Note : Cet article est une adaptation d’une allocution qui a été prononcée le 2 décembre 2003, à Saint-Hyacinthe (Québec) dans le cadre du deuxième colloque sur les technologies de l’information et de la communication de la Fédération des établissements d’enseignement privés (1).
Au Québec, en 1925, le botaniste Marie-Victorin exprimait ainsi son inquiétude de voir les Québécois absents du monde scientifique :
» Une question angoissante se pose en ce pays, disait-il : y aura-t-il une science française en Amérique ? […] Parce que nous, les Canadiens français, nous sommes pour bien peu de chose dans toute cette marche en avant des découvertes scientifiques et dans tous ces reculs d’horizon. Le monde scientifique a marché sans nous ; il nous a laissés si loin derrière lui que nous l’avons perdu de vue et que beaucoup de nos compatriotes cultivés le croient petit et de mince importance parce qu’ils le voient de trop loin. La grenouille dans sa mare ignore le grand océan dit le proverbe japonais. C’est un peu notre cas. »
Force est de constater que l’inquiétude de Marie-Victorin ne s’est pas réalisée. Il y a aujourd’hui, au Québec, plusieurs universités importantes, des centres de recherche de tout premier ordre et des entreprises qui emploient des milliers de scientifiques dont la réputation dépasse largement les frontières et il n’y a aucun doute que le Québec contribue à l’aventure scientifique.
Mais si les inquiétudes de Marie-Victorin ne se sont pas réalisées, ce n’est pas parce qu’elles n’étaient pas fondées. C’est plutôt parce qu’il a su lire avec lucidité les tendances de son époque, qu’il a su exprimer avec vigueur sa vision d’un Québec moderne. Il a eu le génie d’incarner cette vision : dans de nouveaux lieux de formation (comme le Jardin botanique de Montréal), de nouveaux outils de formation (tel que son ouvrage, Flore laurentienne) et des réseaux d’apprentissage originaux (notamment l’Association canadienne française pour l’avancement des sciences (2) et les Cercles des jeunes naturalistes3).
Si j’ai choisi en introduction cette citation de Marie-Victorin, ce n’est pas pour vanter la réussite québécoise dans le domaine scientifique, mais plutôt parce que j’entretiens au sujet des nouvelles technologies les mêmes angoisses que Marie-Victorin en regard des sciences.
Je pense qu’il faut être préoccupé à l’idée que nous soyons exclus du monde technologique qui se dessine à l’horizon, parce que nous comprenons peut-être mal les enjeux qui accompagnent la naissance de la culture de réseau.
C’est un risque qui deviendra encore plus grand si nous ne comprenons pas, comme éducateurs et pédagogues, les leçons qui émergent des projets phares de la culture de réseau. Je pense ici particulièrement à Linux, bien sûr, mais aussi à SETI@Home, qui est moins connu, à Napster, à Slashdot et à quelques autres.
J’illustrerai plus loin la nécessité de bien comprendre les forces qui se manifestent derrière quelques-uns de ces projets et comment les valeurs qui mobilisent leurs créateurs sont en train de transformer en profondeur la société dans laquelle nous vivons et à laquelle nous devons préparer les enfants qui nous sont confiés.
Une certaine vision
Notre vision du monde influence notre capacité d’aider un élève à s’en façonner une, plus personnelle, par l’entremise de la relation pédagogique. Ainsi, quand on connaît la place qu’occupent les technologies dans la vie des jeunes de 5 à 17 ans – et bien après ! – comment peut-on raisonnablement penser remplir notre rôle d’éducateur si nous ne disposons pas d’une culture technologique adéquate ? Comment pourrais-je aider un enfant à élaborer une vision du monde qui intègre de façon convenable la réalité des technologies de l’information et de la communication, si ma propre vision du monde est désuète, voire complètement dépassée à cet égard ?
Si nous désirons permettre aux élèves de se façonner une vision personnelle du monde, une vision qui tient compte de l’omniprésence des nouvelles technologies, il faut d’abord que nous prenions conscience de notre propre rapport à ces technologies, voire de notre grande ignorance à leur sujet.
Je ne vois pas comment on peut espérer développer chez les élèves une vision éthique de la consommation si nous agissons encore comme s’il n’y avait pas des ados parfaitement capables de trouver sur Internet (illégalement, il va sans dire !) tout ce qu’ils désirent au chapitre des jeux vidéo, de la musique et des films, soit l’essentiel de leur » consommation culturelle « .
De la même manière, je ne vois pas comment on peut prétendre à l’éducation à la citoyenneté si nous ne savons pas que les rouages mêmes de la démocratie auxquels nous souhaitons initier les élèves sont en train d’être profondément bouleversés.
En fait, la principale question qui m’intéresse aujourd’hui pourrait être formulée ainsi : qu’est-il essentiel de savoir, aujourd’hui, pour posséder une vision du monde susceptible d’éclairer des décisions pédagogiques au sujet des technologies de l’information et de la communication ?
Un monde changé
On l’a dit, Internet a changé le monde. Mais en quoi Internet a-t-il changé le monde, justement ? Est-ce parce que, moyennant quelques dollars, il permet de jeter un regard voyeur dans le loft des émissions de télé-réalité? Parce qu’il permet de télécharger des fichiers musicaux gratuitement ? Parce qu’il permet de magasiner un grille-pain, même la nuit, même le dimanche, même en pyjama ? Ou encore, comme on se plaît souvent à le dire, parce qu’il constitue la plus grande bibliothèque du monde ? Je serais tenté de répondre que c’est à la fois tout cela et rien de tout cela.
Tout cela, parce que l’impact d’Internet sur les médias, sur la culture populaire et sur le commerce de détail est indéniable… mais rien de tout cela parce qu’à mon avis, il ne s’agit là que d’épiphénomènes, de manifestations de forces beaucoup plus puissantes qui s’activent derrière la technologie. Il y a derrière Internet beaucoup plus que des pages Web ; il y a des gens, qui ont des convictions et des valeurs, puissantes, qui à travers la technologie façonnent le monde dans lequel nous vivons. Parfois de façon très surprenante.
Qui aurait cru, par exemple, qu’un jeune Finlandais allait provoquer une véritable révolution dans le monde informatique en demandant simplement à des amis leur opinion au sujet d’un logiciel qu’il avait commencé à programmer dans ses loisirs ? Ou encore qu’un jeune » drop-out » américain allait faire trembler la puissante industrie du disque en mettant au point un mécanisme permettant de partager très simplement des fichiers musicaux ? C’est pourtant ce qui est arrivé avec Linux et Napster.
Linux ou le navire amiral du logiciel libre
C’est en 1991 que débute l’histoire de Linux. Linus Torvalds est alors âgé de 21 ans. Un matin du mois d’août, il fait parvenir le message suivant à une liste de discussion pour programmeurs : » Hello à tous. Je travaille pour l’instant sur un système d’exploitation gratuit (ce sera un passe-temps et non une occupation professionnelle). J’aimerais que vous me donniez vos impressions, positives ou négatives, sur ce travail « .
En lançant son message, Linus Torvalds ne se doute pas un seul instant qu’il vient d’amorcer une véritable révolution (une révolution qu’il qualifiera d’ailleurs lui-même par la suite » de révolution accidentelle « ). Or, au fil des mois qui ont suivi, son système d’exploitation s’améliora rapidement, en particulier grâce aux commentaires des membres de la liste de discussion. Peu à peu, le logiciel prend forme, devient plus robuste, intègre des améliorations proposées par d’autres programmeurs, professionnels ou amateurs, qui se joignent au projet bénévolement, sans rien demander en retour. Linus Torvalds n’est plus seul à programmer son logiciel et il agit de plus en plus comme coordonnateur en intégrant progressivement les bouts de code que des programmeurs anonymes habitant les quatre coins de la Terre lui font parvenir tous les jours. C’est devant cet engouement qu’il prend ce qui allait devenir sa plus importante décision.
Devant les questions de gens qui lui demandaient combien il faudrait payer pour avoir le droit d’utiliser Linux, il décide de refuser de marchander son logiciel. » Je ne voulais pas d’argent pour plusieurs raisons, raconte-t-il. […] J’avais le sentiment de marcher dans les traces de toutes ces générations de scientifiques et d’intellectuels qui ont fondé leur travail sur celui de leurs prédécesseurs » hissés sur les épaules des géants « , comme l’a si bien dit Newton. Non seulement je voulais partager mon travail pour que d’autres puissent y trouver de l’intérêt, mais je voulais aussi recevoir l’avis des autres. Cela n’avait aucun sens de faire payer des gens qui pouvaient éventuellement m’aider à améliorer mon travail. […] Je ne voulais pas vendre Linux. Je ne voulais pas non plus en perdre le contrôle. Ce qui signifiait que je ne voulais autoriser personne d’autre à le vendre non plus. J’ai donc fait en sorte que cela soit clair dans l’avis de droits d’auteur que j’avais joint aux fichiers sources de la première version […] [on pouvait y lire] : » vous êtes autorisé à utiliser mon système d’exploitation gratuitement tant que vous ne le vendez pas. Si vous effectuez une modification ou apportez une amélioration, vous devez la rendre disponible à toute personne […] Si ces règles ne vous conviennent pas, vous n’avez pas le droit de récupérer le code source ni d’en faire quoi que ce soit. «
Linux serait donc ce que nous appelons aujourd’hui un logiciel libre. Pas le premier, car déjà à cette époque la licence GPL (4) (pour » General Public License « ) qui est le contrat le plus commun dans le domaine du logiciel libre existe déjà depuis plusieurs années. Mais Linux allait devenir le navire amiral du logiciel libre, celui par lequel le rêve est devenu réalité.
Au cours des années qui ont suivi, d’amélioration en amélioration, Linux est devenu un des systèmes d’exploitation les plus puissants qui soient. Jusqu’à menacer Windows, de Microsoft, qui mène actuellement une véritable croisade contre Linux à l’échelle de la planète, et en particulier dans les pays du tiers-monde qui sont évidemment séduits par l’idée de pouvoir compter sur la collaboration de dizaines de milliers de programmeurs pour enfin pouvoir informatiser leurs services publics, et leur réseau d’éducation en particulier.
On retient souvent de Linux que c’est un logiciel gratuit. C’est à peu près vrai. Mais cela n’explique pas son importance. Ce qui importe dans le monde du logiciel libre, ce n’est pas le prix, c’est l’ouverture du code source. C’est le fait qu’on puisse voir sous le capot, savoir comment il fonctionne, y apporter des améliorations, l’ajuster à nos besoins… et ne pas dépendre d’une entreprise qui peut décider de faire ce qu’elle veut des logiciels qu’elle nous vend.
Si Microsoft interpelle systématiquement toutes les administrations publiques du monde qui se laissent tenter par Linux, c’est moins parce qu’ils perdent chaque fois plusieurs millions de dollars, que parce qu’ils savent très bien qu’en adoptant le logiciel libre, on acquiert peu à peu une autre vision du monde. D’où l’importance d’initier les enfants à la technologie, mais avec lucidité, en nous rappelant chaque fois qu’aucun choix technologique n’est politiquement neutre. En privilégiant une technologie plutôt qu’une autre, on adhère plus ou moins directement à une vision du monde.
En démontrant qu’il est possible de développer avec succès un logiciel aussi complexe qu’un système d’exploitation, de façon décentralisée et non-hiérarchique, uniquement en faisant appel à la collaboration de milliers de personnes qui ne se connaissent à peu près pas, qui n’ont pas les mêmes intérêts et qui sont à peu près toutes bénévoles, Linus Torvalds a fait bien plus que narguer Bill Gates. Son projet ne marque rien de moins qu’une étape déterminante dans l’histoire de l’humanité. Il faut le savoir ! Grâce à lui et aux milliers de gens qui ont cru en son projet, nous savons dorénavant que des réseaux informatiques peu coûteux et des moyens techniques dérisoires peuvent soutenir des formes de coopération et d’entraide d’une envergure qu’il était jusqu’à tout récemment impossible d’envisager.
Évidemment, pour se façonner une vision du monde qui intègre cette dimension récente de l’histoire humaine, il faut savoir que Linux existe, et qu’il a démontré que la collaboration à grande échelle, avec l’aide des réseaux informatiques, ça marche. Et comment! Aujourd’hui, des milliers de logiciels sont développés de la même manière que Linux, démontrant jour après jour qu’il ne s’agissait pas d’un simple accident de parcours et que, dans un univers où les réseaux sont omniprésents, la collaboration est plus puissante que la compétition à laquelle se livrent les grandes sociétés du logiciel.
Est-ce à dire qu’il faudrait installer Linux dans toutes les écoles ? Bien sûr que non. Ce serait une interprétation un peu simpliste de la situation, parce qu’il y a bien des raisons qui peuvent justifier le recours à d’autres technologies. Mais il m’apparaît indispensable pour des pédagogues, aujourd’hui, de connaître au moins dans les grandes lignes l’histoire de Linux et ce qu’elle nous apprend sur le pouvoir de la collaboration dans un monde où les réseaux sont omniprésents.
Le célébrissime Napster
Huit ans après Linux, Shawn Fanning lance Napster. Grand amateur de musique, son objectif est très simple : il veut permettre aux internautes de s’échanger facilement les fichiers musicaux qui se trouvent sur chacun de leurs disques durs.
Le procédé qu’il met en place est relativement rudimentaire. Il programme un logiciel qui aura pour effet de créer un réseau d’ordinateurs qui, en se connectant virtuellement l’un à l’autre, permettant à chacun de consulter le disque dur de tous les membres du réseau. En d’autres mots, en branchant mon ordinateur à celui de Roger, qui lui est relié à celui de Marie, je peux consulter le contenu de l’ordinateur de Marie. C’est ce qu’on appelle une infrastructure poste à poste (ou peer to peer).
Comme dans le cas de Linux et de la licence GPL, qui est à la base du logiciel libre, Napster n’est pas le premier logiciel à faire appel à un fonctionnement poste à poste. Plusieurs des protocoles qui permettent le fonctionnement d’Internet reposent sur ce principe. Mais Shawn Fanning aura été parmi les premiers à le rendre disponible au grand public… avec l’efficacité qu’on connaît !
L’important dans ce cas, c’est de comprendre que notre rôle comme éducateur n’est pas tant de faire en sorte que les élèves connaissent Napster – ils n’ont de toute façon pas besoin de nous pour le connaître ! – mais plutôt de leur faire découvrir que derrière Napster, il y beaucoup plus que des fichiers musicaux… Il y a une remarquable démonstration de la façon dont une idée à la fois très simple et très subversive, le partage, peut prendre des dimensions insoupçonnées dans un monde ou la technologie facilite la mise en réseau des personnes.
S’il fallait retenir de Linux que dans un monde où les réseaux sont omniprésents la collaboration est plus forte que la compétition, et de Napster que le partage acquiert une puissance inégalée dans un monde branché, il faut également retenir que la mise en commun des ressources permet d’accomplir simplement des tâches d’une incroyable complexité.
En anglais, on dit que la culture de réseau, ou la culture à code source libre ( » open source « ), se résume en trois énoncés : Share the goal, Share the work, Share the results. Je serais tenté de traduire par : mettre en commun nos objectifs, mettre en commun nos efforts, mettre en commun nos résultats.
Cela nous ramène un peu aux inquiétudes de Marie-Victorin… parce que ces valeurs sont aussi celles qui sont au coeur de la culture scientifique. Ce n’est d’ailleurs sans doute pas un hasard si la culture » open source « , ou la culture de réseau, est fortement soutenue par les communautés universitaires. C’est ce qui fait dire à plusieurs que la culture de réseau est une descendante directe de la culture scientifique. C’est également ce qui me porte à croire qu’il est aussi déterminant pour nous, et pour nos élèves, de comprendre dès aujourd’hui la culture de réseau que cela a été important pour les contemporains de Marie-Victorin de comprendre la culture scientifique.
Évidemment, les valeurs qui sont à la base de la culture de réseau sont aussi très proches de celles sur lesquelles se sont bâties plusieurs institutions d’enseignement. Combien de patinoires ou de gymnases se sont construits sur la base du partage et de la mise en commun ? Combien d’établissements ont été au coeur de remarquables opérations de partage et de mise en commun d’objectifs, de ressources et d’efforts à un moment ou l’autre de leur existence ? Tous ou à peu près.
Pourtant, malgré le fait que ces valeurs nous soient familières, nous n’avons pas encore véritablement intégré les technologies de l’information à notre vision du monde. Nous n’avons pas fini de constater qu’avant même d’imposer aux élèves la nécessité de manier le traitement de texte ou le chiffrier électronique, l’avènement des nouvelles technologies nous invite à remettre la confiance et le partage au coeur de leur vision du monde… pas seulement parce que ce sont de belles valeurs, mais parce que ce sont celles qui seront les plus utiles et les plus efficaces pour imaginer le monde dans lequel ils vivront demain.
Façonner sa propre vision du monde
J’aimerais maintenant m’attarder un peu plus concrètement sur la façon dont tout cela affecte notre quotidien, en tant qu’éducateurs. Encore une fois, il ne s’agit pas d’installer Linux dans toutes les écoles, ni d’inciter les élèves à télécharger de la musique sur Internet ou à partir à la recherche d’extraterrestres. Ce qu’il faut retenir, avant toute chose, c’est qu’il est absolument essentiel que tous les élèves soient le plus tôt possible mis en contact avec la culture de réseau. Et, pour ce faire, plusieurs moyens existent.
Il est absolument indispensable que tous les élèves sachent qu’il est aujourd’hui possible d’accomplir des tâches incroyablement complexes si on sait faire appel aux technologies pour susciter la collaboration de centaines de milliers d’autres personnes. Les élèves doivent savoir que même leurs rêves les plus fous seront réalisables s’ils apprennent à utiliser les technologies pour solliciter la collaboration de leurs pairs, où qu’ils soient sur la planète.
Plusieurs projets pédagogiques s’offrent aux écoles qui désirent mettre leurs élèves en contact avec le genre de collaboration et de réalisation collective qui permet de découvrir les fondements de la culture de réseau. Parmi les projets québécois qui intègrent, à divers degrés, les technologies de l’information et de la communication, on peut citer:
– Le » modèle pédagogique de recherche-action pour la résolution de problèmes communautaires (5) « , proposé par Claude Poudrier au Cap-de-la-Madeleine ;
– Les activités de solidarité internationale qui sont offertes par le Réseau In-Terre-actif (6) de Trois-Rivières ;
– Les collaborations entre experts de la biologie et des élèves du Québec et du monde entier qui sont rendues possibles par le Monde de Darwin (7), dans le cadre de Cyberscol, notamment grâce à Michel Aubé et à Robert David ;
– De nombreux autres projets de télécollaboration qui sont répertoriés par le site Prof-Inet (8) et pour lesquels un soutien pédagogique est parfois même offert aux enseignants.
– Plusieurs projets qui sont proposés par le RÉCIT (9).
Ce ne sont là que quelques exemples qui illustrent que la maîtrise pratique des technologies est subordonnée à la découverte et à l’apprentissage de la richesse que représentent les réseaux de collaboration et d’entraide qui sont rendus possibles par cette même technologie. On parle de plus en plus de co-élaboration de connaissances pour décrire ce type de projets.
Au Québec, il y a aussi bien des pratiques de plus en plus courantes dans les écoles, particulièrement au niveau primaire, qui appartiennent d’une certaine façon à cette exploration de la culture de réseau. Je pense entre autres aux conseils de coopération, aux cercles de lecture et aux activités de philosophie pour enfants… Ce n’est d’ailleurs pas une coïncidence si ces projets s’inscrivent à la fois très bien dans la vision de l’éducation que propose la réforme et dans la culture de réseau.
Parmi les expériences qui m’ont personnellement convaincu de la réalité de ces tendances au cours des dernières années, il y a la découverte du monde de ce que les Américains appellent les » weblogs « , qu’on traduira en français par cybercarnets.
Mon carnet (10) est un espace personnel sur le Web que j’utilise pour noter quelques idées autour desquelles prend forme ma démarche personnelle d’apprentissage. J’y écris mes réflexions, des notes de lectures et j’y entrepose ce qu’autrefois je conservais dans mes signets. J’écris dans mon carnet d’abord et avant tout pour moi. Mais je le fais dans un espace public… parce qu’ainsi, je permets à d’autres personnes de côtoyer ma réflexion, d’enrichir la leur et d’enrichir la mienne par la même occasion.
Concrètement, quand j’écris un texte sur mon carnet, un mécanisme très simple informe des dizaines de personnes qui s’intéressent à des sujets semblables aux miens que je viens de publier quelque chose. De la même manière, chaque fois que j’ouvre mon ordinateur je suis informé des nouveaux éléments de réflexion qu’ont formulés des centaines d’autres personnes qui réfléchissent aux mêmes sujets que moi. Un nouveau type de conversation prend forme grâce aux carnets. Et en commentant mutuellement nos réflexions respectives, sans contrainte aucune, nous contribuons tous à ce que Pierre Levy a baptisé l’intelligence collective.
Les carnets permettent la mise en commun des objectifs, la mise en commun des efforts, et la mise en commun des résultats, dans le cadre d’une démarche personnelle d’apprentissage.
Il faut probablement constater, en la vivant, toute la puissance de ces outils pour arriver à y croire. Je ne vous demande donc pas de me croire sur parole. Mais quand on publie un texte un matin et qu’on trouve sur Internet quelques heures plus tard un commentaire au sujet de notre réflexion, qui a été écrit par un parfait inconnu vivant sur un autre continent… et que ce commentaire porte à notre attention un document sur lequel nous ne serions autrement jamais tombé, on comprend vite qu’il y a derrière ce mécanisme très simple une véritable révolution.
C’est après avoir fait cette découverte et l’avoir vécu pendant plus d’un an, avec intensité, que j’ai eu le goût d’explorer comment il était possible de mettre cette extraordinaire puissance de réseautage à la disposition des enfants du primaire. Et après une année d’efforts, c’est ce qui a donné naissance aux cyberportfolios qui sont utilisés cette année par les élèves de cinquième et de sixième année (10 et 11 ans) de l’Institut St-Joseph de Québec (11).
Les cybercarnets illustrent très bien comment, si les technologies posent aux écoles d’énormes enjeux par la culture nouvelle qui les accompagne, elles nous offrent aussi, comme éducateurs, des outils très simples et très puissants pour initier les élèves à la culture de réseau.
L’imagination au pouvoir
Ce que j’ai eu envie d’illustrer ici, au fond, est assez simple… Je crois que nous avons tous les repères pour aborder la culture de réseau et aider les enfants à se façonner une vision du monde moderne, dans laquelle les technologies sont source de liberté plutôt que d’asservissement à la machine et aux contraintes du marché.
La première condition de notre réussite, c’est d’être conscient que c’est dans la tradition de nos communautés éducatives que se trouve notre meilleure guide dans cette aventure.
La deuxième condition de notre réussite, c’est de toujours garder à l’esprit que si la culture de réseau nous apprend que les ordinateurs peuvent être utilisés pour mettre en commun nos objectifs, nos efforts et nos résultats, cela n’est possible que lorsque les êtres humains qui les commandent partagent un certain nombre de valeurs et d’habiletés… que l’école a précisément le rôle de développer chez les enfants.
Les technologies présentées dans un cadre scolaire aident les élèves à se façonner une vision personnelle du monde, qui leur permettra de devenir dès que possible des hommes et des femmes à la fois libres et solidaires.
Ce n’est pas par élitisme qu’il faut insister sur l’importance des technologies à l’école, c’est par humanisme. Parce que nous savons dorénavant que ces nouvelles technologies offrent aux élèves de nouveaux moyens d’aller à la rencontre de l’autre, d’apprendre à travailler en communauté, de multiplier les occasions de partager de l’information et de créer ensemble.
J’ai personnellement toujours cru que les technologies trouvaient leur juste place dans l’école quand elles contribuaient à en faire tomber les murs… et je pense que c’est plus vrai que jamais. L’avènement des technologies de l’information et de la communication nous invite à ouvrir la classe sur la cité, au sens où l’entendaient les Grecs.
Avec l’ordinateur, grâce à la culture de réseau, nous pouvons enfin rêver d’une salle de classe ouverte sur le monde, où toutes les ressources de la cité peuvent être mobilisées, où l’école peut enrichir la vie collective au même titre que la collectivité peut enrichir l’expérience que les élèves ont de l’école. Et c’est sur cela qu’il faut nous concentrer. Et pour faire des choix pédagogiques en conséquence, il faut que nous comprenions bien les fondements de la culture de réseau, tels que nous les révèlent les réalisations de Linus Torvalds, de Shawn Fanning, de David Anderson et de Dan Werthimer… et de Marie-Victorin !
Façonner sa vision du monde, c’est beaucoup plus qu’interpréter le monde tel qu’il est, c’est aussi acquérir sur lui un pouvoir d’action, et pour cela être capable de l’imaginer autrement. En ce sens, l’important pour les élèves que nous côtoyons, n’est pas tant d’avoir la capacité de prédire le monde de demain, mais bien d’acquérir la capacité de l’imaginer différent. Parce que c’est seulement dans ces conditions que l’on peut parler de liberté.
Clément Laberge
Directeur veille et stratégie, Opossum Inc.
Courriel : claberge@opossum.ca
1 http://www.cadre.qc.ca/feep/
2 http://www.acfas.ca/
3 http://www.cjn.cam.org/
4 http://www.gnu.org/copyleft/gpl.html
5 http://www3.sympatico.ca/claude.poudrier/francais/accueil/accueil.htm
6 http://www.cstm.qc.ca/in-terre-actif/
7 http://darwin.cyberscol.qc.ca/
8 http://www.cslaval.qc.ca/Prof-Inet/
9 http://www.recit.qc.ca/
10 http://carnets.ixmedia.com/remolino
11 http://cyberportfolio.ixmedia.com