Avec le regard du sociologue, Christian Maroy suit depuis des années l’évolution du métier et de la condition enseignante. Il situe les travaux de la Commission Pochard entre une demande générale dans les pays développés et la réalité d’un métier complexe et difficile à manager.
Peut-on réformer le métier d’enseignant ?
C’est une vaste question ! Il faut distinguer ce qu’on entend par métier : le métier prescrit ou le travail réel ? Ce n’est pas la même chose. Si je prends la question du travail prescrit, il y a une évolution générale de la manière dont on définit les taches des enseignants en Europe. La tendance est nette : aller vers l’annualisation; redéfinir le temps de travail. Il n’y a plus que 3 ou 4 pays où il n’est défini que par des heures de cours. Beaucoup de pays cherchent à organiser le temps de travail de façon plus large. Depuis l’Angleterre qui va dire c’est un temps disponible pour le chef d’établissement, jusqu’à des formules d’annualisation. On y fait entrer alors du temps de concertation, de la formation. De nombreux pays prescrivent des heures de concertation. C’est le cas en Belgique au primaire par exemple. D’autres pays incluent la formation continue obligatoire. Donc partout le travail prescrit change. Mais ça ne suffit pas à faire changer les pratiques réelles.
Pourtant, par exemple, instituer des temps de concertation ça semble simple. Est-ce vraiment le cas ?
Non. On attend que les gens développent un travail collectif. .Or il faudrait que ce travail soit bénéfique. On peut décréter la concertation mais elle ne sera bénéfique que si les enseignants se l’approprient. Anne Barrère a montré par exemple qu’en France les profs s’investissent sur des sujets qui les concerne : la classe par exemple. Quand la concertation porte sur des points qui ne leur semblent pas importants, par exemple une information sur la présentation à la mairie de projets de l’école, ça ne marche pas. Si on veut vraiment améliorer le travail éducatif il ne suffit pas de changer les formes prescrites. Il faut créer les conditions pour que les enseignants s’y investissent.
Sur ce point on voit bien que l’on compte sur l’action des chefs d’établissement pour entraîner les enseignants.
Comment expliquez-vous le blocage sur l’annualisation ?
Dans plusieurs pays il y a une forme de méfiance envers l’institution. C’est le cas aussi bien en France qu’en Belgique ou au Québec. C’est plus fort en France parce que le système est centralisé et les enseignants n’ont pas l’habitude d’avoir un chef d’établissement qui a prise sur eux. Souvent ces réformes ne sont pas portées par les enseignants eux-mêmes mais voulues par le gouvernement. Aussi, en général il y a le sentiment chez les enseignants que les réformes sont toujours un recadrage de leurs pratiques. L’enseignant voit cela comme une diminution de sa marge d’autonomie.
Un des points débattus concerne l’élargissement du métier. C’est là aussi un problème strictement français ?
Il y a certes une spécificité française car l’identité disciplinaire (au second degré), une conception du métier fortement centré sur les savoirs, sur la dimension académique semblent plus prononcés en France qu’ailleurs où la dimension relationnelle du métier et les finalités proprement éducatives peuvent être davantage mises de l’avant. Mais, plus généralement, il y a deux facteurs qui expliquent les résistances. D’abord souvent les taches données en plus ne sont pas toujours compensées. Je m’empresse d’ajouter que ce n’est pas le cas je crois dans le rapport Pochard. Surtout, les activités supplémentaires qui leur sont demandées (participation à des tâches de gestion, de concertation, de remédiation, de formation…) se développent alors que par ailleurs, le travail avec les élèves dans les classes tend à se complexifier pour multiples raisons, notamment mais pas seulement dans les contextes d’enseignement « difficile ». Bref il y a une tendance à l’intensification du travail des enseignants. Dans ce contexte, ce qui n’est pas directement lié au travail en classe, paraît toujours être des activités de « second ordre », qui nuit à leur implication dans le « cœur » de leur métier. Si une formation continue n’est pas directement utile ou utilisable dans les cours, elle tend à être considéré comme du temps perdu. Si une réunion n’est pas perçue comme utile, directement ou indirectement, par rapport à la facilitation du travail avec les élèves, elle tendra à être vue comme une activité secondaire. Par ailleurs, pour ce qui concerne la remédiation avec les élèves en difficulté, le problème peut aussi relever de la formation des enseignants.
Quand on rencontre des gens du privé, qui ne sont pas dans l’univers éducatif, souvent ils ne comprennent pas que le ministre ne puisse changer les choses par autorité. C’est une spécificité des enseignants ou c’est une crise de l’autorité plus globale ?
Je crois que ça montre surtout une méconnaissance du travail des enseignants. Il y a une forme d’image négative véhiculée sur les enseignants. On dit qu’ils investissent peu dans leur travail et plus sur le hors travail. Cette image négative les pousse à se durcir face aux réformes. Or les études montrent que la plupart des enseignants s’investissent dans leur métier par rapport à son contenu du travail (goût pour leur discipline, le goût d’enseigner et du contact avec les élèves par exemple), bien davantage que pour le salaire ou les conditions d’emploi.
Si les enseignants ont une relative autonomie c’est bien parce que le métier est complexe, les élèves divers. En fait on aurait du mal à leur prescrire en détail ce qu’ils doivent faire. Et puis l’organisation même des écoles fait que tout est déjà organisé. La classe est un module de base qu’il est difficile de changer. De ce fait, quand on parle de travail collectif, c’est toujours à la marge. Ca suppose un investissement important pour des taches toujours marginales. Ca ne joue pas sur ce que chaque prof va faire. Par rapport aux représentations du travail qu’on peut avoir dans l’industrie c’est très différent. Le contenu du travail des enseignants est difficilement, modifiable. Il est difficile de dire a un enseignant ce qu’il doit faire pour devenir plus efficace. On peut le former, l’accompagner mais ce qui compte au final c’est ce qui se passe dans la classe et particulièrement le relationnel avec les élèves. Et ça ce n’est pas totalement programmable. Du coup les commentaires des milieux économiques reposent souvent sur une vision assez naïve et réductrice de la complexité du métier d’enseignant.
En fait, une bonne partie des enseignants sont prêts a changer mais pas à n’importe quelle condition. Quand on leur envoie dans la figure cette injonction négative on ne crée pas les conditions du changement.
Certaines études montrent que les enseignants sont prêts à accepter des managers (M. Hassani). D’autres, comme une étude belge récente, montrent que quand on tente de les faire travailler ensemble ça pose des questions relationnelles. Il y a aussi des réactions nationales : en France, quand on réunit les profs c’est tout de suite l’idéologie qui est mise en avant. Au final, le métier est-il un métier d’isolé ?
Oui dans une certaine mesure car comme je l’ai dit, il est fortement structuré par la forme scolaire, la structure modulaire des classes, qui fait que chacun se retrouve finalement devant une classe et que rares sont les expériences où les enseignants peuvent dépasser cette donne de base. Mais cela ne signifie pas que tous les enseignants soient, par une sorte d’atavisme professionnel, rebelles à tout changement et à tout travail d’équipe. Ce qui pose problème ce sont les modalités et le sens du travail d’équipe. Dans quel but se fait-il ? Porte-t-il sur ce qui est au cœur du métier ? Par ailleurs, des difficultés organisationnelles (trouver les plages de temps disponibles, de bonnes conditions matérielles) se surajoutent parfois. A cet égard, l’assouplissement de la définition des conditions de service peut être une condition favorable au développement d’un travail plus concerté, mais cela dépendra surtout d’une dynamique collective dans l’établissement et de l’équipe de direction, de sa légitimité auprès des enseignants, du temps qu’elle peut consacrer à l’animation pédagogique dans l’établissement.. . A cet égard, en France la durée d’exercice des chefs d’établissement dans un établissement est trop courte. Il faut du temps pour construire un projet, des réalisations avec les enseignants. Le problème n’est pas uniquement du coté des enseignants.
Christian Maroy, Professeur de sociologie à Université catholique de Louvain, Directeur du Girsef
Entretien François Jarraud
En perspectives…
Comment sortir l’Ecole de l’inefficacité ? demande B. Suchaut
« L’ensemble de ces remarques conduit à s’interroger sur le fonctionnement actuel de l’école primaire française et ses modalités de gestion pédagogique, d’évaluation et de pilotage ». Bruno Suchaut (Iredu) a calculé l’évolution de l’efficacité du système éducatif français depuis les années 1970, en s’appuyant sur les résultats de l’enquête internationale Pirls.
« L’examen de la qualité des apprentissages des élèves français dans une perspective comparative ne permet pas de conclure à une amélioration du niveau global des élèves de l’école primaire française. La position de notre pays dans le contexte international s’est même plutôt dégradée au cours de ces quinze dernières années dans le domaine de la langue écrite. Quand on met en relation ce niveau d’acquisition avec les ressources allouées, on observe là encore une situation peu favorable de la France dans le contexte international. Cela se traduit par une faible efficience, à la fois qualitative et quantitative ».
Pour B. Suchaut, ces résultas montrent que l’Ecole n’arrive pas à » transformer efficacement les ressources en résultats ». Le système éducatif » parvient difficilement à mettre en place les réformes portant sur les activités d’enseignement et les pratiques pédagogiques au sein des écoles. Or, ce sont bien ces pratiques qui influencent directement les apprentissages des élèves ». La solution n’est donc pas dans le retour en arrière mais dans une meilleure gestion.
Etude
http://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00204597/fr/
Le dossier Pisa Pirls du Café
http://cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/2007/Pisa_Pirls_2006.aspx
Le métier d’enseignant vu par Education & Devenir
« Une rigidité accrue du système entraînerait une inadéquation par rapport aux besoins très divers des populations d’élèves, et un éclatement préjudiciable à l’égalité des droits à l’éducation et à la solidarité, valeurs fondatrices de la démocratie. L’histoire récente montre que le changement ne peut se faire contre la volonté des professionnels ». Education & Devenir trace les limites des modifications du métier d’enseignant.
« Les établissements devraient se voir reconnaître une réelle autonomie pédagogique et organisationnelle » estime l’association. « Disposant d’une marge d’initiative plus grande, les compétences des chefs d’établissement seraient donc accrues notamment dans le domaine pédagogique, dans celui de la gestion des ressources humaines ».
Sur le site Education & Devenir
http://education.devenir.free.fr/metierenseignant.htm
Un système éducatif poussé à la dérive libérale ?
» En 2002, (l’Ecole) entre dans une période dont les historiens diront sans aucun doute qu’elle a été « le temps de la destruction ». En 2007, elle pouvait espérer une ère de reconstruction, le nouveau ministre étant beaucoup plus compétent et plus ouvert que son prédécesseur, et un retour à la conception républicaine, spécifiquement française, qui avait prévalu jusqu’en 2002. En fait, après une période de latence, le ministre la pousse délibérément, sans que cela ne provoque de grandes réactions, dans « le temps de la construction du système libéral ». Toutes les mesures prises depuis quelque temps sont parfaitement cohérentes avec un projet de société fondé sur la loi du plus fort et sur la charité pour les faibles. On accréditera ainsi l’idée de fatalité de l’échec et on confortera la bonne conscience des décideurs avec une quantité de mesures qui permettront de dire que tout a été fait pour les pauvres, et que, s’ils en sont là, c’est bien par ce que c’est leur destin ». Pierre Frackowiak analyse l’histoire récente du système scolaire et fait part de ses inquiétudes.
La tribune de P. Frackowiak
http://www.meirieu.com/FORUM/frackowiak_alternative.pdf
Angleterre : Autonomie des établissements et inquiétudes des parents…
Selon BBC News, les parents d’élèves anglais ont du souci à se faire. Depuis une loi sur l’éducation de 2006, les établissements scolaires sont invités à devenir des « fondations », un statut qui leur donne beaucoup de liberté pour les inscriptions. De la liberté de choix des parents, on craint ainsi de tomber au libre choix des établissements. Les élèves des familles défavorisées pourraient en être les premières victimes affirme un ancien conseiller de T. Blair.
Article BBC News