» Dans un monde où les réseaux sont omniprésents la collaboration est plus forte que la compétition »
On ne nous en voudra pas d’emprunter à Clément Laberge, et plus précisément à l’article qu’il a bien voulu offrir à ce numéro 46 du Café, cette citation. Elle peut nous aider à mieux saisir le défi du développement de l’Espace numérique des savoirs dans le monde de l’éducation.
Mis en oeuvre par le ministère, l’E.N.S. a pour vocation de devenir un « portail d’accès à un socle minimal de ressources numériques, rassemblant les « fondamentaux » du savoir et accessible dans les conditions suivantes : gratuité et liberté d’utilisation des contenus mis à disposition à des fins pédagogiques » Offert aux établissements primaires et secondaires, on en attend une véritable intégration des TICE dans les pratiques pédagogiques.
Ces derniers jours, le projet a connu de nouvelles avancées. D’abord par la diffusion du « schéma directeur des espaces numériques de travail » qui montre que le projet technique global dans lequel s’insère l’ENS se construit. Ensuite, la semaine dernière, nous avons appris la naissance du « Canal Numérique des Savoirs », une structure regroupant 25 éditeurs multimédias français, suivie de celle du « Kiosque numérique de l’éducation », réunissant six maisons du groupe Hachette et Magnard. Ces grandes manoeuvres témoignent de l’intérêt des éditeurs pour l’ENS et de sa dimension économique. L’ENS est aussi un modèle économique censé rentabiliser les investissements multimédias des éditeurs. Le « tuyau » constitué par l’ENS permettra de facturer les droits d’utilisation pédagogique des outils multimédia de façon précise pour chaque établissement et chaque produit tout en offrant des ressources gratuites aux enseignants. Plus qu’une contradiction cette formule est un défi.
Défi d’abord du choix du financier. Si l’Etat paye l’expérimentation de l’ENS cette année, il appartiendra dans quelques mois aux collectivités locales d’en prendre, ou d’en refuser, la charge. Communes, départements, régions seront appelés à payer les droits pour les écoles, les collèges et les lycées. Le choix n’est pas que technique, il est éminemment pédagogique. Les collectivités locales achèteront-elles « sur étagère » des produits éditoriaux pour « leurs » établissements ou affecteront-elles des sommes aux établissements à charge pour eux de choisir les contenus ? La façon dont elles partageront, ou pas, la décision avec les enseignants affectera fortement l’efficacité pédagogique du dispositif. Gageons que dans le premier scénario, l’avenir de l’ENS sera court.
Or cette question renvoie à la conception même de l’ENS. Pour le moment l’ENS a été construit plus sur le modèle d’une télévision à péage que sur la réalité d’un réseau informatique. N’y ont accès aujourd’hui que des services développés par l’institution ou des produits commerciaux. Si l’ENS veut devenir un véritable levier des pratiques pédagogiques, et c’est bien la condition de sa réussite économique, il lui faudra dépasser ce modèle de la transmission verticale de contenus. D’abord parce que l’essentiel de la production éducative francophone est le fait d’initiatives ni commerciales, ni institutionnelles, personnelles, associatives, qui fleurissent sur le réseau, hors ENS, et que le Café fait connaître aux enseignants. Sans lien avec cet univers, l’ENS aura du mal à s’imposer dans les établissements. Ajoutons que ce serait un contresens d’utiliser Internet en ignorant les capacités multiplicatrices du réseau informatique. L’ENS devra lui aussi s’intégrer dans ce foisonnement coopératif où les richesses ne sont pas que consommées, elles sont également produites. Sans cette ouverture aux sites et aux productions des enseignants, l’ENS pourrait ne trouver ni son public, ni son financement.
A ce formidable défi, vient maintenant s’ajouter une nouvelle préoccupation. Huit mois à l’avance, on voit dès maintenant comment, au nom des logiques disciplinaires, les restrictions budgétaires servent de prétexte dans certains établissements à la remise en cause des dispositifs innovants. Cela n’est possible que parce que le discours institutionnel ne va pas toujours dans le sens de l’innovation et cède parfois aux délices du conservatisme et de la blouse grise. Or l’intégration des TICE a l’école ne se fera pas sans que celle-ci évolue. Entre l’ENS et la carte murale, la communication électronique et la voix de son maître, il faudra bien choisir. Citons, là aussi, Clément Laberge : » J’ai.. toujours cru que les technologies trouvaient leur juste place dans l’école quand elles contribuaient à en faire tomber les murs… et je pense que c’est plus vrai que jamais ».
François Jarraud
L’ENS
http://www.educnet.education.fr/ENS/default.htm
Le schéma des ENT
http://www.educnet.education.fr/chrgt/SDET-v1.pdf
Le Canal numérique des savoirs
http://www.cns-edu.net
Le Kiosque numérique de l’éducation
http://www.kiosque-edu.com