Par Laurence Ryf
C’est au travers d’un compte-rendu de projet que j’aimerais présenter ici une démarche pédagogique fortement inspirée des méthodes prévalant en FLE/FLS. J’ai choisi d’exposer un travail sur le Conte, mené en partenariat entre une classe d’accueil de collège et une classe de maternelle, parce qu’aucun projet ne m’a jamais donné autant de satisfactions. Les progrès des élèves ont été réels et ont été confirmés par les bons résultats qu’ils ont obtenus l’année suivante en classe banale.
Un projet pédagogique annuel classe d’accueil / grande section maternelle
Parce que le conte est également au programme en 6ème, bon nombre de collègues de lettres retrouveront sans doute dans l’exposé qui suit des démarches qu’ils connaissent et mettent en pratique. Nombreuses et actives sont les structures partenaires, des conteurs interviennent dans beaucoup d’écoles et de collèges et les participants –adultes comme enfants – à ce type d’actions se disent toujours satisfaits. Toutefois, si l’on s’en tient à ce que proposent les manuels, on constate de grandes différences tant dans les objectifs que dans les activités proposées entre les deux types de classes.
Une classe d’accueil de collège réunit des élèves âgés de 11 à 15 ans, nouvellement arrivés dans le pays et ne maîtrisant pas la langue française. Une formation « intensive » (11 à 12 heures de français par semaine) leur est proposée pendant un an, à la suite de quoi ces élèves sont intégrés dans les classes dites « banales » en fonction de leur niveau mais aussi de leur âge.
De loin, l’objectif semble relever du défi : il s’agit en un an d’apprendre à maîtriser les quatre habiletés (expression et compréhension orale et écrite), et, plus généralement, à communiquer en français.
Qui plus est, les arrivées sont échelonnées ; aussi faut-il trouver les moyens de faire progresser un élève débutant, arrivant tardivement dans l’année, sans « ralentir » les autres ; individualiser les progressions tout en trouvant des activités fédératrices permettant de créer « un groupe classe » malgré les hétérogénéités d’âge, de culture, de socialisation, de niveau de scolarisation, de maîtrise de la langue. Certains élèves sont francophones langue orale, d’autres ont été scolarisés en français et si certains sont de culture orale et méconnaissent l’écriture, pour d’autres c’est tout notre système graphique et linguistique qui est à découvrir.
En 6ème, l’accent va être rapidement mis sur l’Ecrit alors qu’avec des élèves non-francophones, à qui il s’agit d’abord d’apprendre à parler français, toutes les activités liées à l’oral et donc à l’écoute vont être privilégiées.
En 6ème, le conte est considéré comme le support privilégié pour aborder l’étude du récit et tous les manuels lui consacrent une séquence dans laquelle il s’agit principalement d’apprendre à dégager le schéma narratif et le schéma actanciel pour être en mesure, sur ce modèle universel, d’écrire son propre conte, étape par étape, de la situation initiale à la situation finale. Les activités d’expression sont principalement des activités de lecture orale et non de parole. Il est par exemple proposé aux élèves de lire à haute voix en classe, le conte qu’ils ont d’abord écrit.
Par ailleurs, en classe d’accueil, et sans aucun doute parce que les objectifs culturels sont sous-entendus dans le mot « accueil » lui-même, on veille également à valoriser toutes les cultures et toutes les langues représentées dans la classe et à ce titre le conte devient un outil privilégié puisqu’il existe dans toutes les sociétés
Le conte, récit originellement oral et au-delà des disparités culturelles, fondamentalement commun à tous les hommes, permet idéalement d’atteindre ces premiers objectifs : entrer dans une nouvelle langue sans renier sa culture, aller à la rencontre de l’autre au travers des histoires dont il est porteur.
Enfin, dernier point d’ancrage essentiel, nous avons tenu à mieux restituer le contexte dans lequel les contes ont de tout temps été mis en partage : puisqu’ils s’adressent en occident en priorité aux petits enfants, il nous a semblé pertinent de mettre en relation les adolescents nouvellement arrivés dans le pays avec des élèves de grandes sections de maternelle afin de les inciter à devenir in-fine eux-mêmes « des passeurs de paroles ». C’est, je crois, d’être ainsi clairement positionnés dans leur rôles d’aînés qui a le plus motivé les élèves et c’est selon le vieux principe de l‘imitation qu’ils ont appris à raconter des histoires.
Le seul travail des enseignants a été d’organiser en amont le maximum d’heures du « conte » en invitant les élèves à rencontrer des conteurs dans différents lieux – notamment à l’école maternelle – en intérieur comme en extérieur. Un groupe de personnes âgées nous a une fois accompagnés. Une conteuse est intervenue régulièrement en classe. Les bibliothécaires, les enseignants, les parents se sont également mis à raconter des histoires. Chaque fois, assis en cercle autour du conteur, c’est d’abord l’imaginaire qui a été sollicité, ce qui a toujours engendré de grands moments de plaisir partagé. Pour preuve, les applaudissements qui venaient ponctuer chaque récit et l’enthousiasme de tous. A aucun moment une consigne de travail n’a été donnée aux élèves, aucun des contes n’a été analysé.
Il est intéressant de préciser qu’à plusieurs reprises nous avons écouté des contes dans des langues qui n’étaient pas plus maîtrisées par les enseignants que par les enfants. Or l’écoute est restée tout aussi attentive, pour preuve la participation – sous forme de formulettes répétées par l’auditoire par exemple – a toujours été active et joyeuse. Pouvoir prendre plaisir à ainsi écouter des histoires dans une langue inconnue tend à prouver qu’il y a une communication première, plus musicale que verbale, un langage sensible du corps, de la voix et de ses inflexions, toujours intimement lié à la situation et décodable à travers elle.
Et la première constatation – évaluation ? – est bien là. Même quand la compréhension du récit n’est faite qu’en partie, « il se passe quelque chose » sans doute parce que l’émotion est toujours première. Les élèves s’apaisent, des liens de sympathie se créent entre eux, « un groupe » peu à peu se constitue. Ainsi naît insensiblement ce que j’appellerais volontiers « le goût de la parole » et avec lui l’envie de la maîtriser à son tour.
Pour l’anecdote, mais parce qu’elle est emblématique, si en début de projet, tous les adolescents ont accueilli favorablement la proposition qui leur a été faite d’aller raconter des contes aux enfants, une élève de 13 ans s’est cependant rapidement montrée perplexe : « Et si l’enfant ne m’écoute pas, qu’est-ce que je dois faire ? » a-t-elle demandé soucieuse. Et une autre de lui répondre aussitôt : « moi je lui donnerai des claques et il m’écoutera ».
Après quelques rencontres avec des conteurs, à l’inquiétude initiale et à sa seule réponse envisagée : exercer son autorité d’aîné sur le jeune enfant pour qu’il soit à l’écoute, s’est peu à peu substitué un désir plus positif : celui d’apprendre à conter, afin de savoir, sans jamais avoir recours à la menace, captiver son auditoire. Car si la parole du conteur fait toujours plaisir, jamais il n’impose son discours dans la violence. A partir du moment où les élèves ont écouté suffisamment de contes pour en être tous convaincus, l’accent s’est déplacé : il ne s’agissait plus de chercher comment contraindre l’enfant mais bien plutôt de trouver les moyens de le séduire par sa parole. Les élèves se sont alors intéressés à « l’art du conteur » et c’est à lui que leurs questions se sont adressées. En réponse, différentes activités d’expression ont pu alors être proposées.
En tout premier lieu, et dans l’avant du langage articulé, la première série d’exercices proposée a porté sur la maîtrise du corps : un geste, un regard, une position peuvent suffire à exprimer ce que l’on ressent ou bien ce que l’on souhaite communiquer à l’autre. L’intention, consciente ou inconsciente, est première et à chaque état émotionnel correspond un certain nombre de postures. Avec des élèves ne maîtrisant pas encore de langue de communication commune, ce travail sur le para-linguistique les met en activité tous ensemble et dans le partage, tout en leur permettant de faire connaissance les uns avec les autres et d’une certaine façon également avec eux-mêmes. Lors des premières séances, le rire prit une grande place, trahissant souvent une sorte de gêne à laisser parler le corps, comme si on ne vivait pas tous les jours avec soi-même. Cependant les élèves furent particulièrement demandeurs de ce type d’exercices et leurs progrès « dans la gestion d’eux-mêmes » furent sensibles.
Et il n’était plus question alors d’hétérogénéité. Tout le monde comprenait, chacun était compris, ce qui non seulement engendrait du plaisir mais éveillait surtout un désir de posséder une langue de communication commune afin de consolider et d’approfondir les liens naissants entre les uns et les autres.
L’entrée dans la langue va alors se faire par la phonétique, et singulièrement par la phonétique articulatoire. Chaque langue possède des sons qui lui sont spécifiques. En étant à l’écoute de son corps, on peut prendre conscience de leurs points et de leurs modes d’articulation, ce qui peut faciliter leur reproduction par l’élève. Si le son sort par la bouche, il vient du buste, sous forme d’une colonne d’air soumise, dans son itinéraire, à la position des organes phonatoires, aux muscles du visage.
il vient du ventre, remonte par la colonne d’air, dépend de la position de la langue, des muscles du visage. En guise d échauffement, on peut par exemple commencer une séance par des exercices de bâillements et d’étirements sonores, les mains sur la taille pour prendre conscience de sa colonne d’air. On peut ensuite jouer sur les intentions en ajoutant au geste, le mot :« Oui – Non – Bonjour », en variant les rythmes et les hauteurs.
C’est ainsi de façon très progressive que l’on s’est acheminé vers la parole afin que personne ne soit en difficulté, à aucun moment de cet apprentissage.
Quand vint le moment de la question du choix des contes à raconter à des petits enfants, ce sont les albums qui ont été introduits et avec eux les activités de lecture. Il est à noter que dans cette dynamique de rencontres et d’échanges, les adolescents n’ont eu aucune résistance à s’emparer des livres pour « tout petit ». Et cela a eu en outre l’extrême avantage de pouvoir faire entrer les collégiens dans l’apprentissage de la lecture, à partir de textes imagés extrêmement simples, sans les inférioriser.
Tous au contraire « se sont jetés » sur les livres qui leur sont immédiatement apparus comme des objets rassurants. On ne devient pas en effet un parfait conteur – surtout dans une langue de scolarisation- en quelques mois. Par contre, il est tout à fait possible de lire de façon expressive une histoire à un enfant. C’est ce choix que fera la grande majorité des élèves en fin de projet. Et tous participeront. Tous auront appris à lire en français et découvert le plaisir du texte.
Des contes à écouter :
http://www.conte-moi.net/home.php
http://www.clio.org/monde-en-contes/
http://www.csdm.qc.ca/barclay/projenfants/3ecycle/contes6e/index.html
http://www.contesafricains.com/index.php
http://www.apple-paille.com/formulettes/
Des ressources et des formations :
http://www.lamaisonduconte.com/-Accueil-.html