Le B2i en 2004. Enquête et analyses 

Le B2i objet "incompréhensible" pour l'Ecole ?


par Bruno Devauchelle

 

La mise en place du B2i dans les établissements scolaires primaires et secondaires après avoir provoqué la surprise, voire le rejet pur et simple a suscité des débats, des questionnements au sein des équipes, mais aussi dans les différents espaces de discussion ouverts aux acteurs des établissements (listes de diffusion etc…). L’accompagnateur, le formateur, l’inspecteur, bref tous ceux qui disposent d’un poste d’observation particulier sur le développement du B2i ont pu relever de nombreuses incompréhensions exprimées soit par des questions posées, soit au travers de pratiques qui ne sont pas sans soulever de nombreuses interrogations, soit même à partir du refus pur et simple de sa mise en place. Nous proposons de passer en revue quelques une de ces incompréhension et ensuite de les soumettre à l’analyse critique.

- Ne pas connaître le texte, voire l’existence du B2i

Nombre d’enseignants et de chefs d’établissement ont déclaré au cours des deux premières années qui ont suivi sa publication ne pas avoir connaissance de ce texte. L’anecdote peu sembler insignifiante, car désormais plus personne n’ignore le B2i, mais elle prend tout son sens si l’on interroge la professionnalité. Certes, il est impossible de connaître tous les textes qui sortent, mais nos observations nous ont montré que deux interprétations étaient possibles: le refus de voir, l’absence de vigilance.

Refuser de voir, c’est adopter une posture qui peut interroger sur la relation que l’on entretient avec l’institution d’une part et avec l’objet TIC d’autre part. Vis-à-vis de l’institution, la question de la connaissance des textes ne peut être suffisante, elle se double bien évidemment de leur mise en application. On peut tout de suite imaginer le lien que d’aucuns font entre les deux, et la relation de causalité que l’on invoque pour éviter de se soumettre à la loi. Vis-à-vis des TIC, ce refus de voir peut aussi révéler une prise de position qui peut être fondamentale. En s’opposant à l’intrusion des TIC dans le champ de l’enseignement, on définit une position qui demande débat. On peut fort bien admettre ce refus, on ne pourrait accepter une ignorance. C’est pourquoi il convient davantage d’engager un dialogue de fond que de s’arrêter à l’argumentaire de surface sur refus de voir

L’absence de vigilance peut révéler une attitude plus dangereuse à terme. En effet, cette position de passivité, alors que l’on est acteur rémunéré au sein d’une institution, est difficilement compatible avec le sens même de la profession d’enseignant, mouvante par définition même, puisque au moins les élèves changent chaque année. Ainsi, et cela s’est rencontré à plusieurs reprises dans de nombreux systèmes éducatifs, l’absence de vigilance rend progressivement obsolète une profession et un système qui sont, encore aujourd’hui au cœur du processus civilisationnel.

- Ne pas connaître le calendrier de mise en place

La méconnaissance du calendrier est une observation courante qu’il faut préciser. C’est en particulier la date «d’obligation» du B2i qui est la moins connue. C’est surtout l’expression d’un écart entre l’impulsion et la réalité de terrain. Nous avons observé à de nombreuses reprises des équipes qui, après avoir énoncé leur ignorance de l’obligation, déclaraient ne pas pouvoir mettre en œuvre le B2i du fait du contexte de travail.

La méconnaissance du calendrier fait suite aussi à l’expression incertaine du texte qui associe le primaire et le collège de façon peu claire. C’est aussi la suite des changements politiques qui ont amené des équipes à ignorer les dates pour mieux attendre les prochaines. Aujourd’hui encore les changements de date successifs n’arrangent pas les choses, et la compréhension de la dimension impérative, pourtant exprimée dans les textes, est traduite en fonction du texte initiale: quand cela sera possible réellement dans l’établissement!

- Avoir lu la feuille de position sans lire le reste du texte

C’est un des cas les plus courants que nous avons rencontrés, en particulier auprès des enseignants qui ne sont pas initialement impliqués dans le B2i. Il nous est souvent arrivé de constater que le responsable du B2i ne distribuait à ses collègues que les feuilles de position, quand il n’avait pas, comme cela s’est fait au début de l’année scolaire 2004, modifié le carnet de correspondance en y insérant les feuilles de position sans en parler à l’ensemble des collègues qui ont ainsi découvert non seulement l’existence du B2i, mais aussi sa curieuse mise en place dans l’établissement.

Il semble, à observer les équipes, que la présentation des feuilles de position a eu un effet catastrophique: d’une part cela a paniqué les plus néophytes qui y ont vu un galimatias technique, d’autre part cela à entraîné une méconnaissance du reste du texte qui comporte le cadre de mise en œuvre et l’ensemble des attendus ayant amené au B2i. De plus cette feuille de position annexée au bulletin officiel a eu un effet enfermant pour beaucoup d’équipes qui n’ont pas osé la «retoucher» alors qu’à l’évidence il y avait du travail à faire. Encore aujourd’hui la prégnance de cette feuille a créé dans l’imaginaire de nombre de nos collègues une représentation techniciste du B2i que l’ensemble du texte ne donnait pas. L’effet formulaire (alors que les compétences étaient présentées dans le corps du texte lui-même) a été très impressionnant, puisqu’il a même généré des productions informatiques qui correspondaient rigoureusement à cette feuille, mais pas au sens inscrit dans le texte. Ainsi les multiples validations n’apparaissent pas dans la feuille, de même qu’il est proposé d’ajouter des compétences non listées alors que le modèle de feuille ne le permet pas, et n’y invite même pas.

- Ne pas comprendre les différentes parties du texte du B2i

Le niveau d’expression retenu aussi bien dans le texte lui-même que dans le référentiel de compétence a été parfois mal compris. C’est d’abord la compréhension des compétences listées qui a été signalée. Une explication a certainement manqué et malheureusement les documents publiés soit par les sites officiels, soit par les éditeurs n’ont pas contribué à clarifier les choses. Il suffit de comparer deux ou trois publications sur le sujet pour en prendre conscience.

La compréhension ne s’arrête pas au premier niveau qui est celui du sens des mots, mais elle est aussi en difficulté pour la déclinaison des compétences dans la réalité quotidienne. Les débats entre les enseignants-documentalistes en sont une illustration. Estimant tantôt que le B2i ne prenait pas en compte la spécificité de leur mission et tantôt qu’ils devaient avoir une responsabilité importante pour valider certaines compétences qui ne relevaient que de leur champ d’activité, ces personnels ont rapidement et légitimement interprété le texte du B2i en fonction de leur position dans leur contexte professionnel.

- Trouver que le B2i c’est du travail en plus

En prenant connaissance du texte et constatant que le B2i ne faisait aucunement référence à un quelconque espace temps dans l’organisation scolaire, nombre sont ceux qui ont déclaré que le B2i c’est du travail qui s’ajoute aux nombreuses tâches qu’ils ont à accomplir et qu’ils n’ont souvent pas le temps d’accomplir. Cette remarque est fréquente et recouvre deux réalités différentes et complémentaires. L’une est l’observation de la vie quotidienne des enseignants qui ont beaucoup de mal à intégrer les TIC dans leur classe et qui se demandent s’il leur sera possible, en plus de valider les compétences B2i. L’autre est liée à la représentation du métier d’enseignant qui se définit par des «cases» (l’emploi du temps). Or le B2i n’y apparaissant pas, ils se demandent «en plus de quoi?» ils vont participer au B2i.

- Ne pas savoir qui pilote, ne pas se sentir soutenu dans l’établissement

De nombreux enseignants ont signalé l’absence de dynamique interne à l’établissement pour mettre en place le B2i. Notre enquête de 2001 avait montré, ainsi que d’autres travaux que nous avons effectués ensuite, que la place du chef d’établissement était prépondérante pour une mise en place efficace. Il semble que cela se soit confirmé et que les initiatives qui n’étaient pas accompagnées d’un fort soutien institutionnel au sein de l’établissement étaient rapidement vouées à l’échec au moins partiel. Il est vrai que ceux qui se sont lancés seuls dans le B2i, sans avoir un soutien un peu collectif se sont mis dans des situations difficiles vis-à-vis de leurs collègues, certains faisant l’objet d’un rejet systématique.

- Transformer le B2i en examen

La solution adoptée de nombreuses fois et pourtant décriée a été de faire «passer un examen». D’ailleurs la confusion est entretenue au plus haut niveau du ministère puisque l’on peut lire dans la présentation du budget 2005 du ministère qu’il s’agit du «passage» du B2i, ajoutant, en contradiction, quelques lignes plus loin qu’il s’agit d’une «attestation décernée lorsque l’élève utilise de manière autonome et raisonnée les technologies…». En fait ce propos est le reflet plus général du questionnement principal que le B2i pose a système scolaire: peut-on valider des compétences sans lier cette évaluation à un enseignement spécifique.

La réaction habituelle à l’innovation est la transposition des modèles anciens sur les nouvelles propositions. Le B2i n’échappe pas à la règle et il est logique que la réaction examen, pourtant combattue dès le début par le ministère qui voyait venir la réaction, n’ait pu être complètement évacuée. Les éditeurs tentés par cette modalité qui était la plus simple on vite fait marche arrière et certains se sont même abstenus, comprenant la difficulté qu’ils auraient à entrer dans ce nouveau modèle.

- Ne pas comprendre comment mettre en œuvre des compétences B2i dans la discipline

La publication par l’académie d’Aix Marseille en premier pour le collège puis par le ministère pour les nouveaux programmes de primaire d’un découpage des instructions officielles pour chaque discipline en fonction de la place des TIC n’a pas permis à tous les enseignants de comprendre la place qu’ils pouvaient prendre dans la validation du B2i. Le problème est probablement en amont, comme nous l’avons indiqué précédemment, c'est-à-dire dans l’habitude de gestion de son enseignement que chaque enseignant a développé et que l’irruption des TIC remet en cause ou gène de façon importante.

Il faut noter à ce propos qu’il semble bien qu’un travail s’avère nécessaire pour permettre aux enseignants de mieux mesurer la place qu’ont prise les TIC non pas dans les programmes, mais dans les savoirs qui sont à la base de la discipline elle-même. Comment peut on comprendre les travaux actuels de certaines disciplines et les savoirs (versus connaissances) nouveaux générés si l’on met de coté le rôle que jouent les TIC dans leur élaboration? Cette explication devrait avoir une influence très nette sur les didactiques de ces mêmes disciplines comme on l’observe déjà.

Rappelons simplement pour mémoire que les enseignants de mathématiques de collège ne sont pas encore tous imprégnés de l’usage des TIC pour leur enseignement, même si c’est clairement indiqué dans les programmes.

- Ne pas savoir quand et comment valider des compétences

Une remarque souvent faite dans les établissements concerne la façon de valider des compétences. «Comment je peux me permettre de les valider? ». Deux fondements semblent être à la base de ce questionnement: la découverte de la logique des compétences d’une part, la difficulté à énoncer des indicateurs et des critères pour évaluer une compétence s’ils ne sont pas déjà écrits. Les enseignants du primaire qui ont déjà fait ce chemin ont d’ailleurs rencontré les mêmes difficultés et ont parfois renoncé, malgré des livrets détaillés, parfois trop.

Il semble que cette question touche plus globalement celle de l’évaluation dont on sait qu’elle est un des enjeux principaux du devenir de l’école. Autrement dit, le B2i soulève clairement des questions qui sont souvent enfouies dans le quotidien pédagogique. La persistance du modèle traditionnel de notation, malgré les travaux de recherche ayant montré les limites de cette modalité d’action (voire les travaux de M. Antibi sur «la constante macabre»), est un frein à un passage à un modèle basé sur les compétences.

- Ne pas avoir toutes les compétences techniques

La lecture du B2i au sein des équipes enseignantes a amené certains à dire que pour y participer il fallait soit même le maîtriser dans sa totalité. Dans l’imaginaire collectif l’enseignant maîtriserait la totalité des contenus qu’il enseigne. L’observation quotidienne montre qu’il n’en est pas tout le temps de même et que le degré de maîtrise des contenus enseignés est très variable, certains contenus devant être appris en cours de carrière car n’ayant pas existé auparavant. En réalité c’est la maîtrise de la situation d’enseignement qui, en englobant une maîtrise relative des contenus, permet à l’enseignant d’amener les jeunes à apprendre. Dans le cas du B2i, nous avons affaire pour certains à un contenu considéré comme nouveau. Le temps d’acquérir une maîtrise retardera inévitablement la mise en place du dispositif.

De plus beaucoup d’équipe n’ont pas effectué le travail de découpage du B2i afin de pouvoir le répartir en fonction de deux paramètres: les contenus d’enseignement, les compétences des enseignants. Un enseignant peut ne valider qu’une ou deux compétences, comme on l’a vu dans plusieurs établissements. C’est l’équipe qui validera l’ensemble du B2i.

- Se sentir dépossédé par le B2i (professeurs de technologie et professeurs documentalistes)

Le B2i a mis en question les enseignants de technologie et de documentation qui se sont parfois sentis dépossédés. Qu’ils ne valident pas les compétences pour lesquelles ils sont considérés comme compétents et ayant celles-ci en responsabilité dans l’établissement, les a amenés à protester. Cette protestation est d’autant plus forte que le statut de ces deux enseignements dans le collège (différemment au primaire) est souvent mal identifié par l’ensemble des enseignants voire méprisés par certains.

L’arrivée d’un tel texte les concernait donc au premier chef ce qui a amené à des réactions diverses et souvent une prise de responsabilité dans le B2i. L’observation a montré que cette prise de responsabilité sur le B2i s’est parfois transformée en captation, c'est-à-dire en rapatriement de l’objet B2i dans le champ spécifique de la discipline (cf le débats sur les rapports Joutard puis Secrétan).

- Considérer le B2i comme une nouvelle discipline

Certains ont vu le B2i comme une nouvelle discipline. Ou tout au moins ils l’ont traité comme tel. C’est en particulier le cas de nombreux «spécialistes» des TIC dans les établissements, emplois-jeunes, personnes ressources etc. qui ont trouvé là un espace de légitimité. Organisant alors un enseignement des items du B2i, puis un examen, ils ont transformé complètement le B2i en un enseignement traditionnel. Ceci s’est souvent fait avec l’assentiment des enseignants qui y voyaient là un alibi pour dire qu’ils appliquaient le texte du B2i sans pour autant avoir à s’en occuper.

On a observé aussi que certains ont refusé le B2i car il n’était pas une discipline, ou tout au moins qu’il n’avait pas la reconnaissance d’un enseignement traditionnel. Pas d’heure, pas de place sur le bulletin pas de place dans l’examen du Brevet, pas d’obligation de résultat…. Autant de symptômes qui n’étaient pas présent.

Conclusion

N’ayons pas une vision catastrophique des choses en lisant cet inventaire. Il est fait pour mettre en évidence les questionnements qui ont traversé et traversent encore les équipes qui mettent en place le B2i. Il faut reconnaître que toutes ces observations que nous avons retrouvées aussi comme témoignage dans notre enquête portent à réflexion. Proposer un tel dispositif a été un pari audacieux aujourd’hui conforté au niveau politique puisque le renforcement de la place du B2i dans les textes officiels est constant depuis 2000.

Ce qui est particulièrement intéressant c’est d’observer comment les équipes ont progressivement intégré ce dispositif. Ce n’est pas le nombre qui nous intéresse ici, mais la manière dont les choses se passent. Identifier les difficultés ne signifie pas dénoncer un échec, mais au contraire tenter de mettre à jour un processus dont, trop souvent, les initiateurs de dispositifs nouveaux, feignent d’ignorer l’existence pour dénoncer la réticence. La sociologie des usages est à ce sujet éclairante pour nous montrer que l’intégration d’innovation dans une organisation, comme l’a bien montré le travail de Norbert Alter, est un processus lent et surtout un processus qui appartient en priorité à ceux qui le vivent au quotidien.


Bruno Devauchelle




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