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L’Ecole, priorité de la campagne ? Si le lecteur du Café en doute, les déclarations politiques pourraient le laisser entendre : « Ni Ferry, ni Jaurès, ni aucun autre homme politique de droite ou de gauche n’eût imaginé un instant la possibilité d’exclure le projet éducatif du débat politique. » explique Nicolas Sarkozy. François Bayrou en fait sa première priorité : « Le défi de la mondialisation, c’est le défi de la recherche et de l’éducation. Juger de la responsabilité des dirigeants du pays, c’est regarder quelle place ils accordent à l’école dans leur action ». Quant à Ségolène Royal, sa synthèse ouvre deux pistes : « que l’école revienne aux fondamentaux ou qu’elle s’engage résolument dans la modernité, la réforme paraît essentielle pour réduire les inégalités sociales, pour permettre à tous les enfants de trouver leur place dans la société. »
Les enseignants ? Courtisés… « Je sais combien leur pouvoir d’achat et leurs conditions de travail se sont dégradés » lance Sarkozy qui sait « combien ils sont démoralisés d’avoir le sentiment qu’on ne les respecte pas, et qu’on les abandonne à leur sort sans moyen et sans direction ». Côté PS, on veut organiser « des Etats généraux des enseignants sur le mode participatif, pour améliorer leurs conditions de travail dans l’école, assurer la pleine reconnaissance de leurs missions et préparer un plan pluriannuel de recrutement des enseignants, de formation et de résorption de l’emploi précaire. »
Mais au-delà de ces grandes déclarations, que disent exactement les programmes connus à ce jour ? Tentons une revue de détail, point par point…
La scolarisation des jeunes enfants
Seuls les programmes de Gauche l’évoquent. Olivier Besancenot, Marie-Georges Buffet ou Dominique Voynet veulent la scolarisation à 2 ans, des effectifs allégés, un passage progressif de la crèche à l’Ecole. S. Royal envisage la scolarisation « dès trois ans », mais dans le cadre d’un service public de la petite enfance.
La carte scolaire
Pour certains c’est clair, pour d’autres moins. O. Besancenot, M. G. Buffet ou D. Voynet considèrent qu’abandonner le principe de la carte scolaire serait confirmer officiellement une des discriminations les plus graves. Mais s’il n’y a pas de mixité sociale dans la zone, il ne peut pas y en avoir dans l’école. François Bayrou les rejoint dans cet objectif. Au contraire, Le Pen, De Villiers ou Sarkozy vantent le libre choix des parents avec la suppression de la carte scolaire.
Ségolène Royal a un propos plus complexe : « Emploi, famille, école, logement, tout se tient ; et si un maillon vient à manquer, c’est tout l’édifice qui est fragilisé ». Elle veut donc veiller « à ce que la carte scolaire permette la mixité sociale ». Elle en propose l’« aménagement » en donnant aux familles la possibilité de choisir entre deux ou trois établissements par un élargissement de la sectorisation.
La décentralisation C’est sur ce thème que les points de la gauche radicale s’éloigne des Verts. La décentralisation, loin de rapprocher la gestion du système des acteurs du système éducatif a accru considérablement les inégalités, explique Besancenot, rejoint par MG Buffet qui réclame le retour de tous les personnels sous le giron de l’Etat. Pour Voynet au contraire, « la décentralisation a mis plus de moyens dans les établissements et de garder le cadre national. Il faut poursuivre ».
Le collège unique
Faut-il maintenir le collège unique ? Posée sous cette forme, la question reçoit des réponses fermes : Voynet, Buffet sont résolument pour. Pour Besancenot, « le marché a besoin d’emplois déqualifiés, c’est pourquoi il attaque le collège unique ». A l’inverse, Le Pen et Villiers veulent supprimer ce symbole d’un « égalitarisme » insupportable. Plus nuancé, Bayrou veut en préserver le principe, mais veut être très ferme en « sortant du collège les perturbateurs », sans précision. S. Royal n’est pas loin, prônant « des internats-relais pour les perturbateurs », et réclamant une meilleure liaison école-collège.
L’autonomie des établissements Lorsqu’on aborde cette question, au centre de la problématique posées par l’OCDE (voir l’interview d’Andreas Schleicher dans ce dossier, les fractures se font moins traditionnelles : si, pour Besancenot, « c’est la démission du politique, le « laisser-faire », conjugué à la bureaucratie tatillonne », S. Royal réclame « plus de liberté aux établissements pour s’organiser et innover », dans une assez grande proximité avec le point de vue de N. Sarkozy, pour qui « l’autonomie est une nécessité pour que chaque établissement s’adapte au contexte dans lequel il se trouve, et pour que chacun se mobilise autour d’un projet dont il sera partie prenante. »
Les ZEP Souvent critiquées, plusieurs fois « relancées », les ZEP sont largement citées par les candidats de tous bords. Besancenot propose une mesure mise en œuvre par le très libéral Blair : « supprimer les établissements trop difficiles ». Il y ajoute, moins libéral, 18 par classe et 3 enseignants pour 2 classes M. G. Buffet veut la création d’un « Fonds national de lutte contre les inégalités à l’école pour combattre l’échec scolaire » sans préciser quel serait son rôle et son financement. S. Royal veut elle aussi renforcer les moyens financiers insuffisants (25% de plus que les établissements ordinaires), mais aussi le dialogue avec les parents. Elle annonce 17 en CP et CE1 en ZEP, veut mieux former les enseignants, leur « offrir des locaux pour rester dans l’établissement », et faire accéder aux classes prépa 5% des élèves de chaque lycée… Elle réclame également qu’aucune d’affectation de jeunes enseignants non volontaires ne soit possible. Côté N. Sarkozy, c’est l’engagement « à ce que ceux qui ont besoin de plus de moyens en aient plus et que ceux qui sont confrontés à moins de difficultés aient moins de moyens ». Mais sans précision.
Le pilotage du système En fait, paradoxalement, bien que décrit par tous les observateurs et sociologues comme essentiel pour l’évolution du système, ce point est très absent des programmes politiques affichés. Peut-être pas assez engageant pour l’électeur ? Seule D. Voyet en parle, voulant « développer l’évaluation, réformer les rectorats et les inspections académiques pour plus d’efficience ». Cohérents avec eux-mêmes, M.G. Buffet et O. Besancenot veulent respectivement l’abrogation des lois Fillon et Robien et résister au libéralisme et à la privatisation Fidèle à lui-même également, mais un peu vague, F. Bayrou entend « estimer et soutenir » l’Éducation nationale « au lieu de la critiquer », quand N. Sarkozy annonce que « la culture du résultat est nécessaire à l’école comme ailleurs ». Rien de particulier sur ce thème à la droite de la droite, si ce n’est la nécessité de « faire flotter le drapeau tricolore dans toutes les cours de récréation » pour Philippe de Villiers.
La formation Assez peu de propositions dans les programmes électoraux sur ce terrain : Dominique Voynet réclame une priorité avec l’équivalent d’un an de formation tous les 10 ans, M. G. Buffet veut programmer « le recrutement et la formation sur cinq ans de 150 000 enseignants et 45 000 personnels d’accompagnement. » A l’autre bout de l’échiquier, Le Pen et De Villiers réclament « la suppression des IUFM, instruments de la révolution culturelle au service de la gauche »
La liberté pédagogique Le Ministre doit-il s’immiscer dans la classe ? Même les candidats de droite n’ont pas l’air de suivre la mode de Robien : « Qui mieux que l’instituteur peut choisir la bonne méthode pour apprendre à lire à l’enfant qui est en face de lui ? Certainement pas en tout cas un bureaucrate parisien enfermé dans son bureau qui ne voit pas un enfant de la journée. » explique N. Sarkozy. De même, F. Bayrou écrit que « Ce n’est pas le boulot des ministres de dire comment il faut enseigner […] mais ça devrait être le boulot des ministres de définir une procédure permettant d’évaluer les méthodes d’enseignement. » Seuls, De Villiers et le Pen pensent qu’il faut « bannir les pédagogies déstructurantes » ou « enseigner l’art et la culture français »
Enseigner autrement ? Mais quand on gratte un peu les discours tous faits, les descriptions apocalyptiques de ce qui se passe dans la classe nourrit les discours politiques. L’idéologie est bien là, commune aux discours de droite, souvent revanchards, comme on avait pu le constater au colloque UMP sur l’Ecole ou dans les officines qui rêvent de l’Ecole d’avant-guerre : c’est Mai 68 qu’on invoque, comme les enseignants avaient abandonné tout cadre scolaire au profit d’un spontanéisme béat. Là où ils se sentent parfois les derniers à faire tenir les valeurs éducatives, le Politique les accuse de s’être fait instrumentaliser.
Ce n’est pas Le Pen qui dit à la tribune que « l’idéologie de 68 a imposé partout le relativisme intellectuel et moral. Le dessin de l’enfant valait celui de Michel-Ange et l’élève auquel on demandait d’imaginer une autre fin au Cid pouvait légitimement se prendre pour le rival de Corneille. ». Ce n’est pas de Villiers qui explique que l’école « a remplacé l’affrontement des difficultés des grandes œuvres de l’esprit par l’article de journal », a délaissé la morale pour enseigner que « tous les comportements et toutes les valeurs se valent. » C’est bien Sarkozy qui explique en meeting « qu’au bout de la faillite de l’école il y a l’éclatement de la famille. Il y a aussi le communautarisme et les tribus. Il y a le chômage et l’exclusion ». Bref, ce n’est pas l’école qui est victime des maux de la société, c’est l’école qui en est la cause ! Moralité : « nous devons reconstruire une école du respect où les élèves se lèvent quand le professeur entre dans la classe », développer le « goût de l’effort et du travail », « récompenser le mérite » et développer le sport, « morale de l’effort et éthique ». Selon lui, l’école ne doit pas « dresser l’enfant contre la société, ne lui enseigner que la rancœur et la révolte », « lui passer ses caprices, lui pardonner toutes ses fautes »
Par comparaison, le discours de Le Pen : « il faut sortir des utopies pédagogistes et revenir aux bonnes vieilles marmites dans lesquelles on fit si longtemps les meilleures soupes. Mais pour instruire et éduquer, il faut d’abord rétablir l’autorité parentale, scolaire, religieuse, militaire…. Il faut cesser de culpabiliser nos jeunes par un enseignement partial de l’esclavage ou de la colonisation, lequel fait « germer la haine dans les caboches creuses des crétins programmés », selon le mot de Jean-Paul Brighelli. Lire, écrire, compter, connaître l’histoire et la géographie de son pays, sont des bases essentielles qui aujourd’hui manquent à 1 élève sur 4 en sortie du primaire. Revaloriser le travail manuel est un impératif, car lorsqu’on a faim, mieux vaut un cuisinier qu’un sociologue ». Citons pour l’anecdote P. de Villiers pour qui le port de la blouse et de l’uniforme sont en mesure de rétablir l’ordre et remettre au pas la racaille, à condition qu’on « refuse l’enseignement multiculturel ».
Face à cette offensive idéologique, il faut aller chercher loin pour dépasser les considérations générales : il faut se méfier des modes, résister au libéralisme, dit O. Besancenot. Certes… Il faut « prendre en compte les difficultés d’apprentissage, le rapport différent à l’écrit des le primaire, culture du débat, de la coopération, mais recentrer l’activité de l’enseignant sur l’enseignement. Développer l’expérimentation » précise D. Voynet qui fait l’effort de préciser un peu. S. Royal, dans ses propositions, cite « le droit à la culture », mais aussi la « récompense de l’effort » ou le besoin de l’éducation artistique et la pratique artistique à tous les niveaux de la maternelle à l’université. Tout un programme…
Les compétences contre les savoirs ? Sur les compétences et les programmes à mettre en œuvre, peut de candidats développement. Faut-il développer le travail par compétence, travailler le socle commun ? M.G. Buffet réclame « l’abandon du socle commun a minima et la promotion d’une culture commune de haut niveau ».« Les compétences, c’est l’OCDE et le libéralisme » explique O. Besancenot. « Il faut rendre efficace le cursus normal avant de penser au soutien : alléger les effectifs et les services » Mais plusieurs candidats tentent de répondre à l’angoisse sociale sur la réussite scolaire. D. Voynet veut développer la vie scolaire, créer un nouveau métier d’assistant d’éducation, utiliser 20% du temps scolaire en petit groupe de soutien. Ségolène Royal annonce le soutien gratuit pour tous, et la présence d’un deuxième adulte au côté des professeurs qui le demandent en cas de difficulté en cours. Plus consensuel sur ce thème, N. Sarkozy veut que l’Ecole « prenne en charge les orphelins de 16h ou de 17h dont les parents travaillent , qu’elle organise des études surveillées où les enfants au lieu d’être livrés à eux-mêmes soient encadrés pour faire leurs devoirs » avec des enseignants volontaires pour diriger ces études, avec un surcroît de rémunération. »
L’Ecole privée Signalons enfin, et c’est sans doute un signe des temps, la place extrêmement réduite prise par ce qui fut longtemps (jusqu’en 84…) une marque fondatrice du clivage gauche-droite : la place de l’enseignement privé. Si O. Besancenot en réclame la « nationalisation », S. Royal demande un financement qui dépendrait des catégories sociales scolarisées. Elle réclame cependant la suppression du financement obligatoire pour les communes pour les élèves hors territoire qui déchaîne la colère des élus depuis deux ans. Plus conforme au passé de son camp, N. Sarkozy est droit dans ses bottes : « Je veux que soit reconnue l’utilité sociale de l’enseignement privé. ».
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