La rentrée scolaire a été accompagnée d’une campagne d’information sur le bureau virtuel pour les élèves (mais au fait qu’est devenu le bureau virtuel des profs ?). L’intérêt pour les environnements numériques de travail – ENT – et les successeurs des environnement numérique des savoirs (ENS – devenus Canal numérique des savoirs – CNS – ou Kiosque numérique pour l’éducation – KNE) ainsi que la multiplication des propos sur les cartables électroniques annoncent-ils une véritable évolution des pratiques ou sont-ils simplement un effet d’annonce ? Ne serait-ce pas plutôt la nouvelle « danseuse » de décideurs et de passionnés des technologies en mal de visibilité de leur action et donc de reconnaissance ?
La lecture de ces annonces révèle en tout cas un élément essentiel : la volonté de faire revenir l’industrie des TIC dans le monde de l’éducation. Après quinze années de tentatives de toutes sortes, les professionnels de cette industrie avaient fait le choix d’aller de plus en plus vers le grand public, seul secteur prometteur en terme de rentabilité. Mais là encore, les choses sont loin d’être simples : il ne suffit pas de mettre en vente un produit ou un service auprès du grand public pour qu’il soit adopté. C’est pourquoi on ressent dans tous les propos, mais en filigrane, le fait que les professionnels du secteur TIC sont actuellement à la recherche d’une synergie prescripteur/acheteur/utilisateur. Or le bras de levier qu’ils tentent de mettre en mouvement s’appuie sur la synergie entre l’école et les familles : s’il y a continuité d’usage, il y aura continuité de conduite d’achat !
Quelques preuves de cette tentative de mise en lien apparaissent au travers de ces annonces : le cartable numérique, c’est bien pour continuer l’école à la maison, habillée d’égalité des chances; les environnements numériques de travails sont accessibles de partout et donc sans discrimination, tant pour les usagers que pour les acheteurs; quant au Canal numérique des savoirs et autres sources documentaires, eux aussi complètent l’offre et rendent cohérente une offensive qui vise à faire de chaque famille un nouvel acheteur (direct, ou indirect au travers des collectivités territoriales dont les élus mesurent aisément l’intérêt). Ainsi installé, le dispositif peut sembler a priori efficace, si l’on se place du seul point de vue de ceux qui les ont conçus. Après tous ils ont fait de « longues études », comme il se doit, leurs propositions sont sûrement bonnes. Ainsi Robert Ballion avait raison en 1980 lorsqu’il énonçait l’idée d’un consumérisme scolaire ; mais il avait peut être insuffisamment mesuré que ce commerce pourrait aussi profiter à certaines entreprises parfois peu scrupuleuses comme le montre le débat en Amérique du nord sur la pression des sociétés commerciales sur l’école. Sauf que, pour que de telles prophéties puissent se réaliser, encore faut-il que les usagers soient partie-prenante et s’engagent dans de tels dispositifs.
Or l’école n’est pas (encore ?) prête. Examinons un peu l’histoire récente des TIC et retrouvons la mémoire : qu’en est-il de toutes les initiatives connues depuis le début des années 80 ? Quelle est l’étendue des pratiques réelles des TIC dans les établissements ? On trouvera sûrement tel enseignant multivitaminé, ou tel établissement hyperbranché, pour nous faire l’article. Mais au fond des classes, les choses sont loin d’être à l’identique de leur enthousiasme et la réalité incite à une grande modestie…..
Non ! Les enseignants ne résistent pas, au contraire même, ils sont plutôt volontaires… Ils sont confrontés à plusieurs interrogations qui ne facilitent pas leur investissement. Qu’en est-il de la culture et de la forme scolaire aujourd’hui ? A-t-elle changé à tel point que la place des TIC (nouvelles ou anciennes) y soit devenue incontestable ? Une analyse rapide permet de constater que la réalité éducative énoncée dans le « grand débat » par exemple ne laisse aucune place, ou si peu, et seulement dans les conclusions, aux questions concernant les TIC en éducation. Il y a bien d’autres priorités à vivre chaque jour dans la classe et dans les établissements. Patrick Rayou et Agnès Van Zanten, dans leur ouvrage sur les nouveaux enseignants (« Enquête sur les nouveaux enseignants : changeront-ils l’école ? », Bayard, 2004) ne font aucunement référence aux TIC dans leur propos, mais par contre évoquent les nombreuses difficultés rencontrées au quotidien qui constituent autant de préoccupations pour les enseignants dans les établissements.
Notre hypothèse serait donc tout simplement que la question de la communication n’a aucune place dans l’éducation actuelle ou alors si peu de place. On s’est longtemps cantonné à des machines, à des artefacts, cela semblant suffisant pour signifier la bonne volonté des décideurs : du moment qu’on équipe en matériel, les choses suffiraient. La technologie en tant que telle a longtemps servi d’alibi pour cacher le véritable problème posé par la relation à l’information et à la communication dans notre société comme l’envisage Philippe Perrenoud.
Les initiatives prises autour du B2i et du C2i vont, selon nous, dans le bon sens, même s’il est nécessaire de les retravailler. Il faudrait probablement redéfinir certains item et préciser des indicateurs de compétences. Du dispositif prescrit aux réalités des usages il y a toujours un écart particulièrement important. La mise en place du B2i, par exemple, reste encore minoritaire. Ces initiatives sont davantage révélatrices du fossé culturel qui sépare les spécialistes, les passionnés des utilisateurs « ordinaires ». Elles ne parviennent pas à engager un réel changement dans le système éducatif. La professionnalité des enseignants est principalement évaluée sur la maîtrise des contenus, le respect des programmes, et l’autorité devant les élèves comme le rappelle le ministre de l’éducation, il n’y a donc que peu de raisons de s’intéresser à ces technologies. Le livre reste encore à cette rentrée l’enjeu majeur de toutes les régions (si l’on regarde la question de leur gratuité en lycée) en matière d’égalité des chances, preuve que le livre, et donc la lecture, reste au centre du mécanisme de sélection sociale auquel l’école contribue encore aujourd’hui.
L’arrivée, ou plutôt le retour sur la scène des « innovations techniques » serait donc bienvenue pour relancer le message selon ses zélateurs, l’annonce du bureau virtuel faite par le ministère en est une illustration. Le message concerne les outils logiciels et matériels, nous sommes loin d’une véritable évolution des cultures d’usage des technologies de l’information et de la communication dans l’enseignement. Ces innovations servent davantage leurs promoteurs : les responsables politiques montrent leur volonté et les techniciens gardent leur territoire. Quant à ceux auxquels elles s’adressent, ils sont laissés à l’écart, comme lors du plan Informatique Pour Tous en 1985. On peut déplorer l’énergie et surtout les moyens déployés dans ces projets si, à nouveau, on n’effectue pas un véritable travail d’analyse et de consolidation, dès que leur lisibilité médiatique sera enfin estompée. Il faudrait alors en tirer les enseignements, associer les acteurs concernés et ensuite, seulement, préciser les axes de l’action qu’il faudrait mener. On ne peut que constater que l’on a non seulement une mémoire défaillante, mais aussi que l’on ne se donne même pas les moyens de tirer les enseignements des expériences menées. Il suffit de chercher à savoir quels sont les réels équipements informatiques des établissements ou les réelles mises en place du B2i pour constater l’absence de connaissance véritable du terrain. Quant à la mutualisation des ressources, le conseil national pour l’innovation (CNIRS), qui avait tenté d’aller dans ce sens, a depuis disparu, son site Internet, toujours présent sur le site du ministère n’a pas été remis à jour depuis juin 2002.
Les jeunes vont vite nous montrer que si nous ne faisons rien à l’école, ils se débrouilleront pour faire mieux ailleurs. Dans ce cas, quelle sera la possibilité, pour eux, de construire réellement du sens si le seul lieu dans lequel la fonction du développement culturel est centrale, l’Ecole, renonce à sa mission au moins pour ce qui concerne les TIC ?
Bruno Devauchelle
François Jarraud
Voir également l’appel du Café pédagogique : « Cette année a été marquée par l’affirmation de nouveaux espaces numériques, nés sur le concept des « cartables informatiques ». Quelle place pour le secteur associatif éducatif, porteur des valeurs de gratuité et de mutualisation, dans ces nouveaux espaces numériques ? Un pôle associatif peut-il émerger face au pôle institutionnel et au pôle marchand ? »
http://cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/Paris04_index.aspx