Par François Jarraud
Rencontre avec Jean-Christophe Blondel alias Harry Staut…
Le blog est-il adapté à l’enseignement de la philosophie ? Celui d' »Harry Staut » le donne à penser qui offre un cadre agréable et ouvre des pistes qui ne peuvent qu’allécher les élèves.
Ce qui frappe en arrivant sur votre blog, outre sa qualité graphique, c’est le choix des sujets. Tous semblent repousser le domaine scolaire traditionnel : le désir, l’ignorance, Nietzsche mais en fin de vie… Qu’est ce qui justifie ces thèmes ?
Effectivement, en ce moment, quand on arrive sur le blog, on peut avoir l’impression que le propos général de celui-ci se place en décalage par rapport au strict domaine scolaire. C’est une impression juste si on conçoit le domaine scolaire comme un programme fermé, dont, par exemple, la fin de vie de Nietzsche ne fait pas officiellement partie. Néanmoins, il ne me semble pas que des sujets tels que le désir, l’ignorance, soient extérieurs au domaine scolaire. Tout d’abord, le désir est inscrit au programme de philosophie de terminale. De la même manière, la réflexion sur la vérité, qui est aussi au programme, permet (et même, commande) de s’intéresser à ce qu’est l’ignorance, même si celle-ci ne fait pas partie des valeurs que promeut l’éducation nationale. Justement, travailler sur ces évidences qui orientent la scolarité permet à donner à celle-ci un sens, particulièrement en cette dernière année de cycle, qui est censée conclure le cursus des élèves dans le secondaire.
Mais au delà de cette justification, il me semble que choisir des sujets qui peuvent sembler ‘gratuits’ permet de revenir vers une conception plus fondamentale de l’école, liée au loisir antique, qui était entre autres cet usage non productif de la réflexion, la pratique d’une recherche spirituelle n’ayant pas à être utile, et j’essaie de consacrer ces derniers mois de gratuité scolaire qu’est la classe de terminale à ces questions qui relèvent du véritable loisir.
Quel était le projet du blog à son départ ? Comment a t il évolué ?
J’enseigne la philosophie depuis douze ans, dont dix en tant que titulaire sur zone de remplacement, en Aquitaine. Ce caractère itinérant de mon travail a, lui aussi, généré ce blog : il permettait de poursuivre, pour certains élèves plus intéressés que la moyenne, l’enseignement au delà de l’année scolaire, qui est de toutes façons insuffisante. Depuis deux ans, je suis en poste fixe dans la région parisienne, sur un lycée en ZEP. Depuis les premières années, la question de la manière d’enseigner cette discipline, sans la réduire à de simples contenus, et sans la rendre inaccessible, constitue la plus grosse part de ma réflexion professionnelle. Ce blog est un des moyens que je mets en oeuvre, bien qu’il soit, comme le reste de mes dispositifs pédagogiques, imparfait. Sans doute son caractère parfois non conventionnel est il aussi en partie du au cursus peu académique qui fut le mien, n’ayant eu qu’un court parcours universitaire, et ayant été un peu tôt propulsé sur l’estrade, ce qui eut au moins pour bénéfice de me faire aborder ce terrain avec fort peu de certitudes.
Au début, le projet fut provoqué par des considérations très matérielles : je trouve intéressant de montrer aux élèves ce à quoi peut ressembler le traitement des sujets auxquels je leur demande de réfléchir. Pour échapper au risque que ces propositions puissent leur sembler être LA correction qu’ils cherchent tant, et dans la mesure où j’ai du mal à ‘faire court’, j’ai été vite confronté à une quantité de photocopies que certains des lycées qui m’employaient ont trouvée un peu excessive. Aussi ai-je commencé, il y a quelques années, à mettre en ligne ces documents pour mes élèves, ce qui les rendait aussi accessibles à tout internaute. Le choix du blog s’est imposé naturellement, permettant de ne pas s’encombrer avec le côté plus technique de la mise en place d’un véritable site, et correspondant bien à ma volonté de ne pas figer la réflexion dans une architecture de site qui serait l’équivalent d’un livre de cours, avec ses chapitres, ses leçons définitives. D’où le choix, aussi, d’orienter le blog davantage vers le traitement de sujets, et de ne plus proposer de cours, au sens strict du terme.
L’évolution des techniques mises à disposition des rédacteurs de blogs a aussi permis d’ouvrir de nouvelles perspectives, en proposant des nouveaux contenus, audio et vidéo, permettant de faire découvrir aux élèves des documents qu’il ne connaît que trop rarement.
Ajoutons, même si cela peut paraître accessoire, que la gratuité des contenus fait partie intégrante du blog, et que c’est important.
Le blog reprend les cours. Mais comment articulez vous le blog avec la classe ? Comment jugez vous de son utilité scolaire ?
A vrai dire, je crois que l’idée d’un blog reprenant le cours, au charme de laquelle j’ai succombé pendant un temps, est peu pertinente scolairement. Le cours, c’est la réflexion qui a lieu en classe, et dont ni un compte rendu écrit, ni une leçon telle qu’on en trouve dans les manuels ne peuvent être l’équivalent. Au mieux, les leçons que j’ai pu proposer dans le blog n’étaient la trace que des éléments de culture philosophique qui sont mis en jeu dans le cours, mais ils n’allaient pas au-delà, car ils ne rendaient pas compte du dialogue qui a lieu avec les élèves.
C’est pour cette raison que j’essaie d’orienter le blog davantage vers trois objectifs : proposer des traitements de sujets qui ne soient pas de simples corrigés de dissertation (travail qui s’effectue plutôt en cours, et sur les copies elles-mêmes) – Jeter des coups de projecteurs sur des sources de culture qui ne sont pas nécessairement de l’ordre de la culture philosophique officielle – Informer les élèves des sources de réflexion auxquelles ils peuvent s’abreuver, qu’il s’agisse de manifestations culturelles, de spectacles, d’expositions, d’émissions ou même d’expériences qui peuvent susciter un étonnement et une réflexion philosophiques.
L’image qui me vient le plus spontanément à l’esprit, pour désigner l’esprit de ce projet, c’est celui d’une source. C’est ce qui me manquait le plus lorsque j’étais élève : un lieu permettant de m’abreuver, et où je pourrais trouver du contenu complétant ce que le temps limité de l’école et les bornes des programmes ne permettaient pas d’aborder. Internet permet de proposer ce genre de source. J’oriente plus particulièrement ce blog vers mes élèves; ainsi les articles accompagnent-ils les problématiques abordées en classe, mais je ne m’interdis pas d’explorer d’autres domaines, en marque du travail scolaire, en ayant cependant pour projet général de connecter ces éléments aux divers champs qu’explore le cours.
L’utilité scolaire est difficile à évaluer. Il est même probable que l’esprit général de ce blog soit en partie liée à l’idée d’inutilité. Pour mes élèves, il n’a rien d’obligatoire, aucune évaluation ne se fait sur son contenu. Je ne sais même pas s’ils le consultent. En dernier ressort, si je veux trouver un argument en faveur de l’utilité de ce blog, je dirais qu’il me motive, ce qui n’est pas sans intérêt !
Cependant, certains élèves témoignent parfois de leur lecture, en me questionnant sur tel ou tel article. Pour ceux qui ont le plus de difficulté de compréhension avec le cours, certains articles permettent en quelque sorte de leur tendre la main, en faisant référence à des éléments de culture jugés assez populaires pour leur sembler accessibles (Fight-Club, par exemple, que j’ai déjà exploité, mais je pense aussi aux films de Roméro, qui permettent d’aborder certaines questions politiques). Pour ceux qui ont davantage de facilité avec le cours, j’essaie de proposer dans le blog un complément, des sortes de parenthèses et d’approfondissements qu’on n’aurait pas le temps de développer en cours.
On pourrait donc affirmer que ces articles s’adressent en premier lieu aux élèves qui font la démarche de ne pas se contenter du cours, qu’ils soient en difficulté ou non.
Cette démarche n’est pas fréquente dans votre discipline; Comment est-elle perçue par les collègues ?
Je ne suis pas sûr que cette démarche soit particulièrement rare dans cette discipline. Internet propose un grand nombre de contenus philosophiques, parfois gratuits, et de plus en plus payants. Les collègues de mon établissement, dans ma discipline, connaissent peu mon blog. Ce sont plutôt ceux qui enseignent d’autres matières qui s’y intéressent.
Liens :
Le blog d’Harry Staut