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Compétences : jeter le bébé avec l'eau du bain ?
Evaluation
Le symposium va discuter la notion de compétences en éducation. Attention, risque de turbulence.

younesNathalie Younès (Clermont) essaie de comprendre comment  la prescription de l'évaluation par compétences se met en oeuvre dans un collège "ordinaire", sans formation ni accompagnement particulier, comme c'est généralement le cas. Elle met sous sa loupe les pratiques d'enseignants en matière d'évaluation des compétences rédactionnelles, dans un établissement dont les élèves eux-mêmes jugent que l'ambiance n'est pas au travail soutenu. Lorsqu'elle interroge les enseignants sur le sens qu'ils donnent à l'évaluation, ils sont relativement peu satisfaits de leurs pratiques, un peu coincés entre la volonté de ne pas stigmatiser les élèves en difficultés et de continuer à pouvoir étalonner le niveau des uns et des autres. Les élèves sont plus directs : pour eux, la note de la copie, c'est l'attribution de valeur et de rang dans la classe. Il faut dire que nombre d'entre eux ne voient pas forcément non plus à quoi leur sert d'apprendre à produire des textes, si ce n'est pour rédiger une lettre de motivation... Selon ses observations, N. Younès considère que chaque enseignant bricole ses pratiques d'évaluations sans en être très content, mais sans que ce soit un objet d'échanges  collectifs. Peut-on pratiquer une "évaluation encourageante" sans être considéré comme un prof laxiste par ses pairs et par les élèves ? Comment ne pas passer trop de temps à réaliser des évaluations dont on n'est même pas sûr qu'elles changent quoi que ce soit  ? Dans un contexte social où élèves et familles semblent surtout chercher dans les notes un moyen de "passer" dans les bonnes filières, de décrocher les diplômes ou d'obtenir des places, rien qui  semble susceptible de susciter des évolutions dans les pratiques et représentations des uns et des autres...
mottier

Dans l'approche formative de l'évaluation, on s'intéresse beaucoup aux feedbacks, aux régulations faites par les enseignants, mais aussi aux diverses régulations qui traversent la classe, qui ont des effets sur les comportements et l'activité cognitive des élèves. C'est l'objet de recherche Lucie de Motier-Lopez (Genève).
Une question habituelle posée à l'évaluation formative est aussi l'articulation entre les "situations complexes" et les "tâches spécifiques".
Travaillant avec des élèves de 8 à 12 ans, elle filme des leçons de maths, et demande aux enseignants de sélectionner le passage qui leur semble pouvoir illustrer une situation d'évaluation formative, puis co-analyse avec eux ce qu'on peut en penser. Ce travail permet au groupe de tirer de conclusions sur les "manières de faire " qu'ils jugent pertinentes. Lorsqu'il est sollicité par les élèves qui n'arrivent pas à faire ce qu'on leur demande,  l'enseignant passe du temps à écouter l'explicitation de ce qu'il a fait,  des procédures qu'il a utilisées, afin de mesurer ce qu'il a fait pour arriver à ce résultat. Lorsque ces explicitations ne semblent pas satisfaisante, l'enseignant fait alors des choix explicatifs : expliquer une procédure particulière, revenir à l'énoncé ou sur le sens du problème, décomplexifier la tâche, rappeler des connaissances qui peuvent faire ressource... L'enseignant doit donc mobiliser des compétences professionnelles pour pouvoir anticiper, ajuster, évaluer à la volée, cadrer, identifier les obstacles, penser la progression des apprentissages à la fois dans des temporalités courtes et des progressions longues... Une longue liste qui amènera de l'eau au moulin de ceux qui pensent qu'enseigner est un métier qui s'apprend, nombreux dans les travées de l'AREF...

chenu

La réflexivité est-elle une garantie d'acquisition de compétences et de capacité de transfert ? C'est en tout cas ce que prônent les adeptes des compétences lorsqu'ils définissent le mot comme la capacité à "transférer" un apprentissage d'une situation à l'autre. Lorsqu'il interroge des adultes, en entreprise ou à l'université, il constate que tous sont loin d'avoir le même point de vue sur la "similarité" éventuelle de deux situations. Florent Chenu est donc aller voir du côté des analyses de la didactique professionnelle
pour comprendre ce qui fait que deux situations pourraient avoir des similarités. Il rencontre donc un nouveau groupe de professionnels avec qui il réalise des entretiens d'explicitations pour mesurer ce qu'ils peuvent dire de ce qu'ils font en situation, des ressorts de leur activité.. Il constate que pour une même opération, les raisonnements qui les sous-tendent peuvent être très différents, même quand la tâche est réussie, et conclut en remettant en cause le modèle de référence des "classes de situation".

chenu
Comment les enseignants réagissent-ils au modèle d'évaluation "en trois phases" mis au point par son groupe de recherche ? se demande Vincent Carette au début de son intervention. En effet, beaucoup de monde parle des compétences, le terme envahit l'espace sans qu'on soit en capacité de le discuter. Les Etats veulent à la fois piloter le système en le régulant par l'évaluation des établissements, sous la prission des parents-clients, et modifier les pratiques pédagogiques par les enseignants sur la base de ces résultats. Or, on ne sait pas si la notion d'efficacité en éducation se ramène à ces injonctions : est-on réduit à choisir entre enseignant dirigiste ou enseignant animateur ? entre évaluation de procédure ou évaluation formative ? entre "apprentissages de base" et démarche de problème ? entre approche "scientifique" et enseignement socio-constructiviste ? 
Carette refuse de jeter les compétences avec l'eau du bain : "on attache la notion de compétences. avec le modèle du socio-constructiviste. Mais vouloir former des élèves "compétents" ne signifie pas un enseignement par compétence. Quelles que soient les légitimes critiques contre les attaques libérales contre l'école, je propose de rester modeste devant l'ampleur de ce qui nous échappe. On ne peut pas actuellement garantir qu'un type d'enseignement amène nécessairement la construction de compétences. Commençons par informer et former les enseignants à développer leur capacité collective à se poser les questions de l'efficacité de leurs pratiques, plutôt que de prescrire la "bonne" manière d'enseigner".
C'est pourquoi son équipe a proposé aux enseignants belges un outil basé sur une évaluation en trois phases, dans laquelle on cherche à évaluer d'abord les compétences mobilisées par l'élève sur une tâche inédite (phase 1), avant de proposer aux élèves une seconde phase : la même tâche est découpée en tâche élémentaires, avec des consignes explicites, présentées dans l'ordre où elles doivent être accomplies. Enfin, si nécessaire, on évalue dans une troisième phase la maîtrise des procédures de base à utiliser dans les différentes phases du problème à réaliser.
Dans ce cas, les enseignants peuvent à la fois mieux comprendre les référentiels, évaluer leurs propres pratiques, réaliser un diagnostic sur les compétences des élèves, et travailler à comprendre "en situation" comment agir. Mais il pose des limites qu'il a constatées lorsqu'il regarde les enseignants contruire et utiliser ce genre d'épreuves : "cela nous prend beaucoup de temps", le fait que les épreuves "papier-crayon" ne permettent pas de "faire" (et donc de mesurer ce que les élèves savent faire effectivement !). Mais la "phase 2" (décomposition de la phase complexe) se fait toujours selon une certains logique, dont on constate qu'elle "bloque" certains enfants qui ne parviennent plus à avancer lorsqu'on les contraint à passer par un cheminement de pensée et d'action.
chenu

Prenant un exemple dans le second degré avec la correction de dissertations en SES, Marc Vantourout et Rémi Goasdoué focalisent leur attention sur l'activité de l'évaluateur, et des problèmes posés par la correction à l'enseignant. Bien sûr, ils retrouvent les biais qui influencent la notation. Ils postulent que lorsqu'ils évaluent, les enseignants infèrent, à partir de la production des élèves, sur ce qu'ils ont compris du texte qu'ils ont lu, de leurs connaissances dans la discipline d'enseignement, de leurs capacité de raisonnement. Ils en concluent que les correcteurs pratiquant l'évaluation par compétences relèvent légèrement les notes des copies moyennes, sans pour autant valoriser les copies considérées comme "mauvaises". Leur grille de référence leur sert sans doute de "garde-fou" : elle comorte des indicateurs, des niveaux d'exigence et un barème. Mais même ceux qui utilisent cette grille peuvent avoir une notation très différente sur un critère particulier. C'est sans doute parce que les "inférences" faites par les enseignants sur les phrases de la copie ne sont pas toutes identiques : certains concluent qu'une phrase définissant approximativement un concept est le signe d'une ébauche de compréhension, quand d'autres attendent une terminologie précise pour valider l'attendu. Certains prennent l'élève "au pied de la lettre" quand d'autres infèrent que l'élève à compris, malgré les formulations maladroites. Pas de magie des outils, donc, et la professionnalité de l'enseignant ne se résume pas à son appropriation d'une grille de compétences. Bonne nouvelle, non ?
Aider les élèves ? A quels prix ?
individualisation ?

Un double symposium, c'est comme un symposium, mais plus long. Toute la journée. Un truc pour accros. Celui-ci s'appelle "Personnalisation et individualisation des parcours des élèves".

Acte 1. Introduisant la journée,  Patrice Bourdon insiste sur les changements induits dans les métiers de l’enseignement. « Institutionnaliser des parcours d’aide personnalisée, par des enseignants ordinaires ou des maîtres spécialisés, voire des partenaires extérieures, dans ou hors du temps scolaire : c’est la prescription grandissante des institutions. Avec quels effets ? ».

mauliniMunier

Olivier Maulini et Cynthia Munier, de l'Université de Genève, soulignent les tensions de l'Ecole, le conflit entre l'interne et l'exerne de l'Ecole, la rupture des continuités.  Ils citent une directrice d'école genevoise qui prend position devant l'empilement des dispositifs : "Les enseignants s'occupent plus de les orienter vers les bons casiers que de les garder dans les classes". Les constats de l'étude qu'ils ont conduite montrent que les évolutions des plans d'études genevois mettent les enseignants en situation instable, tant les injonctions sont multiples et diffuses. Suite à la votation populaire qui s'est aussi prononcée pour le retour des notes et des filères, et la fin des cycles, les élèves identifiés en fin d'année comme "en difficulté" sont désignés pour des dispositifs spécifique l'année suivante.  "Mais les mesures bureaucratiques, si elles rassurent, permettent-elles de ne pas rendre les enseignants fous, entre l'injonction paradoxale de la réussite de tous et la reconstruction des filières..." conclut O. Maulini.


Réagissant aux propos, Christine Felix invite à préciser davantage les différents types de difficultés auxquelles les élèves sont confrontés, mais aussi celles des enseignants. "Si élèves et enseignants sont chacun dans la classe, ils ne sont pas confrontés aux mêmes registres de problèmes". Elle questionne l'a-priori positif des auteurs sur "l'efficacité de l'aide inclusive" par rapport aux aides extérieures.


Valérie Vincent interroge l'idée-même de la différenciation, en observant des séances d'enseignement de l'histoire. Elle s'appuie sur les travaux de Jacques Bernardin (Comment les élèves entrent dans la culture écrite) pour comprendre le rapport au savoir des enseignants. Elle veut mieux comprendre comment il influence les pratiques de l'enseignement, en cherchant s'il est possible de "vivre le savoir comme une aventure humaine" pour donner sens et chair à ce qu'il y a à apprendre, et faire comprendre aux élèves que les savoirs ont une histoire. Lorsque elle voit un enseignant qui lit aux élèves "La Guerre du Feu" en classe, elle observe qu'il rassemble les élèves autour d'un récit fondateur. Mais, précise la jeune chercheuse, "ça ne suffit pas pour opérer chez les élèves les rutures épistémologiques nécessaires", surtout s'il "décide lui-même de répondre aux questions qu'il pose dans des situations de cours magistral dialogué".  M.-P. Vannier réagit : "On peut toujours se demander ce qu'il aurait pu faire de mieux, mais ne faites-vous pas fi des contraintes et ressources disponibles pour l'enseignant ?"


Pascal Ponté, Serge Thomazet et Corinne Mérini observent, eux, les modalités de collaboration entre les enseignants dans l'organisation de l'aide. Dans le cadre d'une recherche réalisée pour la FNAME (fédération des "maîtres E", en France), ils observent comment la nouvelle circulaire sur l'aide individualisée réorganise le travail du maître E qui devient "maître-ressource" en matière de difficulté, pour ses colègues "ordinaires". Leur métier est donc questionné, le temps réorganisé : il faut articuler les emplois du temps des uns et des autres, les contraintes des programmes et le temps de l'enfant. Il faut "construire des histoires communes dans le but de remettre ensemble l'élève au travail", confronter les approches epistémiques des uns et des autres. "L'idée que le maître E doive collaborer avec l'enseignant est au coeur du métier depuis 1990", précise  C. Pierrisnard, même si la "sédentarisation" va sans doute renforcer les sollicitations. Serge Thomazet intervient dans la discussion : "Mais on ne peut décider que le maître E devienne conseiller pédagogique sans qu'il n'en n'ait ni l'autorité, ni la formation, ni la reconnaissance. Cette tension ne se résoud pas dans un compromis, mais dans une difficile conjugaison : aider un enseignant peut passer par la visibilité qu'on donne au type d'aide à l'élève qu'on organise dans et hors la classe".



Comment les enseignants en formation se représentent-ils les difficultés des élèves ? Questionnés par Sandrine Breithaupt,  enseignante à l'école des Hautes Etudes Professionnelle vaudoise, les jeunes enseignants citent d'abord les problèmes de comportement et de motivation, puis de "pré-requis" ou d'habilété cognitives défaillantes. Ils s'intéressent aux symptômes plus qu'à l'origine des difficultés, et s'impliquent peu dans le problème. Les pistes d'action qu'ils proposent dont donc davantage tournées vers des structures exernes que vers l'intérieur de la classe. Cela interroge, dit-elle, la capacité des formateurs à les outiller sur les types de difficultés rencontrées par les élèves, sans attendre une "bascule implicite" des conceptions des formés. Carole Boudreau retrouve la réalité québécoise dans ces propos, et se demande ce qu'il est raisonnable d'attendre des étudiants en formation initiale. "Qui a besoin d'aide, les élèves ou les enseignants débutants ? Ne peuvent-ils aussi avoir des difficultés dans la maîtrise des contenus disciplinaires ? A force de multiplier les dispositifs extérieurs ou les intervenants spécialisés, les enseignants se questionnent-ils assez sur ce qu'ils pourraient faire dans la classe pour les élèves ? Font-il le lien avec les théories qu'on leur enseigne et la pratique de classe"

Devant la tournure prise par la discussion, qui égrène la longue liste de ce que ne font pas les enseignants débutants,  Patrice Bourdon réagit : " Au lieu de disserter sur ce qu'il ne font pas, ne pourrait-on pas passer plus de temps à tenter de comprendre ce qu'ils font, et pourquoi ils le font, comme ils le peuvent ? Cela ne pourrait-il pas nous aider à pouvoir mieux les accompagner ?" La salle rebondit : "sans cadre collectif pour le travail des enseignants sur ces questions, comment voulez-vous que les choses avancent ? Il ne suffit pas de prescrire !"

progin


Laetitia Progin met entre parenthèses la discussion avec la présentation de sa recherche sur l'influence des directeurs sur le travail des enseignants, et l'émergence du "leadership" présumé favorable à l'efficacité de l'enseignement dans les écoles. Pourtant, on sait que les chefs d'établissements vont peu dans les classes, qu'ils sont très absorbés par le travail administratif. Dans l'enquête réalisée, elle décrypte que derrière les discours généreux, la diversité des conceptions est grande : certains valorisent le changement dans le travail en classe, d'autres les dispositifs extérieurs. D'ailleurs, si certains redoutent de s'investir dans le leadership pédagogique, d'autres y voient une valorisation de leur mission de directeur, même s'ils doivent pour cela se confronter à des épreuves relationnelles redoutables, notamment dans la fonction d'interface entre les injonctions du haut et la complexité du métier réel. Réagissant, C. Mérini veut revenir aux enjeux plus globaux du symposium : "il existe une chaine organisationnelle des différents métiers (enseignants, réseaux d'aide, directeurs, personnels municipaux...) qu'il faut prendre en compte pour comprendre ce qui est en jeu dans l'organisation de l'aide". Il faut donc, pour elle, s'interroger sur les conditions de mise en collaboration des différents métiers, sans en rester à des discours prescriptifs.

Tension, articulation, ajustement, indentification, évolution, collaboration... Patrice Bourdon reprend les mots de la matinée comme autant de pointés, de leviers à manipuler. Pause. 


SerresActe 2. 13h30, ça reprend. Guillaume Serres (Clermont) est à la baguette de la seconde ligne droite. Il revient sur sa vision des discussions du matin : "Ce qui est flagrant, ce sont les différents niveaux d'analyse des communications présentées ici, que nous pouvons tenter de regrouper pour reproblématiser la question des difficultés. Organisation du travail, pratiques enseignantes,  conceptions des difficultés des élèves ou des difficultés du métier d'enseignant peuvent être inerrogés par les uns ou les autres. La diversité des approches scientifiques (ergonomie ou didactique notamment) peuvent être autant de focales pour regarder une part de l'activité". Il pointe la question de l'activité de l'élève, dont parfois les travaux de recherche ne disent pas grand chose. "Comment décrire précisément l'activité réelle déployée par les élèves pour mieux en comprendre les ressorts ? Pour cela, il est sans doute aussi nécessaire d'interroger dans le détail les conceptions sur les apprentissages qui sous-tendent nos analyses"...


Christine Perrisnard  et Marie-Paule Vannier  s'intéressent aux pratiques "ordinaires" et aux pratiques "spécialisées" des maîtres E dans l'aide aux élèves. Elles ont construit une équipe de recherche pluricatégorielle, incluant même des inspecteurs. Grâce à des textes produits par les membres du groupe,  les chercheurs estiment pouvoir mesurer l'état de conceptualisation des membres, et dégager des spécificités de l'aide spécialisée, telles que la pensent les maîtres E : "prendre le temps de la préparation à l'activité, prendre le temps des interactions en petits groupes, laisser le temps pour la réflexion de chacun à son rythme...". Toutes choses qui, selon eux, n'est que peu accessible aux enseignants ordinaires. CQFD.  Evidemment, la circulaire de 2009 invite le groupe à se pencher sur l'articulation du travail avec les enseignants chargés de classe ou l'aide aux devoirs, notamment les PPRE. L'occasion d'y confronter les discours  et les représentations des uns et des autres ?

Isabelle Nédélec poursuit sur cette thématique de la collaboration. Elle décortique un dispositif d’aide dispensé par un maître spécialisé en coopération avec un maître ordinaire, en mathématiques, dans une classe de CE2, deux heures par semaine, pendant douze semaines.  Les enseignants cherchent ainsi à éviter la "fragmentation du temps des apprentissages", en co-élaborant et en co-animant les séances. Le maître E qui intervient dans la classe travaille soit à reprendre des notions vues en classe, soit à de nouveaux apprentissages en bénéficiant d'un accompagnement particulier. Pour elle, cette "migration spécifique dans la classe de nouvelles manières de faire par l'enseignant spécialisé profite non seulement aux élèves, mais aussi à l'enseignant chargé de la classe qui peut ainsi percevoir de nouvelles manières de travailler les difficultés scolaires.

therySerge Thomazet réagit : "une question qui me semble cruciale (et ancienne) est ce que fait l'enseignant pendant que certains de ces élèves ne sont pas dans la classe". Il souligne que la situation de l'école observée peut être atypique par rapport à ce qu'est l'ordinaire des écoles : le contenu des aides proposées dans les regroupement d'adaptation par le maître E peut souvent être discuté, notamment lorsqu'il entend travailler des savoirs en réduisant tellement la complexité de la situation qu'il prend le risque de ne pas être très opératoire..." Mais il retient l'idée que les connaissances issues des connaissances professionnelles du maître E puissent "diffuser" sur les enseignants.


theryAide personnalisée et aide ordinaire : quel degré de parenté ?  C'est une des questions de recherche de Corinne Marlot et Marie Toullec-Thery, cherchant à évaluer l'efficacité des pratiques d'aide et la compréhension des choix des enseignants. Ainsi, selon elles, l'aide en classe repose souvent sur une simplification des objets et des situations didactiques, cherchant plus à répondre à la question posée qu'à comprendre ce qui est en jeu. De même, les professeurs sont surtout concentrés sur "l'avancée collective du temps didactique" (l'avancée des objets de savoir sur l'axe du temps). Elles présentent deux situations contrastées : certains enseignants aménagent le milieu ou focalisent sur les progrès des élèves, d'autres simplifient la tâche ou se concentrent sur son exécution, en éclatant les tâches par rapport à la complexité des problèmes à régler. Dans ce cas, elles concluent que la "reconnexion" avec les objets de savoir ne se fait pas. C'est sans doute le signe que les représentations de ces enseignants placent l'origine de la difficulté sur le plan du comportement. Sans vouloir caractériser les "bonnes" et les "mauvaises" pratiques,  elles considèrent que la centration de la tâche sur des "procédures de bas niveau" nuit à l'efficacité. La "posture surplombante" est pour elles trop guidantes, trop verticales. "C'est l'effet Jourdain, on fait comme s'il y avait du savoir produit, mais on reste sur des leurres". Frédéric Saujat

confronte cette approche à son propre cadre théorique : "l'activité réelle" de l'enseignant ne peut pas se réduire à son action didactique. Les pratiques sont toujours multi-finalisées, avec des micro-décisions et compromis à faire en tension.  "Nous avons tout intérêt à travailler ces questions sans concession entre nous, et à confronter les conceptions (l'epistémologie pratique, diriez-vous) des chercheurs sur les apprentissages, comme l'indique ce que vous dites sur la place des procédures de bas niveau dans les apprentissages. Le travail technique, la place de la répétition ou de l'enseignement explicite méritent pour le moins discussion. Les chercheurs ne sont pas moins que d'autres porteurs de valeurs et de conceptions que les enseignants." Les oratrices acquièscent sur l'importance des automatisations dans les apprentisages, mais souligne l'importance de ne pas faire disparaitre, dans les situations d'aide, les enjeux d'apprentissage derrière les tâches scolaires. "Il ne suffit pas de mettre les élèves en petit groupe pour qu'ils apprennent !"


Pier Carlo Bocchi présente son travail sur les "formes de régulation de l'activité des élèves", qu'elles soient en régulation courte (sur les règles d'action pour réussir la tâche) ou longue (sur le fond de ce qu'il y a à comprendre), selon la théorie des schèmes Vergnaud. Lorsque des élèves cherchent à comprendre des mots dans un texte,  l'enseignant peut donner des aides aux deux niveaux, qui orientent l'activité de l'élève soit vers le "réussir" soit vers le "comprendre". Il constate d'importants écarts dans la répartition des différentes aides, selon les enseignants qu'il observe, sans que les enseignants en aient conscience. "Cette dynamique échappe à la volonté, et peut avoir des conséquences sur les discriminations et accroitre les inégalités de départ entre élèves", en rendant plus difficile leur lecture du "contrat didactique" proposé par l'enseignant, et plus difficile le chemin pour comprendre ce qu'il y a à apprendre, et pas seulement ce que demandent leurs enseignants.

maulini

Christine Felix conclut les présentations. Présentant le "mille-feuille" des dispositifs d'aide et de prise en charge de la difficulté, elle souligne l'hétérogénéité des temps, des contenus et des lieux. Quelle lisibilité, tant pour les concepteurs que pour les usagers que sont les élèves en difficulté, passant d'un milieu à l'autre au risque de diluer le coeur du travail. Pour les enseignants aussi, quel travail produire dans ces différentes situations, et quand ils "récupèrent" le travail réalisé dans d'autres dispositifs ? Quels légitimités pour les savoirs construits avec un aide-éducateur ou un animateur que quartier ? Etudier comment ces prescriptions sont mises en oeuvre dans les différents lieux sont en soi un objet d'étude ! Son propos se centre sur l'enseignement comme un travail : "ce que ça demande de faire, de faire ce qu'on nous demande de faire, dans les conditions où on doit le faire...". Pour accéder à l'activité des enseignants, elle s'appuie sur une co-construction : le professionnel n'est pas l'observé, mais le co-observateur de sa propre activité. 
Pour ce faire, on filme le travail et on organise avec les professionnels eux-mêmes l'analyse de leur activité. Concernant l'aide, ce croisement de différents "milieux" peut "développer de nouvelles formes d'activité" à la condition que les collectifs permettent d'organiser les controverses nécessaires sur les différentes "manières de faire" pour permettre à chacun de trouver des nouvelels ressources professionnelles inscrites dans le métier.

mauliniOlivier Maulini voit dans l'empilement des dispositifs la preuve que les ministres successifs cherchent plus à "marquer l'opinion" par des affichages qu'à donner aux enseignants et aux formateurs la responsabilité de trouver les meilleures voies pour résoudre les problèmes professionnels auxquels ils doivent s'attaquer. Le risque de l'isolement des enseignants dans la jungle des prescriptions lui semble au moins aussi signifiante que l'inquiétude des élèves devant celle des dispositifs... "

Comment se construit l’identité professionnelle des enseignants débutants ?
 

C’est la question qui était au centre des débats auxquels j’ai assisté ce mardi. Une question significative puisque tous les intervenants s’accordaient sur l’importance de cette première rencontre avec les élèves, la classe, le métier, quant à son impact sur l’avenir professionnel  des nouveaux enseignants.

Plusieurs études et enquêtes ont permis de mieux cerner les profils de ces enseignants, leurs attentes,  leurs réactions  au cours de ces premières confrontations, et leur devenir éventuel.

 

Ainsi Eric Roditi, Paris 5, a réalisé sur près de 10 ans le suivi d’un professeur des écoles, depuis son entrée comme stagiaire jusqu’au moment où il est devenu formateur. Réalisé sous formes de videos et d’entretiens, ce suivi porte particulièrement sur la façon dont  Benoît, l’enseignant, aborde avec ses élèves des notions de géométrie, d’abord en tant que stagiaire et néotitulaire, puis en tant qu’enseignant plus chevronné, à 7 et 9 ans d’exercice.  Les séances du début portent sur la notion de rectangle, notamment dans des activités de repérage. Les documents montrent que les élèves ont d’abord un temps de recherche individuelle puis un temps de mise en commun. Bien que Benoît soit à l’aise avec les notions à faire passer et suive de près le manuel, les conditions d’apprentissage des élèves ne sont visiblement pas assez maîtrisées. Les attentes de Benoît sont bien au-delà de ce que les élèves fournissent (le temps individuel est sans doute trop court, les explicitations insuffisantes). Les élèves qui ne voient pas où il faut en venir se dissipent et Benoît doit effectuer maints rappels à l’ordre.

Dans la seconde série de documents, les élèves sont plus autonomes, le dialogue est moins tendu et les élèves participent avec enthousiasme. Les pratiques de Benoît ont changé et se sont stabilisées : il a réalisé qu »il aimait être en classe et privilégie désormais le contact avec les élèves, en étant moins rigide par rapport aux formes de transmission des savoirs. Cette évolution est en partie due au travail collectif mené dans différents groupes (de recherche à l’IREM, de formation avec des collègues). Il estime avoir manqu é d’une formation en didactique des mathématiques, mais il veut plus probablement parles des situations à mettre en place avec les élèves que de contenus proprement dits.

 

Pour Luc Ria de l’INRP, le contexte actuel (effets de la masterisation, classes de plus en plus hétérogènes) risque d’entraîner pour les nouveaux enseignants des moments critiques «  avec des répercussions profondes sur l’identité professionnelle en construction ». Dans ces conditions, le rôle des personnes ressource devra être repensé : les formateurs et les accompagnateurs devront éviter des approches trop dogmatiques ou trop normées et pondérer leurs conseils en tant qu’experts. Ils devront aussi s’inscrire dans la dynamique de l’activité professionnelle et se recentrer sur la réalité que vivent les jeunes enseignants, en traitant en priorité « les questions les plus saillantes et les plus fréquemment posées.

Une action recherche formation a porté l’an dernier sur 15 néotitulaires exerçant dans des collèges EP2 du 93. Entretiens, regroupements , tournage des activités en classe puis présentation de ces vidéos aux collègues ont été des temps forts qui ont ponctué l’année. L’exploitation des vidéos a été considérée comme une véritable action de professionnalisation qui a permis d’une part de prendre conscience des difficultés d’une communauté débutante et d’autre part d’apprécier la façon dont un professeur plus expérimenté pouvait travailler avec ces mêmes classes ressenties comme difficiles par les néos.

Selon Luc Ria, on se trouve ici dans des espaces de formation hybrides, dans lesquels le risque de formation disparate est grand. Il est donc utile de la compléter par un espace national en ligne, par exemple la plate-forme NeoPass@action sur laquelle nous aurons l’occasion de revenir prochainement.

 

Pour Pascal Guibert, université de Nantes, l’acquisition de l’expérience professionnelle n’est jamais une construction linéaire. Mais les nouveaux enseignants se voient proposer un modèle de compétences normées et référencées, une nouvelle identité enseignante rejetée par la plupart des enseignants du secondaire en exercice.

En collaboration avec l’IUFM des Pays de la Loire, un suivi de cohorte a été réalisé sur plusieurs années (questionnaires + entretiens approfondis). Les résultats font apparaître 3 types de difficultés pour les néotitulaires : des difficultés liées au lieu d’exercice (déménagement, isolement, classes plus difficiles) pour ceux qui sont mutés hors académie,  la nécessité de faire face et la maîtrise du métier. Même s’ils ont tous le sentiment de vivre dans l’urgence et de ne pas pouvoir se poser pour analyser leur pratique, les situations sont très différentes en raison de l’établissement où ils sont nommés, de leur histoire personnelle et de leur appartenance ou non à des collectifs.

Quelles sont les demandes qui transparaissent à la lecture des retours ? Les néos voudraient bien avoir davantage de connaissance sur la psychologie des adolescents pour arriver à établir avec leurs élèves une relation affectivement correcte. Ils ont aussi du mal avec l’évaluation. Enfin, ils estiment être très peu accompagnés, même en ZEP où ils le sont quand même davantage.

A leur prise de fonction, deux profils émergent nettement chez les enseignants.

Les « héritiers » sont souvent issus de la classe moyenne intellectuelle, sont bien diplômés, aiment leur discipline et croient au modèle de l’excellence scolaire. Ils sont souvent venus dans le métier par vocation.

Les « oblats » , moins diplômés et de classes sociales plus défavorisées, se considèrent davantage comme pédagogues et sont plus en adéquation avec les objectifs de formation de l’UFM.

Ces deux profils ont une conception assez différente du système éducatif et de la place de l’élève.

Après 5 ans d’exercice, ces profils s’estompent  et l’on relève plutôt des typologies. Les enseignants se répartissent entre ceux qui sont toujours de passage (TZR), ceux qui ont une position fixe qui leur convient bien, ceux qui travaillent par conviction en zone prioritaire et attachent une grande importance au relationnel et ceux dont la position d’  « héritier » est  inchangée, qui considèrent toujours la discipline en premier et le métier en second.

 

Vincent Troger, de l’université de Nantes, a réalisé avec l’IUFM une enquête portant à la fois sur des enseignants stagiaires et des élèves de LP.

La 1ère confrontation avec les élèves est une épreuve identitaire décisive, dans laquelle les difficultés concernent aussi bien le pédagogique (relations avec les élèves) que la didactique (quels contenus choisir). Ces élèves sont dans un rapport au savoir douleureux, avec une surreprésentation de redoublants et d’élèves en difficulté dès le primaire, qui ont de plus vécu le système comme très contraignant.

Les stagiaires enseignants partagent une éthique commune : ils comprennent assez bien les difficultés des élèves et souhaitent  permettre à chacun de se reconstruire, dans une logique d’égalité des chances. Les formateurs partagent ce point de vue et aident les stagiaires à basculer dans une posture d’accompagnateur. Les enseignants pratiquent l’argumentation, le dialogue et utilisent une pédagogie très instrumentée par les médias, en donnant souvent aux élèves des repères visuels ou sonores. Ils acceptent de prendre l’élève là où il et sont en référence permanente au monde du travail. Comme ils ont souvent connu eux-mêmes des parcours un peu compliqués, ils sont naturellement en phase avec leurs élèves et savent qu’on peut rebondir sur un échec scolaire.

 

Pierre Périer, de l’université de Rennes, considère que les premiers moments professionnels des stagiaires et des débutants sont « une mise en épreuve de soi ». Il est important de les analyser pour aider d’autres jeunes à les aborder.

Une enquête a été menée de 2005 à 2007 sur les sites de formation de Créteil, Versailles et Lyon. Les résultats sont-ils seulement propres aux débutants ? On ne dispose que de très peu d’enquêtes comparatives.

Il ressort de cette enquête que les enseignants débutant ont une légitimité à construire, une autorité pédagogique à affirmer. Ils vont devoir s’engager dans une négociation continue avec des élèves qui n’ont pas les appétences au savoir qu’ils espéraient. Ils vont devoir élaborer des stratégies locales pour compenser le fait que les élèves n’acceptent plus l’attitude hiérarchique et ne respectent pas automatiquement le savoir incarné par le prof.

Ils ont l’impression que la formation qu’ils ont reçue n’est pas opérationnelle ; il faut qu’ils apprennent (tout seuls ? ) à mobiliser un savoir-faire professionnel. Ils ressentent le besoin de pouvoir s’exprimer sans crainte de jugement. A ce niveau, l’IUFM offrait un espace bien intéressant de socialisation entre pairs. Ils notent enfin la tension induite entre les deux objectifs nécessaires, transmission du savoir et établissement d’un protocole relationnel qui favorise la mise au travail des élèves. C’est sur ce point que va se construire l’identité professionnelle et que la mise à l’épreuve va se substituer à la formation.

 

Le travail, un passager clandestin ?

dolzUn symposium, c'est un moment de rencontre entre plusieurs équipes de recherche qui travaillent sur des thématiques qui peuvent se croiser, tout en travaillant chacun "à leur façon", avec leur lexique,  leur terrain, leurs concepts, leurs méthodes. En introduisant le symposium long "Dimensions cachées, dimensions clandestines du travail", Patricia Remoussenard insiste sur l'intérêt de la transversalité. Sa contribution va être "discutée" (sous entendu passée à la moulinette...) par Yves Schwartz, dont la parole fait référence. Dans le même bateau, Pierre Imbert et Marc Durand, et Richard Wittorski, qui ont précédemment donné à moudre leur production écrite au "discutant".
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Yves Schwartz retient la dimension "polémique" de la proposition du symposium : si on s'en tient à la dimension apparente du travail et de la prescription, on ne comprend rien. Aborder la dimension cachée du travail, c'est dériver vers l'activité de travail des sujets. Au titre des convergences entre les approches des trois contributions, c'est la totalité de la vie dans son énigme qui entre dans cette problématique, le travail n'en étant qu'une des facettes. Les frontières entre travail et vie privée sont floues, la transversalité générale. On ne peut segmenter type d'activité par type d'activité. Même dans un colloque sur le travail éducatif,  refuserait-on de limiter l'éducatif à sas dimension éducative, s'amuse Y. Schwartz. "Si on manque cette porte d'entrée riche, on va limiter l'activité de travail à son aspect utilitaire, ce qui limite la force de l'analyse. Ainsi, comment définir la compétence au travail sans parler du travail caché ? 
Comment intégrer dans l'évaluation de la compétence cette dimension ? Comment définir le travail d'un emploi-jeune, en reléguant le relationnel au pourtour du légitime ? Rendre visible la part cachée de l'activité, c'est bien aussi valoriser, professionnaliser, reconnaître, en renouvelant l'approche par compétences.  C'est aussi rompre les conditions habituelles de la recherche "traditionnelle" qui pose le principe de sa nécessaire distance, de sa capacité d'expertise ou de sa capacité à accéder à l'essence des situations. Il faut au contraire d'abord se mettre d'accord sur ce qu'on a à faire ensemble, en formation ou dans l'analyse des systèmes. Ces "débats de norme" chers à Y. Schwartz sont ce qui rend le travail humain si problématique, si difficile à comprendre. (pour voir le détail de l'approche d'Yves Schwartz, voir  ce dossier)
dolzAlors, quelle conclusion provisoire ? Patricia Remoussenard revient sur le paradoxe : en s'intéressant à des univers du travail très éloignés des situations d'enseignement, on peut nourrir des ressources fécondes pour comprendre le travail enseignant, considéré comme un travail "comme un autre". "Désenclaver les métiers de l'enseignement pour mieux les comprendre, ça n'a l'air de rien, mais ça change tout, intervient Françoise Lantheaume (Lyon 2) de la salle. Les métiers émergeants dans la sphère éducative ont sans doute contribué à ce rapprochement". 


dolzDans la seconde phase du symposium, c'est à Françoise Lantheaume, Nicole Mencacci et Jean Clenet de passer sur le grill, à travers le regard de Frédéric Saujat.
S'intéressant aux différentes "traductions" qui doivent s'opérer dans la mise en oeuvre de la prescription, de l'écriture de la circulaire rédigée dans le cabinet ministériel à l'exercice de la situation d'enseignement dans la classe, Françoise Lantheaume a d'abord le souci de la description modeste des différentes dimensions de l'activité professionnelle, la "façon dont les gens travaillent" étant dépendante du cadre normatif qui définit leur activité singulière. "Or, l'évolution du cadre normatif amène des suprescriptions, à la fois dans ce qu'on demande de faire, et dans ce que chacun se dit qu'il doit faire pour être conforme". Elle invite à "découvrir le gisement des trésors cachés de l'activité", en se gardant des pièges de l'auto-surprescription. Nicole Mencacci s'intéresse aux "ingéniosités éducatives de l'instant", dans ce moment particulier où on doit résoudre une tâche sans avoir de solution toute faite, où l'enseignant doit à la fois se garder de la guidance excessive et de la non-intervention, sans "prêt-à-faire" ni "prêt-à-dire", saisissant le bon moment pour agir. Jean Clenet veut rendre compte des "pratiques peu visibles", entre le "cristal et la fumée", dans l'entre-deux entre le prescrit et le réel. Il voudrait "donner un statut scientifique et éthique au flou",  parce qu'il cache des choses qu'il n'est pas toujours nécessaire de dévoiler. S'il est un champ de recherche important en physique, pourquoi ne le serait-il pas en éducation ?

Tentant une "discussion", Frédéric Saujat extrait la notion d'"épreuve", de débat avec le milieu. "C'est la trace d'un sujet capable, créatif, acteur", qui ne se contente pas d'exécuter ce qu'on lui demande de faire, mais prend en compte "ce que ça lui demande de faire". Ni girouette, ni prisme qui dévierait les rayons lumineux, mais barreur d'un bateau à voile faisant des choix concernant l'activité et l'usage de soi. S'il y a du travail caché, c'est bien parce que le travail est une épreuve qui expose le sujet au vent de l'activité. Du coup, Saujat invite à dépasser la notion de "sujet" pour aller vers les dimensions collectives de l'activité, du travail.
A qui, et par qui le travail serait-il caché ? Et comment le rend-on visible, avec quels outils et dispositifs ? Frédéric Saujat invite les auteurs à creuser quelques questions : la prescription est-elle une contrainte extérieure, ou fait-elle l'objet de retraductions qui l'amènent aussi à pouvoir devenir ressource ? A quelles conditions ce qui peut être rendu public dans le collectif de travail peut l'être devant le chercheur ? Quelles raisons ont ceux qui travaillent à rendre visibles leurs pratiques cachées devant un intervenant ? Ont-ils une demande ? Et leur expérience est-elle verbalisable, comme se le demande aussi Philippe Astier ? A quelles conditions langagières ? Avec quelle définition de ce que serait "faire du bon travail" ?

Françoise Lantheaume profite de la perche tendue : "C'est d'autant plus important pour les métiers qui commencent, comme les assistants d'éducation, qui n'ont pas de normes antécédantes. Pour revenir aux enseignants, on constate à la fois du trop-plein et du "trop vide" quand a prescription leur dit "débrouillez-vous", voire leur donne un mandat contradictoire (transmettre un patrimoine et de la culture collective, mais en même temps individualiser ; faire du chiffre aux examens tout en tenant compte de chacun...) . On est en train de passer à un nouveau régime d'engagement, qui exige une plus grande plasticité, une plus grande capacité de réaction à l'inattendu, une énergie pharamineuse des individus pour combler les vides de la prescription qui risque de les épuiser si on n'a pas les espace de retravailler collectivement ce qui est essentiel de ce qui est accessoire. Sans l'aller et retour avec le collectif, la crise n'arrive pas à reconstituer de nouvelles normes de métier. Le chercheur ne révèle rien, il peut juste contribuer à remettre en mots et à faire le pas de côté. Je ne crois que modérément aux révélations..."