Elle vient d’être élue secrétaire générale de la Fédération Syndicale Unitaire lors de son dernier congrès, le 11éme, qui s’est tenu à Rennes, au début du mois de février et prend la suite de Benoît Teste. Le Café pédagogique est allé à sa rencontre : « Nous sommes face à une jeunesse qui est en difficulté, qui se sent parfois en danger, fragilisée psychologiquement, avec des inquiétudes légitimes sur les sujets environnementaux, une jeunesse qui vit dans une société qui offre peu de perspectives d’ascension sociale, d’accès à une vie meilleure que celle de leurs parents. C’est à cette jeunesse là que nous, les adultes, devons apporter des réponses » nous dit-elle dans cet entretien.
Pouvez-vous vous présenter pour les lectrices et lecteurs du Café pédagogique ?
J’ai débuté ma carrière en tant que professeure de philosophie au début des années 2000 dans l’académie de Bordeaux et je suis arrivée en 2004 à Marseille au lycée Saint-Exupéry dans les quartiers populaires du nord de la ville. C’est toujours mon établissement d’exercice.
C’est un lycée de l’Éducation prioritaire. Même si ceux-ci ont été exclus de ce dispositif, les conditions sociales n’ont pas changé, voire se sont aggravées. C’est aussi un bastion syndical qui a toujours été un point de repère dans les luttes de la profession depuis de nombreuses années tant sur des questions interprofessionnelles comme les réformes des retraites que sur les sujets spécifiques à l’école et au second degré. C’est un établissement où l’engagement syndical porte autant sur les conditions de travail, d’exercice du métier, sur les revendications des personnels dans ce contexte que sur les conditions d’étude de nos élèves souvent en difficulté scolaire. La défense du métier va de pair avec la volonté d’offrir des conditions dignes d’apprentissage à la jeunesse des quartiers populaires.
J’ai d’abord été une militante du SNES dans l’aide aux profs stagiaires, à l’IUFM, une militante d’établissement aussi. Je me suis rapidement intéressée à la question des lycées, des propositions à faire pour une réelle démocratisation. J’ai été élue en parallèle dans les instances paritaires issues des élections professionnelles : CAP, Comité technique, CHSCT (tout cela a été remis en cause par la loi de 2019, dite de transformation de la fonction publique NDLR). Ma participation au CHSCT Académique m’a beaucoup marquée, quand il a fallu se pencher sur les conséquences pour les collègues de la réforme de la voie technologique industrielle (un collègue de l’académie d’Aix-Marseille s’était donné la mort dans ce contexte NDLR).
En 2019, en plein mouvement contre la réforme des retraites à points, je suis devenue secrétaire départementale de la FSU des Bouches-du-Rhône (une des plus importantes de France). Cela m’a ouvert d’autres horizons syndicaux, celui de l’animation d’une vie fédérale où les 21 syndicats nationaux de la fédération (fonction publique d’état et territoriale NDLR) sont quasiment tous représentés, celui des relations avec les autres confédérations ou fédérations syndicales au-delà du secteur de l’éducation.
Vous devenez la porte-parole nationale d’une Fédération qui regroupe 160000 adhérents à l’État et dans la Territoriale. C’est un saut qualitatif dans ton implication militante. Qu’est-ce que cela représente pour toi concrètement ?
C’est plus qu’un pas supplémentaire, c’est une marche haute à franchir. Mais je m’y étais en partie préparée avec la FSU13. Être responsable nationale cela signifie alimenter les échanges avec les syndicats nationaux de la fédération, ce qui est nouveau chez moi (je n’avais pas de responsabilité nationale directe au SNES). C’est aussi participer aux rencontres, discussions, élaborations de positions communes avec les syndicats autres que la FSU, en ayant toujours le souci de la mise en application de ces décisions « au bout de la chaîne », c’est-à-dire dans les services, les établissements avec les militant•es auprès des collègues de travail. Le deuxième défi c’est d’avoir le souci du présent sans garder la tête dans le guidon et d’avoir une réflexion sur le temps long, une réflexion sur l’efficacité du syndicalisme dans la période difficile et complexe que nous traversons tant sur le plan national qu’international.
Il y a une particularité dans le paysage syndical français, c’est que la majorité des représentants syndicaux nationaux sont des représentantes (à la CGT, à la CFDT, à la FSU chez Solidaires). Est-ce que cela change la donne, la nature des échanges ?
Tout d’abord, contrairement à ce que j’avais connu dans mon département, les relations intersyndicales sont très formalisées, il y a des codes dans les prises de parole, des rapports de force entre nous…
La place nouvelle des femmes, qui sont maintenant majoritaires dans l’intersyndicale interpro, est un signal important pour les militantes qui s’engagent aujourd’hui. Un plafond de verre a sauté, mais il reste à travailler sur toutes les entraves et les difficultés que peuvent encore rencontrer les militantes à tous les niveaux de responsabilité. À la direction de la FSU ce n’est pas nouveau, nous avons de fait pratiqué une alternance femme/homme mais nous devons nous saisir des évolutions présentes pour que les femmes trouvent pleinement leur place dans l’organisation syndicale.
Comment synthétiser les travaux du dernier congrès de la FSU tant dans le domaine de l’éducation que de la fonction publique ?
La question n’est pas simple car un congrès va par définition dans les détails.
Au travers de la Fonction publique et des services publics nous défendons le modèle social qui est le nôtre. Notre statut de fonctionnaire a subi des attaques importantes. Près de 6 ans après la loi de 2019 dite de « transformation de la fonction publique » qui a précipité la fin du paritarisme, force est de constater que les organisations syndicales sont toujours là et continuent à jouer leur rôle. Les capacités de mobilisation des fonctionnaires contre les politiques libérales sont bien présentes. Notre action est utile et produit des effets. Par exemple dans les nouveaux textes de loi, il n’y a pas d’avatar de la loi Guerini (ministre de la FP avant la dissolution de juin 2024) qui prévoyait la possibilité de licencier facilement un fonctionnaire. La défense du statut est pour nous quelque chose d’essentiel qui va au-delà de ce qui a existé dans le passé. Je pense notamment aux problèmes écologiques. Nous avons besoin de personnels formés, en nombre suffisant, correctement payés, bénéficiant de conditions stables et indépendantes des pressions pour faire face au réchauffement climatique. Je pense aussi à la question des retraites comme salaire continué, à la parité du niveau de vie entre actifs et retraités. Le mouvement de 2023 contre la réforme des retraites est encore présent. Sur ces deux points centraux (le statut et les retraites) nous arrivons à peser.
Un autre sujet fort de préoccupation est celui de la Protection Sociale. Nous allons commémorer cette année les 80 ans de la Sécurité Sociale et cette échéance est pour nous autre chose qu’un dépôt de gerbes. Cela doit être l’occasion de nous mobiliser toutes et tous pour le 100 % Sécu, contre les entreprises de privatisation de la « protection sociale ». Le remboursement par la Sécurité Sociale des 100 % des soins prescrits n’est pas un simple slogan.
Encore un mot sur les retraites. Une négociation (d’une durée maximale de trois mois) est mise en place par le gouvernement entre représentants du patronat et organisations syndicales. Faute d’accord, le gouvernement menace d’appliquer purement et simplement la loi de 2023 pourtant décriée par une majorité de Français. La FSU comme d’autres organisations n’est pas invitée à la table. Que propose-t-elle pour revenir sur ces dispositifs qui ont largement contribué à la puissante mobilisation unitaire que nous avons connue il y a maintenant deux ans ?
À la FSU nous continuons à dire que cette loi doit être abrogée et qu’il faut revenir sur les 64 ans. Au delà de l’abrogation, il y a des sujets d’améliorations importants à gagner, je pense en particulier à l’égalité femmes/hommes et aux fins de carrière. La bonification pour les enfants nés après 2004 a été supprimée avec la loi de 2003. Les femmes qui arrêtent leur activité professionnelle aujourd’hui commencent à être impactées. Ne rien faire sur ce sujet reviendrait à augmenter encore plus les inégalités de genre.
Il ne peut pas y avoir de débat sur les retraites du privé indépendamment de celui sur les retraites du public. Les retraites sont une question de société, de solidarité intergénérationnelle. Le recul permanent de l’âge de départ a des conséquences sur les services publics eux-mêmes : enseigner, accueillir du public, soulever de lourdes charges à 64 ans, ce n’est pas la même chose qu’à 30 ou 40 ans. Le vieillissement de la population des fonctionnaires a des effets négatifs sur la qualité du service rendu aux gens. Pour nous la discussion doit avoir lieu avec toute l’intersyndicale. Il y a des sujets spécifiques à la Fonction Publique et ce n’est pas au gouvernement ni au patronat de choisir ses interlocuteurs. Le vote des agents doit être pris en compte. La deuxième fédération de la Fonction Publique de l’État, la première à l’Éducation nationale ne peut pas être écartée de ces discussions.
En ce qui concerne l’Éducation Nationale nous sommes toujours confrontés à un manque de moyens, un budget insuffisant, des classes qui ferment, des postes qui ne sont pas pourvus… Dans le même temps les précédents ministres ont toutes et tous essayé de mettre en place une école en rupture avec les principes d’égalité, une école du tri social. L’éducation prioritaire est depuis relativisée… Que proposez-vous face à cela ?
Quand nous parlons d’éducation, nous l’entendons au sens large. Elle représente ce que la société doit à sa jeunesse en matière de services publics. C’est un élément très important. Nous sommes face à une jeunesse qui est en difficulté, qui se sent parfois en danger, fragilisée psychologiquement, avec des inquiétudes légitimes sur les sujets environnementaux, une jeunesse qui vit dans une société qui offre peu de perspectives d’ascension sociale, d’accès à une vie meilleure que celle de ses parents. C’est à cette jeunesse-là que nous, les adultes, devons apporter des réponses.
Évidemment que la question des moyens reste centrale. Ce sont les conditions dans lesquelles la jeunesse étudie, se forme et se prépare à affronter ce que sera la société demain. Nous sommes dans une période de reflux démographique, le baby-boom des années 2000 est passé. Cette « accalmie » doit être utilisée pour améliorer les conditions dans lesquelles les élèves étudient et en conséquence les conditions dans lesquelles les enseignants travaillent. Ce n’est pas le choix qui a été fait.
Nous avons tout de même réussi à empêcher le gouvernement de supprimer 4000 postes supplémentaires (c’est un des résultats de la grève du 5 décembre 2024 fortement suivie dans l’EN).
Nous avons acquis quelques victoires, je pense aux groupes de niveau-groupes de besoin qui n’ont pas pu être mis en place comme M.Attal l’imaginait, qui ne devraient pas être généralisés en classe de 4ème et de 3ème, je pense au Brevet des collèges qui ne sera pas l’examen sanction auquel il était destiné…
Ces mesures contenues dans le « choc des avoirs » devaient redessiner une école libérale loin des principes d’égalité. Y avoir fait échec ce n’est pas rien même si nous sommes encore loin du compte. Nous devons renouer avec une dynamique positive de démocratisation, permettre aux élèves de surmonter les déterminismes sociaux, d’aller plus loin que l’horizon qui leur est promis. Nous devons remettre la question de l’éducation prioritaire à l’ordre du jour. Un engagement de 2016 devait permettre d’en redéfinir les contours, de tenir compte de l’évolution des inégalités dans les territoires, d’y réintégrer les lycées généraux, technologiques et professionnels. Rien de cela n’a été fait.
Depuis sa fondation la FSU s’est toujours préoccupée des questions dites « sociétales ». Elle a fait des questions de l’égalité, de l’antiracisme, de la lutte contre toutes les discriminations, de la paix un élément important de son action. Comment cela se traduit-il aujourd’hui ?
Ces combats dont vous parlez, au même titre que la solidarité internationale font partie de notre histoire. Nous continuons à nous y impliquer de là où nous sommes c’est-à-dire en tant qu’organisation syndicale, en faisant le lien avec les préoccupations des personnels.
Si je prends le cas des inégalités femmes/hommes, nous sommes dans une période d’accélération des débats, de prises de conscience. Ce sont des moments où l’on voit aussi tout le chemin qui reste à parcourir. Parfois des fractures se dessinent, elles s’affirment souvent sur des sujets pour initié•es. À la FSU, nous cherchons à parler avec tout le monde. Dans les démarches unitaires nous cherchons à établir des compromis favorisant le rassemblement le plus large possible. C’est le cas pour le 8 mars. En sus des appels unitaires avec les associations, il y a plusieurs appels syndicaux qui s’élargissent. Six organisation syndicales (CFDT, CGT, CFE-CGC, FSU, UNSA et Solidaires) appellent à la mobilisation et à la grève le 8 mars, pour l’égalité salariale et professionnelle. Le « Groupe des 9 » des retraités appelle aussi à cette journée. C’est l’illustration de la possibilité de rassembler largement sur un tel sujet. Cela doit être un point de départ pour nos revendications sur les métiers très féminisés (petite enfance, AESH, À travail de valeur égale, salaire égal…).
Les vents mauvais soufflent sur la planète en provenance de multiples directions (Europe de l’Est, USA, Proche-Orient, Argentine…), la montée des extrêmes-droites et des intégrismes religieux est présente partout dans le monde, les guerres se multiplient… Comment le syndicalisme qui a pour vocation de défendre les intérêts moraux et matériels des travailleurs et travailleuses peut et doit prendre en compte ces éléments ?
Le contexte international exige que l’on s’inquiète. La vitesse à laquelle les choses évoluent, la rapidité et la violence de la mise en place de la politique de Trump aux USA et dans le monde peuvent nous faire douter de la solidité des démocraties et des dispositifs qui lui permettent de fonctionner. Les guerres se multiplient… Notre fil directeur reste le respect du droit international qui doit redevenir la règle, le respect des droits des peuples. C’est vrai pour le Proche-orient, pour l’Ukraine et pour toutes les régions du monde où ceux-ci sont remis en cause.
Il faut arriver à tenir les deux bouts : être lucide et observer de près ce qui se passe. Mais aussi éviter que cette observation ait un effet paralysant pour notre action. C’est de notre responsabilité de ne pas se laisser tétaniser par cette violence. Nous devons être capables de continuer au quotidien ce qu’une organisation syndicale doit faire : regarder les réalités en face et continuer d’être auprès de nos collègues, de les défendre, d’être un recours pour eux, de peser dans le débat politique à notre façon. La pire des choses serait que le syndicalisme renonce à ses objectifs de transformation sociale de la société. Chaque avancée, même minime, chaque défense individuelle ou collective contribuent à redonner de l’espoir et à faire reculer ces idées mortifères.
Pour terminer cet entretien, quel rôle compte jouer la FSU pour renforcer l’unité syndicale et rapprocher les points de vue quand ils sont possibles ?
Depuis toujours nous portons une réflexion sur l’avenir du syndicalisme et nous ne nous sommes jamais satisfaits de la concurrence intersyndicale et de l’émiettement du mouvement syndical.
Nos efforts portent en permanence sur la recherche de convergences pour favoriser l’unité au quotidien avec les personnels (le mouvement de 2023 contre la réforme des retraites en atteste). Au delà nous considérons qu’il existe une série de positions communes avec certaines organisations comme la CGT et Solidaires (mais sans exclusive) et qu’il est aussi possible d’aller plus loin que la mise en place d’une simple unité d’action. C’est le Nouvel Outil syndical que nous appelons de nos vœux, en tirant les bilans des luttes récentes, en imaginant d’autres formes de représentation plus démocratiques des salarié•es…
La confédération CGT dans son dernier congrès s’est déclarée disponible pour ce type de travail. Un certain nombre de rencontres militantes, de publications, de formations syndicales communes ont vu le jour. C’est le sens de l’expression « Maison commune » que notre congrès a validée. Notre démarche est de produire des dynamiques militantes sur le terrain, il ne s’agit pas de fusion ou d’absorption de la FSU par la CGT, d’accords entre appareils syndicaux. Tout en conservant notre indépendance réciproque nous travaillons à des initiatives publiques communes. Il s’agit d’inventer un langage commun tout en travaillant sur nos patrimoines revendicatifs respectifs pour créer une nouvelle dynamique dans le syndicalisme.
Propos recueillis par Alain Barlatier
