De Robien déterre la hache de guerre et prône le retour à la syllabique pure et dure… Le Café fait le point sur un dossier qui déchaîne la polémique…
Le texte de la curculaire publiée fin décembre invite à abandonner la méthode globale et s’appesantit sur une découverte des phonèmes et des sons. » L’automatisation de la reconnaissance des mots nécessite des exercices systématiques de liaison entre les lettres et les sons et ne saurait résulter d’une mise en mémoire de la photographie de la forme des mots qui caractérise les approches globales de la lecture : j’attends donc des maîtres qu’ils écartent résolument ces méthodes qui saturent la mémoire des élèves sans leur donner les moyens d’accéder de façon autonome à la lecture ». Et il fixe un objectif : « A la fin du CP, tous les élèves doivent avoir acquis les techniques du déchiffrage et les automatismes qui permettent la lecture autonome et le plaisir de lire ». Après tout qui pourrait s’opposer à cet objectif ?
Beaucoup moins lisse est le discours qui accompagne ce texte. G. de Robien maintient que « Oui, la méthode globale existe toujours ». Il promeut allusivement » une célèbre méthode syllabique » fort contestée par les enseignants. Surtout il se présente comme un ministre de rupture. « L’apprentissage de la lecture doit commencer par le son et la syllabe. Il faut le dire clairement, nettement, explicitement et le faire savoir à l’ensemble du système éducatif. Cela, je le dis avec force, n’a jamais été fait. Les instructions ont jusqu’ici prêté à confusion ; elles sont demeurées ambiguës… Je veux dire aussi clairement quel type de démarche doit être résolument écarté. Cela n’avait jusqu’ici jamais été fait ».
Le dossier de presse du ministre
http://www.education.gouv.fr/actu/element.php?itemID=200615126
L’Inspection générale a pourtant publié fin 2005 un rapport sur la lecture que le ministre n’a manifestement pas lu. Les propositions tiennent en une philosophie : il faut appliquer la réforme de 2002. L’Inspection demande de renforcer la formation initiale et continue des maîtres. Pas pour leur apprendre le b-a-ba. Mais pour « que les maîtres à tous les niveaux de l’école primaire consacrent un temps suffisant à la construction de l’univers de référence de la culture écrite (connaissance du monde, littérature, activités esthétiques, champs disciplinaires du cycle III) »
ftp://trf.education.gouv.fr/pub/edutel/syst/igen/rapports/onl_2005.pdf
L’Inspection Générale risque donc d’être un peu gênée aux entournures si le ministre lui demande de faire le service après vente de sa circulaire dans les académies…
Les réactions :
Ils soutiennent le ministre (et lui demandent parfois d’aller encore plus loin !) :
– Une proposition de loi UMP veut faire table rase des programmes
« Les dispositions législatives définissant le contenu de programmes scolaires adoptées antérieurement à la création du Haut Conseil de l’éducation sont caduques ». Les députés UMP René Couanau et Pierre-Louis Fagniez proposent de faire table rase des procédures de consultation et des programmes précédents. « Aussi, afin d’éviter toute ambiguïté, il est proposé, pour permettre au Haut Conseil de l’éducation d’exercer pleinement la mission qui lui a été confiée par la loi du 23 avril 2005, de considérer comme caduques les dispositions d’ordre législatif relatives au contenu de programmes scolaires, adoptées antérieurement à la création de cette instance ».
http://www.assemblee-nationale.fr/12/propositions/pion2781.asp
– Des sites qui veulent enfoncer le clou,
http://www.la-france-qui-bosse.com/cms/pagelfqb/liensutiles.php
http://www.soseducation.com/
(et l’interview de Rachel Boutonnet sur France 2, qui avait fait réagir de nombreux enseignants : elle était en effet présentée comme une pauvre enseignante débutante livrée à elle-même, alors qu’elle est largement présente sur tous les sites influents de ceux qui veulent faire un sort à l’école…
http://www.lire-ecrire.org/Rachel-Boutonnet-sur-France-2_a137.html
Il sont contre le discours ministériel et réagissent
– A noter la réaction de Michel Fayol le 20 décembre 2005. Cité parmi les chercheurs « référence » du ministre, il s’inquiète de ses propos :
Michel Fayol, professeur de psychologie, directeur du laboratoire de psychologie sociale et cognitive de l’université Blaise-Pascal de Clermont-Ferrand et membre de l’ONL (Observatoire national de la lecture), estime que « remettre au goût du jour la méthode syllabique n’est qu’une reconstruction idéalisée d’un monde qui n’a jamais existé ». Il répond aux questions de L’AEF.
L’AEF: Quel regard portez-vous sur le débat actuel sur l’apprentissage de la lecture?
Michel Fayol: Je suis triste de la façon dont se passe le débat car l’ONL (Observatoire national de la lecture), auquel j’appartiens, avait essayé de traiter la question de l’apprentissage de la lecture avec la sérénité et le recul scientifique nécessaires. Le débat rebondit aujourd’hui comme si l’on était encore dans les années 1960 ou 1970. C’est dommage de faire comme si les choses n’avaient pas avancé depuis. Je suis par ailleurs consterné que l’ONL n’ait pas pris toute sa part dans le débat comme si il avait été paralysé par le « resurgissement » de cette question. D’autant que, pendant un certain temps, les autorités se sont nourries des travaux de synthèse de l’ONL pour rédiger les programmes. On avait donc fini par croire que tout était fixé.
L’AEF: Existe-t-il des travaux scientifiques prouvant l’efficacité de telle ou telle méthode d’apprentissage de la lecture?
Michel Fayol: Tout d’abord, personne n’utilise plus depuis longtemps la méthode globale. Quant à la méthode dite syllabique, elle n’a jamais fait la preuve de son efficacité car elle n’a jamais été évaluée. La seule chose que montrent les travaux scientifiques sur la lecture, c’est qu’une part considérable de l’apprentissage de la lecture dépend de la maîtrise de la phonologie et de la connaissance des noms et des sons des lettres. La question essentielle n’est pas l’usage de telle ou telle méthode de lecture, mais bien de savoir comment faire pour qu’un enfant qui arrive au CP puisse avoir été préparé à construire des phonèmes, qui ne sont pas des sons, mais des unités abstraites et difficiles à acquérir, et à les mettre en relation avec les lettres. Et cela n’a rien à voir avec la méthode syllabique. Lire les lettres et les sonoriser ne suffit pas pour que les enfants construisent le phonème. Si c’était vrai, toute la génération des années 1950 aurait appris à lire. Remettre au goût du jour la méthode syllabique n’est qu’une reconstruction idéalisée d’un monde qui n’a jamais existé. Les recherches menées aux États-Unis disent exactement la même chose: les enfants qui sont les plus avancés dans la « conscience phonologique » sont ceux qui apprennent le mieux à lire.
L’AEF: Le véritable enjeu de l’apprentissage de la lecture ne se situe donc pas selon vous dans l’opposition entre méthode globale et méthode syllabique?
Michel Fayol: Ce n’est pas la première fois que ce débat fait surface. Cette question a été récurrente au cours des 30 dernières années. Mais ce qui est regrettable aujourd’hui, c’est que nous disposons d’un recul scientifique suffisant pour dire que le débat n’a pas lieu d’être. Ce qui est vraiment important, c’est d’amener les maîtres à s’appuyer sur la maîtrise des phonèmes et la connaissance des lettres avant d’apprendre à lire aux enfants. Il y a de grands progrès à faire dans le domaine de la formation des maîtres sur ce point. Ensuite, il ne faut pas oublier que l’apprentissage de la lecture ne se limite pas au déchiffrage. Cet outil doit en effet s’appuyer sur des connaissances lexicales, syntaxiques, culturelles… Et là-dessus, l’école a également beaucoup à faire.
dépêche de l’AEF (Agence Education Formation) reproduite avec son autorisation www.L-aef.com
– Les trois principaux syndicats de l’enseignement primaire, le Se-Unsa, le Snuipp, le Sgen-Cfdt, appellent les enseignants à ignorer la circulaire ministérielle sur la lecture. Ils considèrent qu’elle » ignore la réalité des pratiques mises en oeuvre dans les écoles, officialise une prise de position quasi-idéologique, totalement contre-productive en matière pédagogique ».
Une dizaine d’organisations, l’Agiem, l’Airdf, le Crap, l’Icem, la Fcpe, le Gfen, la Ligue de l’enseignement, le Snuipp, le Se-Unsa, le Sgen-Cfdt, l’Afef, appellent à signer la pétition » Apprentissage de la Lecture : Assez de polémiques, des réponses sérieuses ! ». Une démarche à laquelle nous nous associons.
http://www.snuipp.fr/article3019.html
– Le syndicat des inspecteurs de l’UNSA très critique
http://www.unsa-education.org/sien/dossiers/systeduc/premierdegre/methglobComPress.htm
– Des chercheurs réagissent :
• Jacques Bernardin revient sur les chiffres
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lemensuel/lesysteme/Pages/2005/tribune_68_accueil.aspx
• Roland Goigoux demande qu’on cesse de mépriser les compétences professionnelles des enseignants des écoles
http://www.snuipp.fr/IMG/pdf/fsc279.pdf
• jacques David explore le B-A-BA
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lesdossiers/Pages/baba_index.aspx
• Le Blog du Café sur la question
http://www.cafe-leblog.net/index.php?2005/12/13/30-l-enseignement-de-la-lecture
– Pour Libération, le ministre ne sais pas lire
« Le ministre déforme les conclusions d’une étude sur l’apprentissage de la lecture » affirme, dans Libération, Emmanuel Davidenkoff. G. de Robien aurait caviardé habilement un extrait d’un rapport de l’Inspection générale et de l’Observatoire national de la lecture pour le mettre au profit de sa circulaire.
http://www.liberation.fr/page.php?Article=350195
– Des chercheurs (Jean-Pierre Astolfi, Anne Barrère, Élisabeth Bautier, François Dubet, Marie Duru-Bellat, Dominique Glasman, Roland Goigoux, Jean Houssaye, Samuel Johsua, Claude Lelièvre, Philippe Meirieu, Jacques Pain, Patrick Rayou, Jean-Yves Rochex, etc.) souhaitent « entrer en résistance » contre la globalité du projet ministériel sur l’école (l’apprentissage à 14 ans, la réforme des ZEP, l’abandon des TPE et la réintroduction de la méthode syllabique). Le Café Pédagogique soutient cette intitiative.
http://www.ecole-resister.net/
– Suivre des débats sur la question
sur le site d’Education et Devenir, échanges entre chercheurs
http://education.devenir.free.fr/Tribune.htm
Le dossier des Cahiers Pédagogiques
http://www.cahiers-pedagogiques.com/article.php3?id_article=2077