« Penser qu’une loi pourrait s’imposer aux enseignants d’une manière immédiate relève de la naïveté, de la méconnaissance du milieu professionnel, ou d’un aveuglement idéologique. Et peut-être des trois. Cette vision du métier empêche de voir que le travail effectif des professeurs consiste à ajuster leur enseignement en fonction d’une appropriation et d’une traduction des connaissances historiques, ici, singulièrement éloignées des attendus de la loi » Dans Libération, Benoît Falaize et Françoise Lantheaume .réagissent à l’article 4 de la loi du 23 février 2005 qui impose d’évoquer « le rôle positif de la présence française » dans les colonies.
Ils montrent l’enjeu de cette mémoire. « L’héritage de la France est aussi colonial. Les enseignants le partagent avec leurs élèves. La place que la société française accorde et accordera à cet héritage est un choix éminemment politique. Dire cette histoire en classe, dans toute sa complexité, loin de tout jugement moral, fondée sur les derniers travaux scientifiques, analyser la rencontre coloniale et ses effets sur la société d’alors et d’aujourd’hui, d’ici et d’ailleurs (un ailleurs qui fut français), c’est contribuer à fabriquer de l’histoire commune et du sentiment d’appartenance, ce qui est aussi une des missions de l’enseignement de l’histoire. C’est moins le passé de la France que son avenir qui est en jeu ici, moins son histoire que son devenir, en tant que société fondée sur une culture et un projet communs ».
Dans L’Humanité, Benjamin Stora parle d’une « dangereuse guerre des mémoires ». » Ce vote de 2005 brise le consensus des années 1960, tourne le dos à la politique du général de Gaulle, installe officiellement dans l’espace politique classique de la droite les anciens partisans de l’Algérie française. Il donne une légitimité à leur combat ancien, et perdu. En valorisant l’oeuvre coloniale, il ne reconnaît pas les aspirations des peuples colonisés qui s’étaient exprimées sur les principes du passage aux indépendances politiques. Cette régression est dangereuse, elle choisit de privilégier une mémoire contre une autre. Ce morcellement de la mémoire nationale ouvre sur de nouvelles guerres mémorielles pouvant conduire aux pires débordements ».
Sur le site académique de Dijon, Vincent Chambarlhac rappelle que » durant la période coloniale, l’Ecole fut l’une des institutions promotrices d’une culture coloniale en métropole. Dans l’immédiateté du processus de décolonisation, les manuels scolaires furent, par exemple, mutiques si l’on suit l’analyse de Sandrine Lemaire; après 1980, ils séparent strictement le fait colonial et le fait national. Dans les programmes de 1998 (classe de 3e), de 2001 (classes de 1ere et terminale), colonisation et décolonisation apparaissent comme deux processus distincts ». Il invoque lui aussi « l’impensé colonial » et deux lignes de fractures de la société française : celle inscrite par la reconnaissance de l’esclavage comme un crime contre l’humanité et la crise du modèle républicain d’intégration.
Le ministre lui-même semble peu convaincu par le texte adopté et confirmé par sa majorité. « L’article 4 de la loi du 23 février 2005 n’implique aucune modification des programmes actuels d’histoire qui permettent d’aborder le thème de la présence française outre-mer dans tous ses aspects et tous ses éclairages ».
Deux pétitions circulent. L’une, sur le site de la Ligue des droits de l’Homme de Toulon, contre « une loi amputant le passé des millions d’habitants de ce pays, nationaux ou étrangers, qui ne se reconnaissent pas dans cette déformation unilatérale de l’histoire. Une loi qui impose une histoire officielle et nie la liberté des enseignants, le respect des élèves. Une loi qui ne peut être appliquée, mais dont on ne peut obtenir l’abrogation ». L’autre, à l’initiative de partis de gauche, demande l’abrogation de cet article de la loi.
http://www.liberation.fr/page.php?Article=341872
http://www.humanite.presse.fr/journal/2005-12-06/2005-12-06-819358
http://webpublic.ac-dijon.fr/pedago/histgeo/Former/Stages/Colonies/fait_colonial.pdf
Les pétitions
http://www.ldh-toulon.net/article.php3?id_article=1058
http://www.abrogation.net/
Rappelons que le Code de l’indigénat, qui établissait un statut d’infériorité pour les colonisés, a été aboli le 7 avril 1946. Des enseignants d’histoire-géographie appellent à recueillir la mémoire des dernières personnes ayant connu ce régime avant qu’ils ne disparaissent. Le Café invite à célébrer cet anniversaire. Nous souhaitons que cette date soit l’occasion de lancer une vaste enquête en lien avec nos collègues. Elle pourrait faire revivre la mémoire de cette époque. C’est peut-être une réponse adaptée à une loi déplorable.
http://cafepedagogique.net/lemensuel/lenseignant/schumaines/histoire/Pages/2005/67_accueil.aspx
Le dossier spécial du Café sur le fait colonial
http://cafepedagogique.net/lemensuel/lenseignant/schumaines/histoire/Pages/2005/66_accueil.aspx