
d’importantes économies à long terme.
Ainsi on
sait qu’une bonne maîtrise de l’oral
à
l’entrée au CP, c’est la
moitié du chemin
vers un apprentissage réussi de la lecture et
qu’un
apprentissage réussi de la lecture, c’est
l’essentiel du chemin vers une scolarité
réussie.
Dès lors, il est certain que si, par exemple, on
créait
des postes d’aide-éducateur dans les
écoles
maternelles des quartiers populaires, pour permettre aux enseignants
d’animer des tout petits groupes de langage dans lesquels les
enfants de petite section et de moyenne section pourraient ainsi avoir
des échanges quotidiens nombreux avec un adulte, on
réaliserait les conditions d’un progrès
déterminant de l’efficacité de toute
l’école. Ce serait là un exemple
d’investissement très
« rentable » : le fait
de dépenser 1 euro en maternelle ferait
économiser
à coup sûr de 5 à 10 euros de
dépenses
ultérieures dans le primaire et le secondaire, en classes
spécialisées, en actions de soutien, en
redoublements (ce
mode de « non traitement » de la
difficulté scolaire
coûte 1,2 milliard d’euros au budget de
l’éducation nationale !), en dispositifs de
réinsertion, etc. Cela supposerait aussi que l’on
étudie et que l’on fasse connaître les
pratiques
efficaces dans l’enseignement de la langue orale en
maternelle .
Mais ce n’est pas
du tout cet appel
à penser le réel qu’on entend dans les
interventions du ministre de l’éducation nationale
et de
quelques autres protagonistes du débat actuel sur les
programmes
: ils reprennent, sans aucune distance, les rengaines de la
constellation des « Tout fout le camp » . Les
interventions
du ministre concernant l’efficacité de notre
école
semblent même inspirées par les
détracteurs les
plus radicaux et les plus tonitruants des évolutions de ces
trente dernières années.
Il semble
désormais vouloir
égaler les maîtres de la déclinologie,
art oratoire
typiquement français, dont le premier principe est de jeter
systématiquement un voile opaque sur la moindre
qualité
de la chose dont on parle et de transformer tout aussi
systématiquement chacune de ses insuffisances en mal absolu.
Ainsi la dette
se transforme en « faillite
», un
déficit
se mue en « gouffre
», un léger
tassement
tourne à « l’effondrement
», une
baisse des
performances limitée à un domaine devient une
« chute
continuelle et générale »,
etc. Au
sommet de cet art, la déclinologie ne connaît plus
qu’une forme d’adjectif, «
l’infralatif
», pour exprimer le degré ultime d’une
échelle de valeur constamment parcourue dans le sens
descendant,
à savoir « le pire ».
Mais le pire, ici,
n’est pas
qu’une fois de plus (pensons à M. de
Robien…), un
ministre de l’éducation nationale cède
au
populisme, s’emploie à discréditer
l’institution qu’il représente et la
fasse passer
pour une « fabrique de crétins ». Le
pire est
qu’il cherche à manipuler l’opinion pour
justifier
une révision complète des programmes de
l’école primaire, lui faisant courir les risques
d’un bouleversement général
inspiré par des
considérations purement idéologiques, sans
diagnostic
fiable, sans expérimentation préalable, en
prenant pour
cobayes les élèves les plus en
difficulté en
français oral et écrit, en maths et en sciences,
qui
seraient les premières victimes de cet aveuglement.
Ces risques sont
évidents. Dans
la
synthèse nationale de la « consultation
» mise en
ligne sur le site Eduscol, le plus frappant, ce sont justement ces
multiples signaux d’alerte concernant les
élèves
les plus en difficulté, envoyés par les
maîtres de
toute la France. Ceux-ci seront forcément
très amers de
constater que le ministère a pratiquement ignoré
leurs
inquiétudes : s’ils pourront se réjouir
du retour
de la GS dans le cycle 2 et de l’atténuation de
certaines
recommandations concernant le déchiffrage dans cette
même
classe, pour le reste, le projet du 29 avril est malheureusement la
copie de celui du 20 février.
Il reste à
comprendre le sens
profond de cette manipulation… On ne peut pas croire
qu’il
s’agisse seulement de gagner quelques points dans les
sondages.
Que cherche donc le gouvernement à travers cette violence
faite
à l’école primaire ?
Après la
promulgation du «
Socle commun de compétences et de connaissances »
en 2007,
quoiqu’ils aient pensé de ce texte, beaucoup ont
souhaité un débat pour préciser de
quelles
manières l’école peut être
plus efficace dans
la prévention des difficultés. Un tel
débat
était possible, dans le respect des faits, condition pour
qu’il puisse déboucher sur une mobilisation
collective.
Mais le ministre semble s’obstiner à faire passer,
à coups d’arguments catastrophistes, le projet de
programme qu’un cabinet occulte a griffonné en
compilant
les brochures des groupuscules « antipédagogistes
»
(GRIP, SLECC, Sauver les lettres, etc.), à contre-courant de
l’évolution pédagogique internationale.
Si ce
projet est maintenu, l’opinion et la
représentation
nationale doivent savoir qu’il n’en
résultera pas
seulement une multitude de conflits stériles, des
maîtres
démoralisés, une baisse de
l’efficacité de
notre école et un long hiver pédagogique.
Malgré
quelques ripolinages de dernière minute du projet Darcos
pour
rappeler les 7 champs de compétences et de connaissances du
décret de 2007, ce sera aussi la fin du « Socle
»
lui-même — pourtant voulu par l’actuel
Premier
ministre — à peine né,
aussitôt mort et
enterré. L’occasion historique qui
était offerte au
gouvernement de redonner un élan à
l’école
de la République aura été
pitoyablement
gaspillée. Pour longtemps.
30
Avril 2008
1
Ce texte a
bénéficié de la relecture, des
remarques critiques
et des suggestions de Liliane Sprenger-Charolles et de
Jacques Fijalkow. Qu’ils trouvent ici mes très
vifs remerciements.
2
On peut
télécharger le diaporama utilisé par
Liliane
Sprenger-Charolles en commençant par afficher la page
suivante :
http://www.inrp.fr/INRP/formation-de-formateurs/catalogue-des-formations/formations-2007-2008/methodes-delecture-
et-difficultes-d2019apprentissage/methodes-de-lecture-et-difficultes-d2019apprentissage-les-echanges-entrerecherche-
mediatisation-et-formation puis en cliquant, dans le programme de la
journée du jeudi 6 décembre, sur
l’intitulé de la communication : «
Identification
des mots et compréhension en lecture :
méthodologie de
recueil de
données et comparaisons internationales » ou le
diaporama associé ou encore le combiné
son/diaporama.
3
Ne nous attardons pas sur cette traduction, disons… pleine
de charme.
4 Voir par
exemple :
http://www.inalco.fr/ina_gabarit_rubrique.php3?id_rubrique=1616
5
Malgré cela,
les responsables des politiques éducatives en Finlande se
plaignent de dénombrer 6 % des élèves
en
grande difficulté face à
l’écrit au
début de l’enseignement secondaire (15 % environ
en
France)…
6
Pour une
présentation de ces études : Rémi
Brissiaud, 2003,
Comment les enfants apprennent à calculer, Essai
introductif à la 2e édition, Retz.
7
Nathalie Mons, 2007, Les nouvelles politiques éducatives,
PUF.
8
Orthographe, à qui la faute ? ESF, 2007. Voir aussi :
http://cafepedagogique.net/searchcenter/Pages/Results.aspx?k=manesse
9
Bruno Suchaut et
Sophie Morlaix (2007), Apprentissages des élèves
à
l’école élémentaire : les
compétences
essentielles à la réussite scolaire. Note de
l’IRÉDU, 07/1. On peut
télécharger ce texte
en activant ce lien :
http://www.u-bourgogne.fr/upload/site_120/publications/les_collections_de_l_iredu/notes/note071.pdf
Voir aussi :
http://cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/2007/87_accomp_InterviewBrunoSuchaut,IREDU.aspx
10
Selon les
programmes de 2002 pour le cycle 2, l’enseignant
n’a pas
trop à s’inquiéter si, en fin de CE1,
l’enfant écrit
Mintenent je vé a ma mézon puisque
c’est
cohérent avec les relations
phonèmes-graphèmes. Il
peut même s’en réjouir,
car c’est l’indice d’une bonne
maîtrise du code alphabétique…
11
Rémi Brissiaud
(2006), Calcul et résolution de problèmes
arithmétiques : il n’y a pas de paradis
pédagogique
perdu.
http://www.cafepedagogique.org/dossiers/contribs/brissiaud2.php
12
Alain Mercier
(2006), Réponse à la question : Quelles
idées,
issues de la recherche sur l’enseignement des
mathématiques, ont exercé une grande influence
sur les pratiques des enseignants depuis 10 ans ?
http://educmath.inrp.fr/Educmath/en-debat/le-repertoire-des-questions/ruthven/reponse-d-alain-mercier-inrp-france
13
Rémi Brissiaud
(2008), Les mathématiques à
l’école :
programmes, liberté pédagogique et
réussite
scolaire.
http://cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/2008/programmes_Brissiaud.aspx
14
Les sorties sans
qualification, Rapport de l’IG et de l’IGAEN
à M. le
ministre de l’éducation nationale, Juin 2005, La
documentation française,
http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/054000542/0000.pdf
15
Rapport déjà cité, pp 14-15.
16
http://media.education.gouv.fr/file/2008/41/4/ni0805_22414.pdf
17 Alain
Bentolila, 1996, De l’illettrisme en
général et de l‘école en
particulier, Plon.
18
Cette note
d’information peut être
téléchargée en
activant le lien : http://media.education.gouv.fr/file/25/6/5256.pdf
19
Notons que cela
contredit une affirmation d’Alain Bentolila, dans le livre
déjà cité : « Ce que nous
savons des
écarts
entre filles et garçons de cet âge nous laisse
supposer
que la prise en compte de la population féminine ne
modifierait
pas de façon déterminante (ces
données). »
20
Voir Jacques
Fijalkow, article « Illettrisme » du Dictionnaire
de
l’éducation, sous la direction
d’Agnès Van
Zanten,
PUF, à paraître, 2008.
21
Par exemple, le 27 mars, sur Soir 3 : « Aujourd’hui lorsqu’on
regarde les comparaisons internationales, alors que la
France dépense beaucoup plus que ses partenaires, elle est
classée dans les tout derniers de tous les classements.
»
Lors
de son entretien télévisé du jeudi 24
avril,
Nicolas Sarkozy a repris cette argumentation à son compte.
22
Antoine Fetet, 29 mars 2008 : La plaidoirie maladroite et de mauvaise
foi de M. Darcos,
http://cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/2008/programmes2008_AFetet.aspx
23
Christine Ragoucy,
Comparaisons internationales des dépenses
d’éducation : indicateurs de l’OCDE et
position de
la France. Communication pour le séminaire
organisé par le CERC, la DPD-MEN et l’INSEE, le
15-11-2002,
http://www.cerc.gouv.fr/meetings/seminairenovembre2002/ragoucy.pdf
24
Nathalie Mons, citée par Véronique
Soulé, Libération, le 16 avril 2008.
25
Voir, par exemple, Éric Maurin, 2004, Le Ghetto
français, Seuil.
26
Mais le
ministre semble penser, avec les «
antipédagogistes
», qu’il n’y a pas de « bonnes
pratiques
» à connaître, que
la bonne pédagogie est seulement affaire
d’engagement personnel et de dons, par définition
inanalysables et
inenseignables. Ces « antipédagogistes »
entendent
les termes « sciences de l’éducation
» comme
une obscénité.
27
L’expression
est de Laure Dumont, dans Globale ou B-A BA : Que cache la guerre des
méthodes d’apprentissage de
la lecture ? Robert Laffont, 2006.
Annexe
1 : L’épreuve de PIRLS 2006 (pour les
élèves de CM2)
Ronde
de nuit pour les macareux
Chaque année, des
oiseaux noirs et
blancs au bec orange visitent l’île islandaise de
Heimaey.
Ces oiseaux sont des macareux. On les appelle les « clowns de
la
mer » à cause de leur bec de couleur vive et de
leurs
mouvements maladroits. En effet, les macareux ne sont pas
très
élégants au décollage ni à
l’atterrissage étant donné leur corps
trapu et
leurs ailes courtes.
Halla vit dans
l’île de
Heimaey. Elle scrute le ciel tous les jours. Perchée sur une
haute falaise bien au-dessus de la mer, elle aperçoit son
premier macareux de la saison. Elle murmure le mot « lundi
», qui signifie « macareux » en islandais.
Bientôt le ciel
sera rempli de ces
oiseaux : des macareux, des macareux partout. Ils reviennent de leur
hivernage en mer, rentrant sur l’île
d’Halla et sur
les îles désertes des alentours pour pondre et
pour
élever leurs poussins. Ces « clowns de la mer
»
reviennent dans les mêmes terriers, année
après
année. C’est d’ailleurs la seule saison
qu’ils
passent sur le rivage.
Halla et ses amis montent sur
les falaises
pour observer les oiseaux. Ils voient les couples qui cognent leur bec
en un bruyant « tac-tac-tac ». Bien à
l’abri
dans les falaises, chaque couple prendra bientôt soin
d’un
œuf. Quand les œufs des macareux seront
éclos, les
parents rapporteront du poisson au nid pour nourrir les oisillons.
Chaque oisillon deviendra un jeune macareux. La ronde de nuit aura lieu
quand tous les jeunes s’élanceront pour leur
premier vol.
Ces nuits-là sont encore bien loin, mais Halla pense
déjà à préparer quelques
boîtes de
carton pour eux.
Pendant tout
l’été,
les macareux adultes vont à la pêche et prennent
soin de
leurs petits. En août, les premières fleurs ornent
les
terriers. Quand les fleurs sont toutes éclosent Halla sait
que
la ronde de nuit va bientôt commencer.
Les oisillons bien
cachés sont
devenus de jeunes macareux. Il est temps pour Halla et ses amis de
sortir les boîtes et les lampes de poche pour la ronde de
nuit de
jeunes macareux. A partir de ce soir et pendant les deux semaines
à venir, les jeunes macareux s’envolent pour leur
hivernage en mer.
Dans la noirceur de la nuit,
les jeunes
macareux quittent leurs abris pour leur premier vol. Il leur suffit de
quelques battements d’ailes pour descendre des hautes
falaises.
La plupart des oiseaux amerrissent dans un grand
éclaboussement
et en tout sécurité parce que la mer est en
dessous.
D’autres sont toutefois désorientés par
les
lumières du village, pensant peut être que ce sont
les
reflets de la lune sur la mer. Chaque nuit, des centaines de jeunes
macareux atterrissent maladroitement dans le village. Incapables de
s’envoler à partir d’un terrain plat,
ils courent
partout et tentent de se cacher.
Halla et ses amis vont chaque
nuit
à la recherche des jeunes macareux
échoués qui
n’ont pas réussi à trouver la mer.
Malheureusement,
les chats et les chiens cherchent, eux aussi. Même si les
chats
et les chiens ne les attrapent pas, les jeunes macareux risquent de se
faire écraser par les voitures et les camions. Les enfants
doivent donc les trouver en premier. Dès vingt-deux heures,
les
rues de Heimaey sont pleines de vie et d’enfants aux aguets.
Halla et ses amis
s’empressent de
secourir les jeunes macareux égarés.
Armés de
lampe de poche, ils sillonnent le village, fouillant les coins sombres.
Halla repère un jeune macareux. Elle court, le saisit et le
met
en sécurité dans une boîte de carton.
Pendant deux semaines, tous
les enfants de
Heimaey feront la grasse matinée pour rester dehors la nuit.
Ils
sauveront ainsi des milliers de jeunes oiseaux.
Chaque nuit, Halla et ses
amis emportent
à la maison les jeunes macareux retrouvés. Le
jour
suivant, le petit groupe descend sur la plage avec des boîtes
pleines de jeunes macareux.
Il est temps de
libérer les
oiseaux. Halla relâche le premier. Elle le tient bien haut
pour
qu’il s’habitue à battre des ailes.
Puis, en le
tenant confortablement dans ses mains elle le soulève
d’un
mouvement rapide dans les airs et le relâche au-dessus de
l’eau, au-delà du ressac. Le jeune macareux
volette un peu
avant de se poser sur l’eau dans un
éclaboussement.
Jour après jour
les
protégés d’Halla barbotent et
s’éloignent jusqu’à ce que la
ronde de nuit
des macareux soit terminée pour une autre année.
Elle
regarde les derniers s’éloigner pour
l’hivernage en
mer et les salue de la main jusqu’au printemps prochain. Elle
leur souhaite un bon voyage et crie « Au revoir! Au revoir!
».
QUESTIONNAIRE (40 minutes
avec la lecture du texte)
1.
Pourquoi les macareux sont-ils maladroits au
décollage et à l’atterrissage ?
• Parce qu’ils vivent sur un sol
glacé.
• Parce qu’ils viennent rarement sur le
rivage.
• Parce qu’ils passent du temps sur les
hautes falaises.
• Parce qu’ils ont un corps trapu et de
courtes ailes.
2.
Où les macareux passent l’hiver ?
• À l’intérieur des
falaises.
• Sur la plage.
• En mer.
• Sur la glace.
3.
Pourquoi les macareux viennent-ils sur
l’île ?
• Pour être secourus.
• Pour chercher de la nourriture.
• Pour pondre des œufs.
• Pour apprendre à voler.
4.
Comment Halla sait-elle que les jeunes macareux vont
bientôt voler?
• Les parents leur apportent du poisson.
• Les fleurs sont toutes écloses.
• Les poussins sont cachés.
• L’été vient de
commencer.
5.
Que se passe-t-il pendant la nuit de la ronde des macareux ?
• Les couples de macareux se cognent les becs en
bruyant tac-tac-tac.
• Les jeunes macareux font leur premier vol.
• Les œufs des macareux
éclosent et les poussins en sortent.
• Les jeunes macareux viennent de la mer se poser
sur le rivage.
6.
Qu’est ce que
les gens du village pourraient faire pour que les jeunes macareux
n’atterrissent plus par erreur dans le village ?
• Éteindre les lumières.
• Préparer des boîtes.
• Garder les chiens et les chats dans les maisons.
• Illuminer le ciel à l’aide de
lampes de poche.
7.
Explique comment Halla utilise sa lampe de poche pour
secourir les macareux.
8.
Explique comment Halla utilise les boîtes de carton
pour secourir les macareux.
9.
D’après le texte, lequel des dangers
suivants menace les jeunes macareux?
• Ils risquent de se noyer en se posant sur la mer.
• Ils risquent de se perdre dans les buissons.
• Ils risquent de ne pas recevoir assez de poisson
de leurs parents.
• Ils risquent d’être
écrasés par les voitures et les camions.
10.
À
l’aide de l’information tirée du texte,
explique
pourquoi il faut qu’il fasse jour pour que les enfants
libèrent les jeunes macareux ?
11.
Que font les jeunes macareux après que Halla et
ses amis les ont libérés ?
• Ils marchent sur la
plage.
• Ils
s’envolent du haut de la falaise.
• Ils se cachent dans
le village.
• Ils nagent dans la
mer.
12.
Indique deux
sentiments que Halla pourrait éprouver après
avoir
libéré les jeunes macareux et explique pourquoi
elle
pourrait éprouver chacun de ces sentiments.
13.
Aimerais-tu aller
avec Halla et ses amis secourir de jeunes macareux ? À
l’aide du texte, explique ta réponse.
Annexe
2 : Fac-similé de l’exercice n° 26 de
l’évaluation nationale début de CE1
(09-2007)
08
Annexe 3 :
Fac-similé de la note d’information sur les
sorties sans qualification (MEN, 01-2008)
08
Annexe
4 : Fac-similé de la page 20
du livre d’Alain Bentolila, De l’illettrisme en
général et de l’école en
particulier, Plon,
1996
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