Evaluation
Le symposium va discuter la notion de compétences en
éducation. Attention, risque de turbulence.
Nathalie Younès
(Clermont) essaie de comprendre comment la prescription de
l'évaluation par compétences se met en oeuvre
dans un collège "ordinaire", sans formation ni
accompagnement particulier, comme c'est
généralement le cas. Elle met sous sa loupe les
pratiques d'enseignants en matière d'évaluation
des compétences rédactionnelles, dans un
établissement dont les élèves
eux-mêmes jugent que l'ambiance n'est pas au travail soutenu.
Lorsqu'elle interroge les enseignants sur le sens qu'ils donnent
à l'évaluation, ils sont relativement peu
satisfaits de leurs pratiques, un peu coincés entre la
volonté de ne pas stigmatiser les
élèves en difficultés et de continuer
à pouvoir étalonner le niveau des uns et des
autres. Les élèves sont plus directs : pour eux,
la note de la copie, c'est l'attribution de valeur et de rang dans la
classe. Il faut dire que nombre d'entre eux ne voient pas
forcément non plus à quoi leur sert d'apprendre
à produire des textes, si ce n'est pour rédiger
une lettre de motivation... Selon ses observations, N.
Younès considère que chaque enseignant bricole
ses pratiques d'évaluations sans en être
très content, mais sans que ce soit un objet
d'échanges collectifs. Peut-on pratiquer une
"évaluation encourageante" sans être
considéré comme un prof laxiste par ses pairs et
par les élèves ? Comment ne pas passer trop de
temps à réaliser des évaluations dont
on n'est même pas sûr qu'elles changent quoi que ce
soit ? Dans un contexte social où
élèves et familles semblent surtout chercher dans
les notes un moyen de "passer" dans les bonnes filières, de
décrocher les diplômes ou d'obtenir des places,
rien qui semble susceptible de susciter des
évolutions dans les pratiques et représentations
des uns et des autres...
Dans l'approche formative de l'évaluation, on
s'intéresse beaucoup aux feedbacks, aux
régulations faites par les enseignants, mais aussi aux
diverses régulations qui traversent la classe, qui ont des
effets sur les comportements et l'activité cognitive des
élèves. C'est l'objet de recherche
Lucie de Motier-Lopez
(Genève).
Une question habituelle posée à
l'évaluation formative est aussi l'articulation entre les
"situations complexes" et les "tâches spécifiques".
Travaillant avec des élèves de 8 à 12
ans, elle filme des leçons de maths, et demande aux
enseignants de sélectionner le passage qui leur semble
pouvoir illustrer une situation d'évaluation formative, puis
co-analyse avec eux ce qu'on peut en penser. Ce travail permet au
groupe de tirer de conclusions sur les "manières de faire "
qu'ils jugent pertinentes. Lorsqu'il est sollicité par les
élèves qui n'arrivent pas à faire ce
qu'on leur demande, l'enseignant passe du temps à
écouter l'explicitation de ce qu'il a fait, des
procédures qu'il a utilisées, afin de mesurer ce
qu'il a fait pour arriver à ce résultat. Lorsque
ces explicitations ne semblent pas satisfaisante, l'enseignant fait
alors des choix explicatifs : expliquer une procédure
particulière, revenir à
l'énoncé ou sur le sens du problème,
décomplexifier la tâche, rappeler des
connaissances qui peuvent faire ressource... L'enseignant doit donc
mobiliser des compétences professionnelles pour pouvoir
anticiper, ajuster, évaluer à la
volée, cadrer, identifier les obstacles, penser la
progression des apprentissages à la fois dans des
temporalités courtes et des progressions longues... Une
longue liste qui amènera de l'eau au moulin de ceux qui
pensent qu'enseigner est un métier qui s'apprend, nombreux
dans les travées de l'AREF...
La réflexivité est-elle une garantie
d'acquisition de compétences et de capacité de
transfert ? C'est en tout cas ce que prônent les adeptes des
compétences lorsqu'ils définissent le mot comme
la capacité à "transférer" un
apprentissage d'une situation à l'autre. Lorsqu'il interroge
des adultes, en entreprise ou à l'université, il
constate que tous sont loin d'avoir le même point de vue sur
la "similarité" éventuelle de deux situations.
Florent Chenu est
donc aller voir du côté des analyses de la
didactique
professionnelle
pour comprendre ce qui fait que deux situations pourraient avoir des
similarités. Il rencontre donc un nouveau groupe de
professionnels avec qui il réalise des entretiens
d'explicitations pour mesurer ce qu'ils peuvent dire de ce qu'ils font
en situation, des ressorts de leur activité.. Il constate
que pour une même opération, les raisonnements qui
les sous-tendent peuvent être très
différents, même quand la tâche est
réussie, et conclut en remettant en cause le
modèle de référence des "classes de
situation".
![chenu](../Photos/carette.jpg)
Comment les enseignants réagissent-ils au modèle
d'évaluation "en trois phases" mis au point par son groupe
de recherche ? se demande
Vincent
Carette au début de son intervention. En effet,
beaucoup de monde parle des compétences, le terme envahit
l'espace sans qu'on soit en capacité de le discuter. Les
Etats veulent à la fois piloter le système en le
régulant par l'évaluation des
établissements, sous la prission des parents-clients, et
modifier les pratiques pédagogiques par les enseignants sur
la base de ces résultats. Or, on ne sait pas si la notion
d'efficacité en éducation se ramène
à ces injonctions : est-on réduit à
choisir entre enseignant dirigiste ou enseignant animateur ? entre
évaluation de procédure ou évaluation
formative ? entre "apprentissages de base" et démarche de
problème ? entre approche "scientifique" et enseignement
socio-constructiviste ?
Carette refuse de jeter les compétences avec l'eau du bain :
"on attache la notion de compétences. avec le
modèle du socio-constructiviste. Mais vouloir former des
élèves "compétents" ne signifie pas un
enseignement par compétence. Quelles que soient les
légitimes critiques contre les attaques libérales
contre l'école, je propose de rester modeste devant
l'ampleur de ce qui nous échappe. On ne peut pas
actuellement garantir qu'un type d'enseignement amène
nécessairement la construction de compétences.
Commençons par informer et former les enseignants
à développer leur capacité collective
à se poser les questions de l'efficacité de leurs
pratiques, plutôt que de prescrire la "bonne"
manière d'enseigner".
C'est pourquoi son équipe a proposé aux
enseignants belges
un
outil basé sur une
évaluation en trois phases, dans laquelle on
cherche à évaluer d'abord
les compétences mobilisées par
l'élève sur une tâche
inédite (phase 1),
avant de proposer aux élèves une seconde phase :
la même tâche est découpée en
tâche élémentaires, avec des consignes
explicites, présentées dans l'ordre où
elles doivent être accomplies. Enfin, si
nécessaire, on évalue dans une
troisième phase la maîtrise des
procédures de base à utiliser dans les
différentes phases du problème à
réaliser.
Dans ce cas, les enseignants peuvent à la fois mieux
comprendre les référentiels, évaluer
leurs propres pratiques, réaliser un diagnostic sur les
compétences des élèves, et travailler
à comprendre "en situation" comment agir. Mais il pose des
limites qu'il a constatées lorsqu'il regarde les enseignants
contruire et utiliser ce genre d'épreuves : "cela nous prend
beaucoup de temps", le fait que les épreuves "papier-crayon"
ne permettent pas de "faire" (et donc de mesurer ce que les
élèves savent faire effectivement !). Mais la
"phase 2" (décomposition de la phase complexe) se fait
toujours selon une certains logique, dont on constate qu'elle "bloque"
certains enfants qui ne parviennent plus à avancer lorsqu'on
les contraint à passer par un cheminement de
pensée et d'action.
Prenant un exemple dans le second degré avec la correction
de dissertations en SES,
Marc
Vantourout et Rémi Goasdoué focalisent
leur attention sur l'activité de l'évaluateur, et
des problèmes posés par la correction
à l'enseignant. Bien sûr, ils retrouvent les biais
qui influencent la notation. Ils postulent que lorsqu'ils
évaluent, les enseignants infèrent, à
partir de la production des élèves, sur ce qu'ils
ont compris du texte qu'ils ont lu, de leurs connaissances dans la
discipline d'enseignement, de leurs capacité de
raisonnement. Ils en concluent que les correcteurs pratiquant
l'évaluation par compétences relèvent
légèrement les notes des copies moyennes, sans
pour autant valoriser les copies considérées
comme "mauvaises". Leur grille de référence leur
sert sans doute de "garde-fou" : elle comorte des indicateurs, des
niveaux d'exigence et un barème. Mais même ceux
qui utilisent cette grille peuvent avoir une notation très
différente sur un critère particulier. C'est sans
doute parce que les "inférences" faites par les enseignants
sur les phrases de la copie ne sont pas toutes identiques : certains
concluent qu'une phrase définissant approximativement un
concept est le signe d'une ébauche de
compréhension, quand d'autres attendent une terminologie
précise pour valider l'attendu. Certains prennent
l'élève "au pied de la lettre" quand d'autres
infèrent que l'élève à
compris, malgré les formulations maladroites. Pas de magie
des outils, donc, et la professionnalité de l'enseignant ne
se résume pas à son appropriation d'une grille de
compétences. Bonne nouvelle, non ?